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Football

L’amertume des cireurs de bancs de touche

Parmi les cireurs de bancs, certains rongent leurs freins tandis que d'autres sont très satisfaits de leur sort. 

		(Photo : AFP)
Parmi les cireurs de bancs, certains rongent leurs freins tandis que d'autres sont très satisfaits de leur sort.
(Photo : AFP)
Au Paris-Saint-Germain, le milieu de terrain Vikash Dhorasso qui va peut-être quitter le club est depuis quelques temps sur le banc de touche quand il ne joue pas en 3e division. Pour d’autres raisons, le défenseur Mario Yepes aussi a eu la surprise de se retrouver sur le banc comme beaucoup d’autres joueurs qui, dans toutes les équipes du monde, acceptent stoïquement leur sort.

En général, les clubs professionnels ont sous contrat, de 22 à 30 joueurs. Pour affronter l’adversaire, seuls 11 à 16 de ces joueurs montent régulièrement sur le terrain. Quand ils sont très bons, qu’ils font constamment gagner leur équipe et qu’ils sont épargnés par les blessures, les autres «font banquette». La présence régulière des titulaires indiscutables comme  Samuel Eto’o, Ronaldinho et Deco à Barcelone, Ribery, Niang et Taiwo à Marseille, Makelele, Lampard et Terry à Chelsea crée la race des abonnés dociles au banc de touche, une position d’où l’on regarde sagement les copains jouer. Être réserviste un laps de temps, c’est mieux que de l’être tout le temps comme cela arrive à certains joueurs qui jouent finalement leurs matches à l’entraînement. Dans le milieu, on les appelle des «cireurs de bancs».

La présence d’un joueur sur le banc n’est pas forcément l’expression d’un manque de talent, puisque c’est le critère qui lui a valu d’être recruté. C’est que, chaque entraîneur a son équipe-type et tant que les résultats suivent, il ne change rien ou si peu. Il peut aussi arriver qu’un entraîneur ne supporte pas la forte personnalité d’un joueur. Il jugera qu’il ne l’a pas trouvé en assez bonne forme, qu’il est individualiste et ne respecte pas ses consignes (par exemple «un contrôle, une passe»), qu’il ne «rentre» pas bien dans le système de jeu de l’équipe. Un autre sera sanctionné parce qu’il prend trop de cartons ou parce qu’il a fait une passe hasardeuse dans l’axe, égarement qui a permis le but de l’adversaire. C’est le cas – très récent – du défenseur Colombien Mario Yèpes, coupable d’avoir provoqué une série de penalties par tirage de maillots. Conséquence, un titulaire à part entière, l’un des plus gros salaires du club s’est retrouvé un moment sur le banc.

Dhorasso est-il si mauvais que cela ?

Autre cas plus brûlant encore, c’est celui du Mauricien Vikash Dhorasso (toujours du PSG) à qui il est reproché ces temps derniers de s’intéresser davantage à des activités extra sportives qu’à son métier. Son histoire est simple. N’ayant joué que pendant 9 minutes lors de la Coupe du monde en Allemagne, Dhorasso a meublé son temps en filmant ses partenaires pour un film amateur à venir. Il se serait plus particulièrement attardé sur les moindres mouvements de l’entraîneur Raymond Domenech. Revenu dans le championnat de France, le Mauricien n’a pas apprécié de se retrouver 4 fois de suite sur le banc de touche et se sentant «humilié», il a répondu à son entraîneur Guy Lacombe qui avait expliqué sa  mise à l’écart par son état de santé. «Faux» avait répliqué Dhorasso qui, appelant un chat un chat, affirma que son entraîneur avait «menti».

Voilà un bon milieu de terrain qui n’a pas été choisi par hasard pour faire partie de la liste des 23 internationaux français à la Coupe du monde. Quand on a été appelé pour jouer au milieu en compagnie de Zinedine Zidane, Patrick Vieira, Florent Malouda ou Claude makelele, c’est qu’on n’est pas moyen, mais bon au minimum. Il a donc fréquenté le banc avant de coiffer le chapeau du vilain petit canard du monde footballistique français où, manifestement, un joueur n’a pas le droit d’afficher sa personnalité. Du coup, Dhorasso à qui certains reprochent aujourd’hui de ne pas marquer des buts (critique qui épargne d’autres milieux de terrain improductifs) est présenté du jour au lendemain comme un piètre footballeur. Qui veut noyer son chien…

Evra quitte Monaco pour le banc à MU

Il y a ceux qui jouent régulièrement 15 à 20 minutes par match, ceux qui jouent de temps à autres quand il y a des blessés et ceux qui ne jouent jamais, mais s’entraînent tout le temps avec le groupe. La conséquence, c’est que certains des laissés pour compte finissent par faire l’objet de prêts ou placés d’office sur la liste des transferts.

D’autres encore, sous prétexte de faire une bonne affaire financière en figurant dans l’effectif d’un «grand» club, d’excellents footballeurs quittent leurs clubs d’origine (au sein desquels ils évoluaient en titulaires)  pour aller croupir sur un banc prestigieux. Et là, ils espèrent une « gentillesse » de l’entraîneur ou la blessure de celui qui joue au même poste qu’eux. Parfois même, l’entraîneur préfère changer son système de jeu plutôt que de remplacer les joueurs poste pour poste. Cette considération fait penser au joueur Patrice Evra, véritable révélation du championnat français 2005-2006 à Monaco. Teigneux, offensif et précis dans sa relance, ce défenseur intraitable devenu international, a quitté Monaco où il était titulaire pour le grand club de Manchester United où il n’est qu’épisodiquement titulaire.

Eric Carrière, meneur de jeu et cireur de banc

Autre exemple. En quittant Nantes en pleine gloire, avec la réputation de «meilleur joueur du championnat», Eric Carrière (33 ans) grand meneur de jeu promis à un bel avenir, a littéralement cassé sa carrière, puisqu’il n’a plus jamais été titulaire nulle part. Souvent blessé (mais cela n’explique pas tout), ce footballeur très technique – après de bons débuts – n’a pu s’imposer à Lyon qui l’avait embauché en 2000 parce qu’il le voulait à tout prix. Gros budget oblige, les grands clubs ont cette faculté de recruter des joueurs de talents pour ne pas les faire jouer. C’est le début du gâchis, non pas pour les clubs qui se réjouissent d’avoir avec eux des joueurs qui ne sont pas chez l’adversaire, mais pour des joueurs à qui l’on reprochera demain, de n’avoir pas assez de matches dans les jambes pour être achetés à bon prix ou trouver facilement un autre club.

Benzema sur le terrain, Ben Arfa sur le banc

Prenons l’Olympique lyonnais, club phare du football français dont on connaît désormais les stars (Malouda, Juninho, Tiago, Cris etc.). A moins d’une véritable hécatombe, on a peu de chances de voir jouer les jeunes lyonnais (Romain Beynié, Joan Hartock, Yacine Hima, Sylvain Idangar ou Mourad Benhamida) qui font bel et bien partie de l’effectif lyonnais de cette année, mais qui restent scotchés sur le banc de touche à cause des performances des aînés ou des titulaires. Il leur faudra beaucoup de patience en réserve et beaucoup de sacrifices à l’entraînement, histoire d’être prêts à tout moment pour le grand bain. Dans le puissant club rhodanien, Karim Benzema et Hatem Ben Arfa ne sont pas logés à la même enseigne. Percussions et sens du but aidant, le premier a conquis ses galons de presque titulaire tandis que le second, bien plus technique et indiscutablement doué n’est presque jamais aligné. Il sera peut-être prêté à un club (pas directement concurrent) ou vendu tout simplement.

Wiltord ne déteste sûrement pas le banc

Certains entraîneurs prennent le risque de faire tourner leurs effectifs. Soit parce que les titulaires sont en surchauffe du fait de la répétition des matches, soit parce qu’ils ont décidé de faire baisser la tension sur le banc ; une tension souvent silencieuse mais palpable dans des équipes où la grogne et les clans naissent de certains choix de l’entraîneur qui persiste par exemple à aligner les «barons», alors que les résultats ne suivent pas.

Mais, il y a réserviste et réserviste. Il y a ceux qui, comme le Français Wiltord à Lyon se contentent – malgré un talent certain – de jouer les 20 dernières minutes et ceux qui, non titulaires, sont bien obligés d’encourager les titulaires sur le terrain en exprimant leurs joies, leurs inquiétudes ou leurs déceptions selon les résultats obtenus. Le discours est désormais connu : «l’essentiel, c’est la victoire du groupe». Qu’il joue ou qu’il ne joue pas, Sylvain Wiltord se la coule douce, ravie en toute circonstance d’être celui qui fait ou qui peut faire gagner son équipe. Joker de luxe souvent couvert d’honneurs, avec un statut pleinement assumé de « sauveur », Wiltord ne hait sûrement pas le banc de touche, même si le propre de tout joueur, c’est avant tout d’être sur le terrain, surtout avec une équipe aussi souveraine dans le jeu que l’Olympique lyonnais.

Beaucoup de joueurs rongent leurs freins

Au FC Barcelone, l’effectif est si fourni en bons joueurs que les spécialistes ont constitué deux équipes capables de tenir la route dans le championnat espagnol. Valdès, Pujol, Zambrota, Thuram, Marques, Deco, Xavi, Ronaldhino, Eto’o, Giuly, Messi d’un côté et de l’autre, Ruben (comme gardien), Belletti, Edmilson, Oleguer, Silvinho, Van Bronckhorst, Iniesta, Motta, Van Bommel, Gudjohsen, Ezquerro de l’autre. Dans ce club porté sur le beau jeu et sur la gagne dans plusieurs compétitions, le reste de l’effectif tourne régulièrement  autour d’un noyau de 6 à 7 joueurs, ce qui rend les réservistes moins tendus.

On constate – au niveau de l’équipe de France – que la formidable génération des champions du monde français de 1998 a placé la barre des sélectionnables très haut et ceux qui ont pris la relève des Zidane, Lizarazu, Desailly, Barthez et autres Laurent Blanc (Malouda, Abidal, Ribery…) ont dû montrer d’énormes qualités et il en sera ainsi désormais. Pour remplacer les stars d’hier, il faudra être en mesure de faire autant, sinon plus qu’eux. Cette exigence constamment renouvelée a deux conséquences. D’une part, elle apparaît comme le garant de la solidité continue d’un ensemble où – pour utiliser une image empruntée à la mécanique – on ne remplace une pièce périmée que par une pièce neuve et non par un accessoire d’occasion. D’autre part, quand la mécanique en question est bien huilée, l’équipe qui gagne laisse de nombreux joueurs ronger leurs freins à chaque rencontre.

Des jeunes stoppés en plein élan

On peut aussi parler de tous ces jeunes qui quittent l’Afrique ou leurs clubs formateurs pour aller chercher fortune dans les grands clubs où ils font finalement banquette avant de comprendre qu’il faut une nouvelle fois changer d’air pour atterrir dans un club capable de leur donner ce qu’on appelle du «temps de jeu». Les jeunes Français Anthony Le Tallec et Florent Sinama-Pongolle (anciennes jeunes pousses pleines de talent du Havre) se sont retrouvés très tôt à Liverpool (saison 2003-2004), mais ont dû rapidement déchanter puisqu’ils ne jouaient pas. A 21 ans chacun, ils ont déjà fréquenté les bancs de plusieurs clubs français et anglais (Saint-Étienne, Sunderland, Blackbuns Rovers, Sochaux, Recreativo Huelva).

Quoiqu’il en soit, le banc restera toujours le banc. Passage obligé de tous les joueurs, il alimentent le jeu et permet à une équipe – par le jeu subtil des changements – de trouver son équilibre. Le fameux «coaching» de certains entraîneurs, c’est à la qualité de leurs bancs qu’ils le doivent.

par Dave  Wilson

Article publié le 06/10/2006 Dernière mise à jour le 06/10/2006 à 16:10 TU