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Economie

Un Nobel pour la paix des ménages

Muhammad Yunus a reçu le prix Nobel de la paix 2006 pour avoir inventé le microcrédit. 

		(Photo : AFP)
Muhammad Yunus a reçu le prix Nobel de la paix 2006 pour avoir inventé le microcrédit.
(Photo : AFP)
Le comité Nobel a une fois encore déjoué les pronostics en attribuant le Nobel de la paix, le plus prestigieux de tous, à Muhammad Yunus, l’inventeur du microcrédit. Depuis plusieurs années, le comité des sages s’écarte souvent d’un choix concernant la paix stricto sensu. Cette fois, c’est la paix des ménages qui est encouragée à travers l’attribution du prix Nobel à l’inventeur du microcrédit. Il permet surtout aux femmes d’emprunter de petites sommes d’argent et d’être ainsi moins dépendantes de leur famille.

C’est tout à la fois le Bangladais Muhammad Yunus et sa banque, la Grameen Bank, qui viennent d’être distingués en recevant le prix Nobel de la paix. Le président du comité chargé de décerner chaque année les Nobel a expliqué son choix pour le Nobel de la paix : «Une paix durable ne peut pas être obtenue sans qu’une partie importante de la population trouve les moyens de sortir de la pauvreté», a déclaré le norvégien Ole Danbolt Mjoes. «Le microcrédit est l’un de ces moyens», a-t-il ajouté.

Le comité Nobel avait l’embarras du choix puisque 191 candidatures rêvaient d’être distinguées par le plus prestigieux de tous les prix. Comme souvent, les sages ont déjoué tous les pronostics. Gareth Evans, par exemple, faisait figure de favori. Ancien ministre australien des Affaires étrangères, il est très actif dans de multiples instances qui cherchent à résoudre ou à éviter les conflits. L’autre nom qui circulait avec insistance était celui du Finlandais Martti Ahtisaari. Il fut l’envoyé spécial des Nations unies au Kosovo. Mais depuis plusieurs années, le comité Nobel a pris le parti d’élargir ses horizons. Il ne s’intéresse plus à la paix comprise au sens de l’absence de conflit armé. Droits de l’homme, humanitaire, défense de l’environnement peuvent désormais être distingués. Ce fut d’ailleurs déjà le cas il y a deux ans lorsque l’écologiste kényane Wangari Maathai reçut le Nobel de la paix.

La paix passe par la lutte contre la pauvreté

«Tout individu sur terre a, à la fois le potentiel et le droit, de vivre une vie décente», a encore expliqué le président du comité Nobel qui a donc cette année choisi le Bangladais Muhammad Yunus. «Par delà les cultures et les civilisations, M.Yunus et la Grameen Bank ont démontré que même les plus démunis peuvent œuvrer en faveur de leur propre développement». Ce prix, dont la notoriété est mondiale, entre désormais dans les cuisines, dans les chambres à coucher, là ou les ménages discutent de leur avenir, cherchent comment s’en sortir. Depuis plus de 30 ans, la Grameen Bank apporte une partie de la réponse en prêtant de petites sommes d’argent, presque toujours à des femmes. Seule condition pour avoir un prêt : le projet doit être collectif, cinq personnes minimum. Elles sont solidaires pour rembourser.

«Je suis ravi, vraiment ravi. Vous soutenez un rêve pour former un monde débarrassé de la pauvreté», a réagi le lauréat. «Cela va donner une bonne dose d’énergie au mouvement entier, je peux vous le garantir. Nous n’en sommes qu’au commencement», a encore déclaré Muhammad Yunus. Depuis la création de sa banque il y a trente ans au Bangladesh, l’un des pays les plus pauvres du monde, l’initiative s’est répandue un peu partout dans le monde. Le principe est toujours le même : un banquier ou une association  prête une modeste somme d’argent à des individus qui veulent monter une petite entreprise parce qu’ils ne peuvent pas passer par les systèmes bancaires classiques. En général, ces derniers refusent de leur faire confiance ou ne veulent pas ouvrir de dossier pour prêter des sommes dérisoires. Les artisans, qui veulent acheter du matériel, mais surtout les femmes, pour faire du commerce et acquérir une certaine indépendance, sont les principaux bénéficiaires. Tous remboursent comme prévu. La Grameen Bank (banque de village) affiche un taux de remboursement supérieur aux crédits classiques. Si elles se lancent, les femmes gagnent leur autonomie et améliorent le niveau de vie de leurs familles. Aujourd’hui, la banque de Yunus compte 6,61 millions de clients, dont 96% de femmes.

Le système s’est répandu même dans les pays riches

Lorsque la Grameen Bank a été créée en 1974 au Bangladesh, il s’agissait à l’époque d’aider les paysans sans terre à acheter du matériel agricole. En leur ouvrant la possibilité d’organiser un peu leur vie, la banque leur a permis d’être moins dépendants, notamment des usuriers. Si 40 pays offrent désormais la possibilité à tout un chacun d’emprunter une somme d’argent modeste pour réaliser son projet, l’idée a mis du temps avant de s’installer dans les pays développés. Les décideurs faisaient la moue devant ces méthodes de pauvres. Mais crise économique oblige, la réalité s’est imposée : tous les moyens sont bons pour créer de l’emploi et sortir les plus démunis de la marginalité.

Muhammad Yunus est un économiste de 66 ans. Il a fait ses études aux Etats-Unis. Même s’il a déjà reçu une soixantaine de récompenses, il n’a pas boudé son plaisir face au Nobel : «Peu importe le nombre de prix que vous obtenez, c’est celui-ci qui compte… Je suis aussi fier pour tout le pays». La population du Bangladesh est majoritairement de religion musulmane. Contrairement à d’autres pays où cette religion est dominante, le Bangladesh n’a pas vu le statut des femmes régresser ces dernières années. Dans un pays où le revenu tourne autour de 250 dollars par an et par habitant, toute solution inventive pour sortir les habitants de la pauvreté a trouvé un écho. Mais décerner le Nobel de la paix à un homme qui aide les femmes de son pays à s’émanciper représente, par les temps qui courent, un petit pied nez aux consevateurs.  



par Colette  Thomas

Article publié le 13/10/2006 Dernière mise à jour le 13/10/2006 à 16:51 TU

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Frédérique Tissandier

Journaliste à RFI

«Le nouveau prix Nobel de la paix, Muhammad Yunus, est devenu le premier banquier à prêter de l'argent aux pauvres. »

[13/10/2006]

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