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Argentine-Iran

L'Iran au banc des accusés en Argentine

L'association Amia visée en 1994 par l'attentat antisémite croyait, elle aussi, à la piste iranienne retenue par les juges. 

		(Photo : AFP)
L'association Amia visée en 1994 par l'attentat antisémite croyait, elle aussi, à la piste iranienne retenue par les juges.
(Photo : AFP)

Douze ans après l'attentat du 18 juillet 1994 contre le siège de l'Association mutuelle israélite argentine (Amia) à Buenos Aires, qui avait fait 85 morts et 230 blessés, deux magistrats chargés de l'enquête demandent au juge fédéral, Rodolfo Canicoba Corral, de lancer un mandat d'arrêt international contre l'ancien président iranien Hachémi Rafsandjani et sept hauts dignitaires iraniens de l'époque, mais aussi contre un leader  du mouvement chiite libanais Hezbollah. Selon les deux juges, ces derniers auraient été les commanditaires de l'attentat. 


«L’attaque [du 18 juillet 1994 contre le centre culturel juif] a été décidée par les plus hauts responsables du gouvernement iranien de l’époque et exécutée par l’organisation terroriste libanaise Hezbollah», affirme Alberto Nisman, le magistrat qui dirige l’unité spécialement créée par l’actuel gouvernement argentin pour faire toute la lumière sur cet attentat qui fut le plus violent perpétré contre une institution juive dans le monde. Dans un dossier de 800 pages, le magistrat impute un unique mobile à l'Iran de Rafsandjani: punir l’Argentine après la suspension unilatérale de l’assistance technologique nucléaire jusque-là accordée à Téhéran. Ces accords avaient été conclus entre les deux pays sous le gouvernement du président Raul Alfonsin (1983-1989). Le président Carlos Menem avait décidé de les suspendre en 1991.  

Les juges argentins désignent Rafsanjani

Dans leurs conclusions, l’équipe de magistrats affirme que l’attentat a été  décidé le 14 août 1993, lors d’une  réunion dans la ville iranienne de Mashad, la ville sainte du chiisme. Selon les  juges argentins,  participaient en particulier à cette réunion l’ancien président Hachémi Rafsandjani (1989-1997), l’ancien  ministre de l’Information, Ali Fallahian, l’ex-ministre des Affaires étrangères, Ali Akbar Velayati, l’ex-commandant de la Garde révolutionnaire, le général Mohsen Rezai. L’ancien conseiller culturel de l’ambassade de l’Iran à Buenos Aires, Mohsen Rabbani, aussi aurait trempé dans cette affaire. Enfin, les magistrats avancent également le nom du chef des services de sécurité extérieure du Hezbollah, Imad Fayez Moughnieh, qui est par ailleurs recherché par les Etats-Unis.

Pour étayer ces accusations, les deux juges argentins s'appuient sur des déclarations de repentis et de dissidents iraniens. Ils font état également de sources telles que le Side argentin (les services secrets), le FBI américain et le Mossad israélien qui au lendemain de l'attentat de 1994 avaient accusé l’Iran et le Hezbollah. Les juges argentins assurent qu'ils ont pu valider ces accusations en les croisant avec d’autres éléments, tels que des appels téléphoniques. Une version des faits que Téhéran comme le Hezbollah ont toujours démentie.

Le deuxième bain de sang antisémite à Buenos Aires

L’attentat avait suscité une forte émotion de part le monde et, bien sûr, tout particulièrement au sein de la communauté juive d’Argentine, la plus importante de l’Amérique latine (300 000 personnes). Cette communauté très influente réclame justice depuis douze ans, exerçant une forte pression sur les autorités argentines. Et cela d'autant plus que deux ans auparavant, en 1992, l’ambassade d’Israël à Buenos Aires avait été la cible d’une attaque qui avait fait 22 morts, sans que les auteurs n’aient jamais été retrouvés.

Pour la communauté juive argentine, si l’enquête avait été correctement menée en 1992, l’attentat de 1994 contre l’Amia n'aurait peut-être pas eu lieu. Tous les gouvernements argentins successifs, à commencer par celui de l’ancien président Carlos Menem au pouvoir au moment des faits, ont été sévèrement critiqués pour l’absence de progrès dans les enquêtes sur ces attentats.

Sur la base d’un témoignage d’un agent des services secrets iraniens réfugié en Allemagne, Carlos Menem avait même été accusé d’avoir accepté de l’argent de l’Iran, dix millions de dollars qui auraient été déposés dans un compte en banque en Suisse, afin d'empêcher la poursuite de l’enquête sur le sanglant attentat contre l'Amia. Pour sa part, en 2005, son successeur, le président Nestor Kirchner avait reconnu la «responsabilité de l’Etat» dans les carences de la justice. C'était une première dans l'histoire argentine.

Les Etats-Unis félicitent Kirchner

De leur côté, les Etats-Unis avaient déjà félicité le gouvernement de Nestor Kirchner pour ses efforts à faire avancer l’enquête dans un sens qui visiblement leur convient. Reste que Buenos Aires va sans doute voir ses relations avec Téhéran se dégrader encore un peu plus. Déjà, juste après l’attentat, les deux pays avaient rompu leurs relations diplomatiques. Ces dernières années un rapprochement s’était ébauché avec l’envoi à Buenos Aires d’un chargé d’affaires iranien. Aujourd'hui, les juges argentins soufflent le froid.

La certitude affichée par les juges ne convainc pas la presse argentine. Le quotidien conservateur La Nacion, par exemple, leur reproche de «jouer avec le feu». Le journal de gauche, Pagina 12, relève de son côté qu'il est «difficile de prouver qui a été le commanditaire de l'attentat quasiment sans données sur les exécutants».



par Elisa  Drago

Article publié le 26/10/2006 Dernière mise à jour le 26/10/2006 à 18:46 TU