Santé
Alerte à la tuberculose ultra-résistante
(Photo : AFP)
L’heure est grave sur le front de la tuberculose. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) poursuit sa campagne contre les bacilles ultrarésistants d'une virulence souvent mortelle et en voie d'expansion. Après la réunion d’urgence à Genève d’un Groupe spécial mondial sur la tuberculose à bacilles ultrarésistants (9-10 octobre), un sommet de spécialistes s’est penché à Johannesburg sur l’émergence de «tuberculoses pharmacorésistantes virulentes» en Afrique australe (17-18 octobre). Des conférences de presse ont été organisées à Paris le 30 octobre par Médecins sans frontières, le 31 par l’OMS.
La situation s’aggrave. Début 2006, une étude de l’OMS et des CDC (Centers for Disease Control and Prevention) des Etats-Unis a décrit pour la première fois des cas de tuberculose à bacilles ultrarésistants aux traitements actuels. En Afrique du Sud, plusieurs dizaines de personnes sont mortes des suites de ces formes de tuberculose, qui apparaissent un peu partout dans le monde. On connaissait déjà la «tuberculose multirésistante» - jusqu’à 20% des cas dans certaines régions selon les CDC, avec une augmentation de 13% en une seule année -, on franchit donc un degré de plus dans la gravité : la tuberculose ultrarésistante ne laisse, selon l’OMS « pratiquement aucune possibilité de traiter les patients avec les antituberculeux actuels ».
Elle est ainsi définie : « Une résistance à au moins deux médicaments antituberculeux de première intention, la rifampicine et l’isoniazide (ce qui est la définition de la tuberculose multirésistante), à laquelle s’ajoute une résistance à une fluoroquinolone et à au moins un des trois antituberculeux injectables de deuxième intention (capréomycine, kanamicine et amikacine). »
- Comment est apparue la tuberculose-UR ?
Des traitements mal adaptés ou mal suivis ont favorisé l’apparition des résistances : « Une personne qui n’achève pas son traitement ou qui ne suit pas le bon traitement peut rester contagieuse, note l’OMS. Les bacilles présents dans ses poumons peuvent devenir résistants aux antituberculeux. Les personnes contaminées par elle présenteront alors la même souche pharmacorésistante. » Cette souche va ensuite se transmettre à de nouveaux malades.
La plus récente étude sur la multirésistance effectuée en France montre que, sur 72 malades multirésistants, 31 (43,1%) avaient déjà reçu un traitement antituberculeux (« résistance acquise »), mais 38 (52,7%) n’avaient jamais été traités (« résistance primaire »). Elle apporte aussi deux enseignements importants : la durée de traitement préconisée par l’OMS est rarement atteinte car « il semble difficile de convaincre les médecins et les malades de continuer pendant au moins 18 mois » ; d’autre part, les malades ont été, au fil du temps, pris en charge par des équipes médicales différentes, ce qui fait que chaque équipe étant confrontée à peu de cas, « n’a pas été en mesure d’acquérir une expérience solide de la prise en charge de ces malades difficiles à traiter » (BEH, n° 17-18/2005).
En Afrique, des études menées au Botswana, au Kenya ou en Ethiopie ont montré que les médecins ne sont pas assez formés au diagnostic et à la prise en charge de la tuberculose, et aussi qu’ils manquent de médicaments.
- Certaines régions sont-elles plus touchées ?
Oui, bien qu’elle ait été identifiée maintenant dans toutes les régions du monde, la tuberculose-UR est plus fréquente dans les pays de l’ex-Union soviétique et d’Asie. Alors qu’aux Etats-Unis, 4% des tuberculoses sont ultrarésistantes, le pourcentage est déjà de 15% en Corée du Sud, de 19% en Lettonie. En Afrique, peu de données son disponibles, mais les cas augmentent aussi. D’autant que le sida et les infections intercurrentes font craindre une aggravation rapide.
Lors de la récente flambée de tuberculose-UR au Kwazulu-Natal, sur les 53 patients identifiés (dont 44 testés VIH-positifs), 52 sont morts dans les vingt-cinq jours, y compris ceux qui prenaient des antirétroviraux. Les médecins ont constaté que la moitié des malades n’avaient jamais pris de traitements contre la tuberculose auparavant : ils auraient donc été contaminés par des porteurs de nouvelles souches, probablement à l’hôpital. En amont, toutes les situations de pauvreté avec malnutrition et multiples carences, ainsi qu’une hygiène de vie déficiente sont un terrain idéal pour que la maladie se développe.
- Certaines personnes sont-elles plus touchées ?
Oui. La conjonction tuberculose-sida est bien sûr à très hauts risques. Ici, l’affaiblissement immunitaire va empêcher la réaction normale de l’organisme face à Mycobactérium tuberculosis : soit il l’élimine rapidement (50% des cas), soit la personne devient un « porteur sain ». « Le principe du traitement antibiotique, explique le Dr Alain Gravet, médecin et biologiste ayant une longue expérience de la tuberculose, est de diminuer fortement le nombre de bactéries, de l’amener à un niveau tel que les défenses immunitaires puissent jouer leur rôle contre l’infection. Mais le sida diminuant l’immunité cellulaire qui permet de combattre le bacille tuberculeux, le traitement est d’autant plus difficile. Dans ce cas, l’éradication est plus difficile, les doses et/ou la durée de traitement sont augmentées, les risques d’échec augmentés.»
En Afrique, les nombreuses affections intestinales chroniques viennent affaiblir encore l’organisme. Une synthèse du journal nord-américain Gastroenterology fait apparaître que 50% des sidéens en souffrent dans les pays du Nord contre… 100% dans les pays du Sud : ces affections sont causées par des bactéries pathogènes, des virus, des champignons, des parasites. Les liens entre sida et schistosomiases ou amibiases intéressent de plus en plus les chercheurs. Par ailleurs, des scientifiques suédois viennent de montrer que la maladie coeliaque, qui touche l’intestin, multiplie par quatre les risques de tuberculose.
On sait aussi que ce risque est très augmenté chez tous les diabétiques (de type 1 et 2), de même que chez les graves insuffisants rénaux et les malades traités par chimiothérapie ou corticostéroïdes. On décrit maintenant des cas de tuberculose induits par des médicaments immunosuppresseurs utilisés en cas de Crohn, une maladie inflammatoire intestinale.
- Quel dépistage ? Quels traitements ?
Dans les zones de forte prévalence, l’examen de crachats au microscope est souvent le seul test disponible d’un prix abordable. Des chercheurs tentent de trouver des tests de dépistage plus rapides, plus fiables et moins chers. Selon une étude parue le 12 octobre dans le New England Journal of Medicine, un nouveau test appelé Mods (Microscopic-Observation-Drug-Susceptibility), nécessiterait seulement 7 jours de culture en moyenne, aurait un taux de fiabilité de 97,8% et, de plus, détecterait des résistances aux antibiotiques. Le rêve… Mais d’autres recherches sont en cours qui devraient aboutir dans les cinq années à venir.
Côté traitements, l’impasse actuelle est tragique. Déjà, les antibiotiques de deuxième ligne, utilisés en cas de tuberculose multirésistante, sont moins efficaces, et beaucoup plus toxiques et chers que ceux de première ligne : plus de 13 000 euros pour un seul patient. Ce coût peut toutefois, via une facilité d’achat créée par l’OMS, tomber à 2 000 ou 3000 euros. Les effets secondaires sont tellement lourds à supporter qu’un patient sur deux, selon MSF, peut l’abandonner : il se met alors en péril et demeure contagieux. L’éthionamide, très toxique notamment pour le foie, fait en France l’objet du programme Ethionamide Boost, coordonné par l’Institut Pasteur : deux années de travail ont permis d’identifier des composés capables de réduire de dix fois la dose nécessaire pour tuer la mycobactérie en culture et donc, en principe, la toxicité ; mais il faudra encore des années avant qu’une molécule ne parvienne en pharmacie.
Sur des sidéens, les traitements antituberculeux peuvent avoir des effets très lourds. Outre que des antibiotiques inhibent certains antirétroviraux, ou que ceux-ci peuvent aggraver transitoirement la tuberculose, une étude japonaise montre qu’on constate chez un malade sur trois, des éruptions, de la fièvre, une baisse de la fonction hépatique. Plus grave : une synthèse d’études réalisée par des universitaires canadiens (Annals of Pharmacotherapy, septembre 2006), portant sur 15 années, montre que les molécules antimycobactériennes peuvent même déclencher des réactions allergiques mettant la vie en danger. Conclusion des scientifiques : « Les effets de ces traitements sont responsables d’une nette augmentation de la morbidité et de la mortalité chez des patients HIV-positifs. Des recherches sur ces interactions sont nécessaires. »
- Quelles recherches ?
Les recherches – bien insuffisantes selon Médecins sans frontières et l’OMS - se poursuivent afin de mettre au point de nouvelles molécules contre le bacille de Koch. Elles visent aussi à augmenter la « tolérance » des molécules. Des programmes européens sont en cours : « New medicines for tuberculosis » et « Structural proteomics in Europe ». Mais si une impulsion politique (et financière) décisive n’est pas donnée, les médecins ne disposeront pas de nouveaux outils avant une dizaine d’années, au mieux.
Côté molécules naturelles, des plantes du monde entier, utilisées traditionnellement en cas de tuberculose, y compris en Afrique, sont testées in vitro par des scientifiques avec les méthodes les plus modernes. Des principes actifs contenus dans des plantes du Mexique, d’Ethiopie, d’Afrique du Sud, du Pérou, d’Arabie saoudite ou de Nouvelle Calédonie, entre autres, ont des actions à ce jour vérifiées, y compris sur des mycobactéries multirésistantes. Au Mexique, par exemple, un extrait de Lantana hispida s’est montré efficace contre toutes les souches multirésistantes de tuberculose, tandis qu’un extrait d’Amborella trichopoda de Nouvelle calédonie « a montré une action comparable à celle de médicaments de référence comme le pyrazynamide ou l’éthambutol. » Testées actives depuis longtemps, certaines huiles essentielles, contenant notamment des phénols, font l’objet de nouveaux travaux dans deux universités françaises. Une étude contre placebo a montré que les stérols et les stérolines, des acides gras végétaux naturels, devraient être intégrés dans des traitements complémentaires de la maladie.
- Quelles stratégies ?
Pour prévenir la propagation de la tuberculose pharmaco-résistante, l’OMS souligne qu’il faut, plus que jamais, « renforcer la lutte antituberculeuse dans les pays ». Cela implique de meilleurs diagnostics, « la mise au point de nouveaux médicaments », « l’amélioration des conditions de la prise en charge ». Et aussi une amélioration des conditions de vie puisque la pauvreté est la cause première de la tuberculose et de nombreuses autres maladies… En attendant, des « équipes d’experts pourront être envoyées à la demande des pays. »
En France, la prise en charge individuelle comprend une polychimiothérapie de cinq antibiotiques pendant 18 à 24 mois. Des suppléments polyvitaminiques peuvent être conseillés, ainsi qu’un suivi psychologique visant à une meilleure observance. La nutrition devrait être mieux prise en compte. Le Dr Alain Gravet pense que « le traitement doit être global, c’est évident. La tuberculose survient généralement sur un terrain fragilisé. La promiscuité, une alimentation insuffisante sont des facteurs favorisant la maladie », mais aussi » une diminution de l’efficacité du traitement. » Le Dr Philippe Goëb, qui a traité des tuberculeux en Inde, a constaté bien souvent que « sur des organismes gravement déminéralisés et anergiques, les thérapies, qu’elles soient allopatiques ou naturelles, ne marchent plus. Il est indispensable, d’abord, de reminéraliser, d’améliorer la vitalité, de restaurer les tissus conjonctifs nourrissant toutes les muqueuses. De rechercher une reprise de la réactivité qui permettra ensuite aux traitements d’être efficaces. »
par Henriette Sarraseca
Article publié le 31/10/2006 Dernière mise à jour le 31/10/2006 à 18:06 TU