Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Tchad

Violences interethniques dans l’Est

Dans la région de Goz-Beida, tribus arabes et non-arabes s’affrontent depuis le début du mois dans deux provinces, le Salamat et le Ouaddaï. Le bilan, encore provisoire, est de plus de 220 morts. On compte également des centaines de blessés et des milliers de déplacés.

Des déplacés au Tchad (Photo : Sonia Rolley/ RFI)
Des déplacés au Tchad
(Photo : Sonia Rolley/ RFI)

De notre envoyée spéciale à Goz-Beida, dans le Ouaddaï

« Nous avons tout perdu », explique le chef du village de Tamajour, Moussa Mahagir« Des arabes sont arrivés à cheval, ils ont commencé à tirer et à brûler le village. On a essayé de se défendre, mais on n’a rien pu faire ».

Tamajour a été attaqué mercredi dernier. Comme plus d’une dizaine d’autres villages du Ouaddaï, les greniers et les cases ont été presque entièrement brûlés. Les attaques se sont déplacées de village en village, à partir du sud-est de Goz-Beida. Les populations visées sont essentiellement des Mouros et des Dadjos, des tribus non-arabes de la région.

« Des villages brûlés, des habitants qui errent dans les ruines sous le choc, ces scènes nous rappellent la crise du Darfour », explique Helen Caux, porte-parole du Haut commissariat des Nations-unies pour les réfugiés (HCR), présente sur place. « Tous les témoignages que nous avons recueillis nous portent à croire qu’il s’agit là d’attaques organisées et préméditées ».

La panique gagne tous les villages de la région

Un village brûlé. (Photo : Sonia Rolley/ RFI)
Un village brûlé.
(Photo : Sonia Rolley/ RFI)
 

Les villageois de Tamajour se trouvent, comme ceux de dizaines d’autres villages, autour de Goz-Beida. La présence des autorités locales et du personnel humanitaire dans la ville les rassure. Assis sous les arbres, ils se sont installés assez sommairement, avec les quelques biens qui leur restent, quelques nattes et morceaux de tissus.

« Le nombre augmente tous les jours », explique un agent du HCR. « Mais c’est assez difficile d’établir un chiffre, ils sont partout, par petit groupe, sous chacun des arbres ». Des femmes et des enfants chargés de toutes sortes de marchandises, nattes, matelas, ustensiles de cuisine, provisions, se dirigent à dos d’âne vers Goz-Beida. Ces colonnes de déplacés n’ont pas subi d’exactions, elles fuient par anticipation.

La panique gagne tous les villages de la région. « Les Arabes ont prévenu la veille qu’ils vont attaquer, qu’il faut réunir le bétail », explique Mahamat, un jeune garçon d’une vingtaine d’années. « C’est pour ça qu’on veut partir à Goz-Beida. Ils ont même tué quelqu’un. On a trouvé son corps et on a programmé de l’enterrer. C’était un survivant de Djorlo (village détruit) qui avait fui après les attaques ».

Des hommes restent dans les villages désertés ou patrouillent autour des sites de déplacés pour assurer la sécurité. Ils ne disposent que d’armes traditionnelles, arcs, flèches et lances. « Une flèche ne peut rien faire face à des armes », déplore Mahamat, conscient du déséquilibre entre leurs armes et les kalachnikovs de leurs assaillants.

« L’Etat doit intervenir »

La plupart des survivants affirment que ces attaques proviennent de tribus arabes voisines. A une dizaine de kilomètres de Goz-Beida, se trouvent les premiers villages arabes. L’un de leurs habitants, Ousmane, dément toute participation de sa communauté. « Nous ici, nous sommes des Arabes Salamat. Nous vivons avec les Dadjos depuis très longtemps et sans problème », assure-t-il. « Je prie Dieu et les autorités de tout faire pour que les exactions cessent. Ca n’avait jamais eu lieu comme ça avant. Et je ne souhaite pas que ça continue ».

Ce ne sont pas les premiers affrontements entre tribus arabes et non-arabes dans l’Est du Tchad. Les tensions se cristallisent souvent autour de l’accès aux pâturages et aux points d’eau. Mais aucun humanitaire n’est pour le moment en mesure d’expliquer cette soudaine explosion de violence.

Des milliers de déplacés affluent vers Goz-Beida, mais aussi vers la ville de Koukou, qui se situe à côté de camps de réfugiés soudanais du Darfour. Les chefs traditionnels tentent en vain de les convaincre de rester dans leurs villages, lorsqu’ils ont été épargnés. Car c’est bientôt la période des récoltes.

« Si l’Etat veut le bien de ses populations, il doit intervenir. Car non seulement elles vont se retrouver sans rien, mais si elles ne peuvent pas rentrer en possession de leur récolte, ça va peser sur toutes les régions environnantes et sur la sécurité alimentaire du pays en général, car tout vient d’ici », explique Moursal Bauche Mahamat, le chef des cantons de Goz-Beida et adjoint du sultan.

Les forces de sécurité étaient quasiment absentes de la zone, jusqu’à l’arrivée, vendredi, six jours après le début des exactions, des premiers renforts. Après l’incursion des rebelles le 22 novembre dernier dans la ville de Goz-Beida, le gouvernement avait envoyé des troupes. Elles sont restées stationnées quelques jours avant d’être envoyées au front.

par Sonia  Rolley

Article publié le 11/11/2006 Dernière mise à jour le 11/11/2006 à 10:50 TU