Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Littérature

Etonnants Voyageurs : retrouvailles bamakoises

6<sup>ème</sup> festival international du livre, du 20 au 26 novembre 2006. 

		(Photo : DR)
6ème festival international du livre, du 20 au 26 novembre 2006.
(Photo : DR)
Un nouveau calendrier pour le festival Etonnants Voyageurs de Bamako. Novembre plutôt que février. Mais la même attention portée à la littérature africaine. Et plus globalement, francophone. Une édition 2006 qui ne manquera pas d’ailleurs de fêter l’un de ses plus fidèles globe-trotters, le Franco-Congolais Alain Mabanckou, tout auréolé de son récent Prix Renaudot. Alain Mabanckou face à Jean Rouaud, l’une des affiches prometteuses de ce nouveau rendez-vous africain. Premiers pas en Afrique en effet pour le Prix Goncourt 1990. Dans l’immédiat, l’auteur des «Champs d’honneur» répond à nos questions. Invité également, le Malien Ousmane Diarra qui a publié cette année son premier roman, «Vieux lézard».

L'écrivain Jean Rouaud. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : Catherine Hélie / Gallimard)
L'écrivain Jean Rouaud.
(Photo : Catherine Hélie / Gallimard)

Jean Rouaud au Mali. Il fallait donc que ses convictions le démangent pour le décider, à 54 ans, à fouler pour la première fois de sa vie le continent africain. L'amener à traduire ses paroles en acte. «La langue française a quitté l'île de la cité pour composer un archipel», écrit l'auteur de L'imitation du bonheur dans un texte-profession de foi intitulé Pour une littérature-monde en français. Texte sur lequel le Prix Goncourt 1990 devrait s'expliquer jeudi prochain lors d'une conférence prévue devant des étudiants de Bamako. En attendant de quitter le vieux continent,  Jean Rouaud a accepté de nous faire part de ses attentes.

RFI : Q'attendez-vous, qu'appréhendez-vous (peut-être) de ce séjour ?

Jean Rouaud : La découverte absolue. C’est la première fois que je vais en Afrique.

RFI : L'Afrique pour vous c'est quoi ?...La 2 CV de Jean Rouch ou un package «Nouvelles frontières» en Casamance ?

J R : L’Afrique n’était pas dans mes désirs de voyage. J’y vais vraiment avec l’idée de rencontrer les écrivains africains. Je n’aurai vraisemblablement pas vu grand-chose de l’Afrique à mon retour, mais j’aurai eu des conversations passionnantes, j’aurai appris quel lien les auteurs entretiennent avec cette langue que nous partageons, et comment ils s’en servent pour dire le monde.

Au menu de votre feuille de route, entre autres, une rencontre avec des lycéens et une conférence à l'Université. Qu'aurez-vous envie sinon de leur dire du moins de partager avec eux ?

J R : Vous en savez plus long que moi. Je leur parlerai de la relation difficile des auteurs du pays de France avec le roman, et comment il me semble qu’on en a fini avec l’ère du soupçon. J’écouterai ce qu’eux ont à me dire sur cette question. Comment ils abordent le récit, la question de la forme, est-ce qu’ils ont senti ce discrédit du roman avec lequel nous avons dû ici composer.

L'intitulé de votre conférence, «Pour une littérature-monde en français»... Avec le prix Renaudot à Alain Mabanckou, on a donc raison de prendre ses désirs pour la réalité ? 

J R : Il ne s’agit pas de désirs mais de réalité. Il fallait ne pas vouloir voir pour n’avoir pas senti ce mouvement qui pour la première fois s’émancipe du berceau de la langue.

Y a-t-il des auteurs originaires du continent africain et présents pour cette nouvelle édition qu'il vous tarde de rencontrer ? Et pourquoi ?

J R : Je viens pour apprendre, connaître et échanger.

Y a-t-il un livre qui dans votre enfance ou dans votre adolescence vous a fortement marqué ?

J R :  A quinze ans, la lecture de L’enfant élu, d’Ernst Wiechert, un merveilleux écrivain allemand, pour moi un éblouissement.

Vous citez un livre (allemand) qui a ébloui vos jeunes années mais en existe-t-il un dans la littérature francophone dont la lecture vous a convaincu que l'appellation "roman français" pouvait avoir quelque chose d'étriqué ?

J R : L’hiver de force de Réjean Ducharme qui devrait être considéré à l’égal du Voyage au bout de la nuit, c’est-à-dire un roman-phare de la littérature de langue française. (Personne ne parle le francophone). Et qui l’aurait sans douté été si Ducharme avait été français au lieu d’être québécois.

 Et dans votre valise, jetterez-vous un "objet-fétiche", livre ou autre ?

J R : Comme d’habitude, des livres.

L'imitation du bonheur aux éditions Gallimard. (2006)


L'écrivain Ousmane Diarra. &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo : Catherine Hélie / Gallimard)
L'écrivain Ousmane Diarra.
(Photo : Catherine Hélie / Gallimard)

Figure incontournable du festival, Ousmane Diarra. Conteur, poète, il a publié cette année son premier roman, Vieux lézard que d'aucuns ont pu découvrir lors du dernier salon du livre de Paris, dédié aux auteurs francophones. Contrairement à nombre d'écrivains originaires d'Afrique, Ousmane Diarra n'a pas quitté son pays natal, le Mali, où il exerce le métier de bibliothécaire. Avant d'accueillir la caravane des Etonnants Voyageurs à Bamako à partir du 22 novembre, Ousmane Diarra est à Koulikoro, l'une des 9 étapes de la décentralisation, une opération lancée en 2003.     

RFI : Vous êtes un fidèle des Etonnants Voyageurs, que représentent pour vous ces rencontres entre écrivains vivant en Afrique et les écrivains de la diaspora ?...Que vous apportent-elles ?

Ousmane Diarra : Beaucoup de choses, dont «mon propre désenclavement intellectuel !». Et je crois que cela est valable pour beaucoup d'autres Maliens. Je sais désormais que je ne suis pas seul au monde ! Et que je dois tenir compte de ce qui se pense ailleurs. Ce que le festival m'a apporté ? Une vue plus large du monde, et ma détermination d'aller au roman. Auparavant, j'écrivais des nouvelles, des contes et de la poésie.

Le souvenir d'une rencontre qui vous aurait ému...voire aidé...

O D : Mes meilleurs souvenirs, ce sont mes rencontres avec des écrivains célèbres de différentes cultures, de langues différentes, des francophones comme des anglophones. Je me suis souviens de ma rencontre avec Laurent Gaudé en 2005, à Ségou. Il venait d'avoir le Prix Goncourt. Nous prenions nos repas à la même table. Je n'avais pas encore publié de roman...Pourtant, on discutait d'égal à égal. Sa grande modestie et la considération qu'il eut pour moi m'ont aidé à avoir confiance en moi-même. Nous continuons à nous écrire et à nous rencontrer à l'occasion.

RFI :  Selon vous, ce festival a t-il un réel impact auprès du public plus jeune ? Ces Etonnants Voyageurs ont-ils réussi à amener des étudiants à la lecture, par exemple...

O D :  Je le crois, et c’est même certain. C'est une chance pour eux, et ils l'ont compris. C'est pourquoi, quand le festival a été reporté à novembre (il se faisait en février), ils n'ont pas arrêté de me harceler de questions : A quand donc Etonnants voyageurs ? Ils étaient inquiets. Ils avaient peur que cela s'arrête. ça ne s’arrêtera pas s'ils s'impliquent davantage en participant aux débats.

Vous même qui travaillez au Centre Culturel Français de Bamako, que faites-vous passer comme message auprès des enfants ou adolescents qui viennent au CCF ?

O D :  Je leur dis qu'il n'y a pas pire violence que l'ignorance et l'enfermement sur soi. Le livre est une ouverture sur les autres, sur le monde, un appel à humanité...

Mais en même temps, n'est-ce pas dérisoire un livre dans un pays où les besoins sont énormes ?

O D : Dérisoire ? Mais pas du tout. A moins qu'on nous prenne pour des bêtes qu'il suffit de gaver ! Le livre et la lecture, n'est-ce pas aussi des besoins aussi vitaux que la nourriture ? Pourquoi apporte-t-on des livres aux détenus ? Celui qui m'apporte de la nourriture me maintient en vie. Je l'en remercie. Celui qui m'apporte des livres, donc les sources du savoir, fait de moi un homme à part entière, et m'invite à participer à l'humanité, à son progrès. C'est mon point de vue.

Y a -t-il eu un livre dans votre enfance, dans votre adolescence qui vous a donné le goût de la littérature, justement ?

O DLes Misérables de Victor Hugo, plus précisément, un extrait qui parlait de la vie de Cosette. Je ne sais plus dans quel manuel. Orphélin moi-même depuis à l'âge de deux ans, je m'idientifiais un peu à elle.Plus tard viendront d'autres livres pour nourrir et renforcer cette envie.

Vous travaillez au CCF, vous ne pouvez donc pas consacrer tout votre temps à l'écriture...Sans compter les difficultés pour se faire éditer sur place...Etre écrivain en Afrique, avez-vous l'impression que c'est un peu un défi qu'on se lance à soi-même ?

O D : Un écrivain, me semble-t-il, est seul où qu'il se trouve. Et qui dit solitude dit marginalisation. Cependant, force est de reconnaître que cette situation devient encore plus difficile en Afrique où l'avis de la communauté est considérés comme plus important que celui de l'individu. Quand s'y ajoutent les questions de survie, écrire devient un défi, pire, un acte de rébellion, suicidaire... J'ai vu des cadres perdre leur poste pour avoir publié un roman. On s'est tout simplement dit que s'ils ont le temps d'écrire, c'était qu'ils ne foutaient rien à leur poste ! C'est dramatique, non ?

Connaissez-vous des moments de découragement parfois...Ou au contraire, pour vous l'écriture serait comme une bouée ?

OD : Plutôt comme une bouée de sauvetage, mais aussi, avec des moments d'anxiété...Au point qu'on en arrive souvent à douter de soi-même, de ce qu'on fait. A se demander si l'on est pas «réellement fou». Et puis on continue quand même pour ne pas devenir «réellement fou !» De toute façon, on n'a pas d’autre choix pour échapper à la folie.

(Photo : Gallimard)
(Photo : Gallimard)

Votre roman Vieux Lézard a été publié chez Gallimard...Une satisfaction sûrement, mais n'est-ce pas un peu frustrant...de devoir passer par la métropole...

O D : Je ne ressens aucune frustration. Au contraire, chez Gallimard, je me sens comme chez moi, en famille. Parce que si dans mon roman, je parle de mon pays, j'écris quand même pour tout le monde. Je me fais publier où je trouve un éditeur, en France ou ailleurs, capable de diffuser mon livre.

Mais le sujet de votre livre s'adresse aussi et surtout à vos compatriotes...


O D
: Bien sûr qu'il s'adresse surtout à mes compatriotes. Mais je le répète, j'écris surtout pour n'être complice de personne !

 Et le fait d'écrire en français...Par plaisir ou sous la contrainte ?

O D : Par destin d'abord ! J'ai appris à écrire en français. J'ai fini par y trouver mon compte et mon plaisir dans ce destin...

Le Prix Renaudot à Alain Mabanckou, autre fidèle des Etonnants voyageurs, cela vous inspire quel commentaire ?

O D : Tout d’abord, Alain Mabanckou, je le félicite. Il a bien mérité ce prix, et bien d'autres. Et il y en a d'autres qui l'attendent. Il est jeune, talentueux, a de la suite dans les idées, je veux dire de l'imagination. C'est un ami. Nous nous connaissons depuis la première édition du festival Etonnants voyageurs. Et nous sommes fiers de lui. Son ascension est la preuve qu'à Etonnants voyageurs, on ne s'est pas trompé. Nous partageons son succès qui est aussi, à mon humble avis, celui de tous les écrivains du continent et de la diaspora.

Vieux lézard aux éditions Gallimard, collection Continents noirs. (2006)



par Elisabeth  Bouvet

Article publié le 17/11/2006 Dernière mise à jour le 17/11/2006 à 15:59 TU