Union européenne-Turquie
Un tout petit pas d'Ankara

La Turquie a proposé l'ouverture, pendant un an, d'un port et d'un aéroport aux navires et avions chypriotes grecs pour éviter une suspension des négociations d'adhésion avec l'Union européenne. Ankara attend un règlement de la question chypriote pendant ce délai. La Turquie attend aussi que l'Union européenne mette fin à l’isolement du nord de l’île, la République turque du Nord de Chypre, reconnue jusqu’ici uniquement par Ankara. Cette proposition intervient à un moment crucial, alors que les ministres des Affaires étrangères des 25 pays membres de l'UE devraient prendre des décisions sur ce dossier lundi prochain, avant le sommet européen des 14 et 15 décembre prochains.
La Turquie a semé la confusion au sein de l’Union européenne en présentant une proposition de dernière minute. Les ambassadeurs de l’Union européenne étaient déjà réunis pour débattre d’une éventuelle suspension des négociations en vue de son adhésion à l’UE, si la Turquie continuait de refuser d’ouvrir ses ports et aéroports aux bateaux et avions chypriotes.
Tout a commencé jeudi matin par une information de source finlandaise, selon laquelle la Turquie avait fait un geste en acceptant d’ouvrir un port et un aéroport aux navires et avions chypriotes grecs. Les autorités d’Ankara ont toutefois refusé de commenter cette information, se contentant de déclarer que «les négociations sur ce dossier sont encore en cours». Pendant que les autorités turques maintenaient le silence, les informations se succédaient.
La télévision turque NTV a annoncé qu’il s’agissait d’une mesure temporaire d’un an, le temps de permettre une solution globale, pour l’île de Chypre. Selon cette information, la Turquie proposerait une relance des pourparlers à partir du 1er janvier 2007, sous l'égide des Nations unies, pour aboutir avant la fin 2007 à une réunification de l'île.
Pour sa part, le ministre finlandais des Affaires étrangères, Erkki Tuomioja, dont le pays assure la présidence de l'UE jusqu’à la fin de l’année, a confirmé que les autorités turques acceptaient d’ouvrir «un grand port» turc aux navires chypriotes grecs sans toutefois évoquer l’ouverture d’un aéroport. Selon le chef de la diplomatie finlandaise, cette offre serait «positive» si elle était inconditionnelle.
Du donnant-donnant
En fait jeudi en fin de journée, la Turquie confirmait enfin officiellement qu’elle était prête à ouvrir un port maritime et un aéroport pendant une période d’un an, en attendant un règlement de la question chypriote, dans ce délai. D’autre part, Ankara pose d’autres conditions. Elle attend que l’UE lève les mesures d’isolement économiques et commerciales qui frappent le nord de l’île, «la République turque du Nord de Chypre», jusqu’ici reconnue seulement par Ankara. L’île de Chypre est divisée depuis 1974, lorsque l’armée turque a envahi le nord de l’île, suite au coup d’Etat des ultra-nationalistes chypriotes grecs qui voulaient rattacher l’île à la Grèce.
La République de Chypre a catégoriquement rejeté l'offre d'Ankara d'ouvrir «un grand port» turc aux navires chypriotes. De son côté, la Commission européenne a jugé que l'initiative turque était un «pas important». L’Allemagne, qui assure à partir de janvier prochain la présidence de l’UE pour six mois, a qualifié cette proposition turque d' «élément positif». Pour sa part, la France attendait, jeudi à mi-journée, «des précisions sur la portée de ce geste éventuel». La Grèce attendait une proposition «claire et définitive» tout en exprimant des réserves quant à une éventuelle décision turque d'ouvrir un port et un aéroport aux navires et avions chypriotes. Alors que l’Italie disait y voir une «une ouverture».
Cette proposition turque semble brouiller la donne et risque d’accroître encore les divergences parmi les 25 pays de l’UE, alors que les ministres des Affaires étrangères de l’UE devraient trancher sur le dossier turc le lundi 11 décembre. Beaucoup d’observateurs affichent leur scepticisme quant à la possibilité de parvenir à un consensus avant le sommet des 14 et 15 décembre prochains.
Depuis des mois, l’Union européenne menace de suspendre les négociations d’adhésion de la Turquie à l’UE si celle-ci ne reconnaît pas Chypre, qui a adhéré à l’UE en 2004. En effet, le «protocole d’Ankara», signé en juillet 2005, prévoyait que la Turquie s’engage à étendre son union douanière aux dix nouveaux Etats membres qui ont adhéré à l’UE en 2004. Néanmoins, jusque-là, Ankara avait refusé d’appliquer ces engagements à la République de Chypre, ne reconnaissant pas cet Etat dirigé par les Chypriotes grecs.
«Erreur historique»
La semaine dernière, la Commission européenne avait proposé le gel d’une partie des pourparlers d’adhésion de la Turquie à l’UE. Dans ce contexte, le négociateur turc Ali Babacan a entamé en Estonie une tournée des pays baltes, cherchant à obtenir le soutien de nouveaux pays de l’UE. Ankara considère que «la question chypriote ne doit pas jouer sur les relations entre l’UE et la Turquie». Le chef de la diplomatie estonienne, Urmas Paet, lui a apporté son soutien jugeant disproportionnée la réaction de la Commission européenne.
L’Allemagne avait envisagé de proposer dix-huit mois supplémentaires avant une décision sur la reprise des négociations pour l’adhésion de la Turquie. Une idée toutefois critiquée par la Commission européenne qui s’est opposée à l’imposition de délais rigides à la Turquie sur ses obligations vis-à-vis de Chypre. Cette proposition a provoqué la colère de la Turquie qui l’a qualifiée d’«erreur historique».
Finalement l’Allemagne a entendu le message. La chancelière, Angela Merkel, qui s’apprête à prendre la présidence de l’UE dès le 1er janvier prochain, a adouci sa position. Mardi dernier, soutenue par le président français Jacques Chirac, Angela Merkel, a finalement proposé que la Commission européenne établisse un rapport sur les négociations d’adhésion de la Turquie, entre les élections turques à l’automne 2007 et les élections européennes au printemps 2009.
par Elisa Drago
Article publié le 07/12/2006 Dernière mise à jour le 07/12/2006 à 17:59 TU