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Environnement

L’Europe plonge au fond des éprouvettes

Deux employés du laboratoire Sanofi-Synthélabo contrôlent les stocks de produits chimiques. 

		(Photo : AFP)
Deux employés du laboratoire Sanofi-Synthélabo contrôlent les stocks de produits chimiques.
(Photo : AFP)
Nous cohabitons quotidiennement avec 100 000 substances chimiques. Ces molécules sont présentes partout. Meubles, revêtements, peintures, textiles, produits de nettoyage, plastiques, insecticides, jouets, cosmétiques… en sont bourrés. Dans les pays industrialisés où tout est censé être contrôlé, on peut s’étonner de découvrir que sur les 100 000 substances commercialisées dans l’Union européenne (UE), seules 3 000 ont été étudiées, en fait celles qui ont été mises sur le marché depuis 1981. La réalité est encore pire : en fait, en terme de volume, 99 % des produits chimiques sur le marché européen ne sont pas contrôlés. Le texte qui a été voté mercredi à Strasbourg, le règlement «Reach», a justement pour objet d’obliger les industriels à tester les substances qu’ils utilisent et à prouver qu’elles sont sûres. Il s’agit de la première législation au monde sur le contrôle des produits chimiques. Elle entrera en vigueur le 1er juin 2007.

Pour le rapporteur du texte, le socialiste italien Guido Sacconi, «Reach» (acronyme anglais pour Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques) est tout simplement «la législation la plus ambitieuse du monde pour les générations futures». Elle devrait en effet permettre le contrôle d’ici 2018, des quelque 3 000 substances chimiques potentiellement dangereuses pour la santé humaine et l’environnement. Les industriels devront faire enregistrer les molécules qu’ils utilisent, auprès d’une agence européenne basée à Helsinki, qui sera mise en place en 2008. C’est cette agence qui évaluera les substances et décidera de les autoriser ou non. Présents partout, ces produits chimiques sont en effet fortement soupçonnés d’être en cause dans l’augmentation de la fréquence des allergies, de la survenue de certains cancers, notamment chez l’enfant, ou encore de l'accroissement du taux d'infertilité.

Une injustifiable concession

Grâce à Reach, ce ne sera plus aux autorités publiques de démontrer la nocivité d’un produit, mais aux industriels de prouver qu’ils sont sûrs. Alors que le projet initial prévoyait d’obliger les industriels à remplacer les substances les plus dangereuses (celles par exemple, ayant des effets perturbateurs sur le système hormonal comme le plomb, les métaux lourds…) par des alternatives, le texte actuel autorise qu’elles puissent continuer à être utilisées, si les risques sont «adéquatement contrôlés», si les bénéfices sociaux-économiques l’emportent sur les risques et si aucune alternative plus sûre n’existe.

Faute d’alternative, les producteurs devront présenter un plan de recherche et de développement, pour en trouver une. Cette modification constitue, pour les associations écologistes comme Greenpeace, une «injustifiable concession accordée au lobby de l’industrie chimique qui va maintenir l’ignorance sur 60% des 30 000 substances couvertes par Reach». Il faut savoir en effet que le texte ne concerne que les substances fabriquées ou importées dans l’UE pour des quantités supérieures à une tonne par an. Par ailleurs, 15 000 substances ne suscitant pas d’inquiétude particulière, seront exemptées de tests toxicologiques. Alors que les conservateurs, les socialistes et les libéraux démocrates ont approuvé le texte, la Gauche unitaire européenne et les Verts ont rejeté ce qu’ils appellent «une opportunité ratée pour l’Europe».

Réaction mitigée des industriels

Après des années de pressions intenses et quotidiennes sur les négociateurs, les industriels ne se sont pourtant réjouis que du bout des lèvres du vote du Parlement. Pour Alain Perroy, du Groupement des industries chimiques européennes (Cefic), «cela va créer des incertitudes et affecter des décisions d’investissement en Europe» ; il reconnait cependant que cela dépendra de la mise en œuvre concrète de Reach. Cette réglementation a pourtant été très édulcorée, certains disent même, vidée de sa substance.

Le rapporteur Guido Sacconi préfère, quant à lui, dire «qu’il a dû mettre de l’eau dans son vin» ajoutant aussitôt «que l’important, c’est qu’il y ait une réglementation». Le Parlement a dû en effet se montrer «réaliste» et tenir compte du poids de l’industrie chimique des 25 qui emploie 1,7 million de personnes dans 27 000 entreprises avec un chiffre d’affaires de 613 milliards d’euros par an. Cette industrie craint surtout de perdre en compétitivité estimant que la nouvelle loi va lui coûter 2,3 milliards d’euros. Une somme à mettre en regard des 50 milliards d’euros d’économie attendus en matière de santé en trente ans. Ainsi, on peut dire que si une loi de ce type avait existé dès les années 70, le scandale de l’amiante ne se serait pas produit.

Cette loi qui ne satisfait finalement ni les industriels et encore moins les écologistes, ravit cependant les laboratoires d’expertises toxicologiques. En France, certains d’entre eux comme le CIT (centre international de toxicologie) basé à Evreux, a déjà investi 23 millions d’euros dans de nouvelles installations. Numéro deux de la chimie européenne, derrière l’Allemagne, la France devra procéder à l’évaluation de 16% des produits chimiques qu’elle produit, en vertu de la nouvelle loi. Jusqu’à présent, la France était plutôt en retard quant eux moyens mis en place pour ces activités. Elle devra donc mettre les bouchées doubles pour se conformer à Reach.

par Claire  Arsenault

Article publié le 13/12/2006 Dernière mise à jour le 13/12/2006 à 15:48 TU