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Culture

Un tramway nommé des arts…

(Source : Mairie de Paris)
(Source : Mairie de Paris)
Inauguré ce samedi 16 décembre 2006, sur un premier tronçon intra-muros dans le sud de la capitale, le tramway parisien fait un retour remarqué. Après Nantes, Grenoble, Bordeaux, Caen ou Montpellier – qui inaugurait ce même samedi une deuxième ligne – Paris entame à son tour la réhabilitation de ce moyen de transport censé contribuer à la diminution de la pollution dans les grandes villes et à réduire la circulation automobile. Avec une originalité dans la capitale, où la mise en place du tramway s’est accompagnée d’une très importante commande publique d’œuvres d’art contemporain, installées de manière pérenne sur le parcours du tram.

«Un moment de beauté partagée» : telle est l’ambition affichée par la Mairie de Paris, avec la sollicitation d’artistes connus pour intervenir sur le trajet du tramway. Le résultat : neuf œuvres de huit artistes différents, qui s’inscrivent chacune dans un lieu choisi en concertation avec la ville, les artistes et les riverains. Une démarche à la fois artistique, en organisant la rencontre entre l’art contemporain et les parisiens, et urbanistique, les artistes ayant pour seule contrainte d’articuler leur œuvre à la ville, au quartier, pour qu’à travers elle, les habitants puissent aussi se réapproprier des espaces devenus invisibles à force d’être familiers.

(Source : Mairie de Paris)
(Source : Mairie de Paris)

Téléphone

Tout comence, ou finit, sur le pont du Garigliano qui relie les 15ème et 16ème arrondissements… Au milieu du Pont se déploie sur cinq mètres de hauteur une fleur monumentale composée de six pétales métalliques à l’aspect de papier froissé qui fait furieusement penser au Musée Guggenheim de Bilbao. Rien d’étonnant puisque les deux réalisations ont le même auteur : l’architecte et designer canadien Frank O.Gehry. Cette fleur abrite un téléphone, qui de temps en temps sonnera, et le passant qui décrochera aura au bout du fil… Sophie Calle, l’artiste française qui a conçu le projet et s’est engagée à se rendre disponible pendant trois ans, pour appeler «quand bon lui semblera», car, ajoute-t-elle «C’est plus mystérieux de parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas… Et puis, on peut raccrocher». L’œuvre s’appelle tout simplement Le téléphone.

From Boullée to Eternity

Trois stations plus loin, Porte de Versailles, c’est l’artiste américain Dan Graham qui propose à celui ou celle qui attend le tram de tromper son attente en jouant avec son reflet et celui de la rue, dans une architecture/sculpture composée de deux grands panneaux d’inox poli et de verre, formant deux arcs de cercle imbriqués. Dan Graham déclare avoir voulu créer un espace ludique où «les hommes pourront se prendre pour Superman côté concave, tandis que côté convexe, les femmes plutôt replètes se verront minces comme un fil»… L’artiste new-yorkais renvoit au peintre français du XIXe siècle, Georges Seurat, qu’il admire pour avoir lui aussi «joué» de la lumière et des couleurs. Quant au titre de l’œuvre From Boullée to eternity, c’est un hommage à un autre Français, le grand architecte visionnaire du XVIIIe siècle, Louis Etienne Boullée, qui imagina des édifices de rêve marqués par la géométrie et l’épure des lignes. C’est aussi la première œuvre de Dan Graham exposée à Paris.

Skate Park

Et puis on arrive dans une partie très ingrate de ce boulevard des Maréchaux, déjà peu convivial en lui-même, cette série de «boulevards extérieurs», comme on les appelle aussi, réduits à une zone frontière envahie par l’automobile. Ce que nous rappelle une œuvre de Peter Kogler, Pont, un défilé de fourmis barrant l’horizon à hauteur du Pont de Vanves qui relie les 14ème et 15ème arrondissements. Des  fourmis que pour des raisons techniques on ne verra en action que début 2007. Mais l’artiste autrichien a inscrit sa marque plus loin, à une autre étape du tramway, Porte d’Italie. Cette deuxième œuvre, Skate park, qui a trouvé sa place dans un square, «a d’un côté toutes les qualités d’une sculpture, et de l’autre celles d’un objet utilitaire, une  piste de skate pour les jeunes, qui vont pouvoir faire du skate sur les cinq continents ». Les cinq continents dessinés dans la partie concave de cette sphère ouverte, légèrement enfoncée dans le sol. Quant à l’environnement de son œuvre, Peter Kogel le juge «intéressant,  par sa population, le fait qu’il y ait une école, beaucoup d’enfants », bref, il «aime cet endroit».

Incubate Lactate Perambulate

Les enfants, la jeune artiste britannique Angela Bulloch n’y est pas indifférente. Les tout petits dont on s’occupe à l’Institut de puériculture du boulevard Brune dans le 14ème arrondissement ont inspiré son œuvre : Incubate lactate Perambulate. Elle a joué du contraste entre l’austérité du bâtiment de briques des années 30 et la vie au cœur de l’activité qui s’y déroule. Une vie matérialisée par la lumière, comme celle de l’incubateur où l’on met les nouveaux nés, qu’elle a reproduit dans «une œuvre qui est une succession de modules avec à l’intérieur un système qui permet des variations de lumière, comme de petits espaces de vie qui reflètent le type de travail accompli au sein de l’hôpital». La ligne horizontale lumineuse installée sur l’auvent de l’Institut ne prend vraiment vie et tout son sens qu’à la tombée de la nuit.

Tchaïkovski

De reflets il est aussi question dans une bonne partie de l’œuvre de Claude Lévêque et en particulier dans celle qu’il a installée sur un vieux bâtiment de l’aqueduc de la Vanne. Intitulée Tchaikovski,  l’œuvre se déploie sous la forme de quatre panneaux d’inox martelé qui surmontent le bâtiment, comme les quatre rabats d’un emballage. La surface brillante et ondulée du métal évoque celle de l’eau - un autre thème cher à l’artiste qui, raconte-t-il,  pouvait rester des heures à regarder le miroitement de l’eau, qui le transportait quand il était enfant -  tout en reflétant les mouvements de la rue, dont le passage des voitures et du tramway.

Murmures

Juste en face, de l’autre côté du boulevard Jourdan, les bancs du parc Montsouris accueillent le visiteur. Lequel en s’asseyant sur certains d’entre eux aura l’étonnement d’entendre des phrases chuchotées par des êtres invisibles. Murmures, l’œuvre de Christian  Boltanski, un des artistes français les plus reconnus de sa génération, est sans conteste la plus discrète de ce parcours artistique du tramway. Les confessions amoureuses, enregistrées dans une dizaine de langues différentes par ses étudiants des Beaux-Arts, sont diffusées par des enceintes disposées sous les bancs et le simple fait de s’asseoir met en marche le dispositif. Pour l’artiste, il s’agit «de ne pas choquer, de  savoir que dans un jardin on s’adresse à quelqu’un qui contrairement à celui qui entre dans un musée, n’a pas choisi de voir une œuvre et a peut-être ses soucis, ses chagrins…»

Mirages

Mais celui qui a des soucis aimera peut-être s’en voir distraire par l’apparition de palmiers au lieu-dit «la Poterne des peupliers» dans le 13ème arrondissement. Un mirage ? Possible, puisque quelques minutes plus tard, ils auront disparu. Et il se pourrait même que «quelqu’un qui passe par là tous les jours ne les voie jamais», nous dit Bertrand Lavier, l’auteur de cette œuvre aléatoire intitulée, précisément, Mirage et qui consiste en l’apparition, dix minutes par heure, mais sans périodicité fixe, d’un ensemble de palmiers, sept au total, de métal et de résine, qui se lèvent et s’abaissent, mus comme dans une machinerie de théâtre. Mais pourquoi l’idée du mirage ? «Je me suis rendu compte que sur le parcours de ce tramway, les gens allaient vraisemblablement passer tous les jours à des heures à peu près fixes et qu'ils verraient toujours à peu près la même chose, et je me suis dit que ce serait intéressant qu’il y ait une chose qui ne soit pas systématiquement là, qu’on verrait ou qu’on ne verrait pas, et que ça pourrait fonctionner comme une sorte de rumeur, et c’est ça aussi un mirage ». Et peut-être que "la Poterne des peupliers", où l’œuvre de Bertrand Lavier est installée s’appellera un jour la Poterne des palmiers…

Porte d’Ivry : terminus ou point de départ, avec une œuvre qui n’est pas un mirage, mais un manifeste solidement arrimé au sol. Didier Fiuza Faustino, artiste et architecte, propose 1SQMH, une sculpture/habitation, un «morceau d’architecture» comme il préfère l’appeler, d’un mètre carré à la base sur 17 mètres de haut, qui s’élève en écho aux tours environnantes.

1SQMH

Echo mais aussi revendication de la nécessité pour l’architecture urbaine de réhabiliter certains modes de construction en hauteur pour répondre à la densité de la population, ainsi que certain matériaux, comme le composite de fibre de verre et résine utilisé pour l’œuvre. Pour Didier Fiuza Faustino, il s’agit aussi d’accepter les transformations dues au temps : «Comme les corps, la ville vieillit, se transforme, et ce qui m’intéresse avec ce matériau c’est de montrer qu’une maison peut vieillir, se dégrader contrairement au credo contemporain qui veut que le temps s’arrête, donc le matériau va passer d’une couleur ambrée à une couleur plus ambrée… Il y a des incertitudes. Je crois que c’est ça qui est beau : l’incertitude.»



par Danielle  Birck

Article publié le 15/12/2006 Dernière mise à jour le 15/12/2006 à 22:21 TU