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Culture

Yvette Horner, label populaire

Yvette Horner, chez elle, en décembre 2006. 

		(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)
Yvette Horner, chez elle, en décembre 2006.
(Photo : Elisabeth Bouvet / RFI)
Yvette Horner, ses 84 ans et son accordéon sur la scène de la cité de la Musique. C’était bal populaire à la Villette, vendredi soir. Egale à elle-même, «Vévette» : caleçon blanc, coupe de cheveux sculpturale tendance poil de carotte, accordéon à bout de bras. La mascotte du Tour de France n’a décidément pas l’intention de mettre un terme à sa carrière. La simple idée d’une retraite pourtant bien méritée lui flanquerait plutôt la cafard. Accent chantant et oeil en coin, elle n'a qu'un mot à la bouche: la musique. Tous styles confondus. Née sous le signe du bonheur, Yvette Horner qui, de souvenirs heureux en projets prometteurs, se raconte avec gourmandise.

(Photo : Cité de la musique)
(Photo : Cité de la musique)

Chocolat chaud, biscuits sucrés…C’est tea time à l’heure du lunch chez Yvette Horner. La reine de l’accordéon à contre-temps…Qu’on se rassure, ça n’arrive que dans la vie, côté coulisses : «Je ne suis pas une femme d’intérieur, je ne sais pas cuisiner, je ne sais pas faire le ménage. Je suis une nullité», reconnaît-elle sans l’ombre d’une coquetterie. Côté scène, en revanche, c’est bon pied, bon œil. Elle a beau s’être résignée, il y a deux ans, à quitter sa grande maison de Nogent sur Marne («Mon deuxième amour après Tarbes, ma ville natale») pour s’installer dans une résidence parisienne à mi-chemin entre la maison de retraite et l’hôtel, Yvette Horner pianote toujours sur son accordéon «comme une débutante». Plus de 80 ans de concerts depuis ses débuts à 4 ans sur la scène du théâtre familial, ça donnerait tout de même pas des envies de couler enfin des jours tranquilles ? «Le véritable ennui !», lance-t-elle, l’œil pour ainsi dire révulsé à la seule idée de ne plus enfiler ses bretelles. «Au bout de dix jours de vacances, dix jours sans musique, je ne me sens pas équilibrée».

Yvette Horner

Accordéoniste

«Quand maman m'a demandé d’apprendre l’accordéon… j’ai mis trois ans à regretter, à pleurer mon piano.»

Et pourtant, c’est sous le signe de la contrariété que s’effectueront ses premiers pas d’accordéoniste. Elève brillante du conservatoire de Toulouse, la gamine de Tarbes fait depuis son plus jeune âge ses gammes au piano. A 11 ans, elle décroche le premier prix de piano. C’est alors que sa mère, visiblement douée pour le marketing, lui impose l’accordéon au prétexte qu’ «il y a beaucoup de premiers prix de piano, jamais d’accordéon». Ainsi soit-il. «J’ai mis au moins trois ans à regretter mon piano, à pleurer. Et puis un jour, j’ai entendu un nommé Ferrero jouer une œuvre vraiment difficile […] Alors je me suis dit, à l’accordéon, on peut faire de belles choses aussi». La révélation qui guidera dès lors toute la carrière d’Yvette Horner. Menant tambour battant bals et galas tout en composant des pièces élaborées. «Elle est à cheval entre le savant et le populaire», explique le chorégraphe Maurice Béjart qui l’engagera pour Casse-Noisette en 1999. «Si je joue un morceau populaire, ce ne sera pas vulgaire […], je le jouerai comme un morceau classique», insiste-t-elle en citant ses maîtres, les Litz, Mozart, Chopin, Bach et autres Saint-Saëns.

Yvette Horner

Accordéoniste

«J’ai fait onze Tour de France.»

Mascotte du Tour de France

(Photo : Cité de la musique)
(Photo : Cité de la musique)

Il n’empêche, c’est sous un immense sombrero qu’Yvette Horner va conquérir le cœur des Français. Bardée de ses «études sérieuses», comme elle aime à le répéter, la voilà en effet qui prend en 1952 le départ du Tour de France. Une idée de son mari René, «l’amour de [sa] vie» qui renoncera à sa carrière de footballeur professionnel pour suivre son accordéoniste d’épouse (et accessoirement s’occuper de l’intendance). La répartition des rôles est simple : elle, juchée sur le toit ouvrant de la Ford du couple, lui assis derrière le volant. Ainsi défilent les étapes et les heures au soleil, à jouer des airs de baloche. Bobet, Anquetil…Les cyclistes mais aussi les milliers de spectateurs amassés sur les bords de la route, tous n’ont bientôt plus qu’un mot à la bouche, «Vévette»…Un, deux, trois…Yvette Horner animera durant 11 années la caravane du Tour, jusqu’en 1963. «Mes plus beaux moments de ma vie d’accordéoniste», avoue-t-elle en repensant à cette épreuve sportive. Tant d’ailleurs pour les coureurs que pour ce petit bout de femme qui devait, à longueur de journée, porter à bout de bras son instrument, soit 12 kilos, debout en équilibre instable sur une banquette. En contrepartie, elle a définitivement gagné les faveurs de la France dite d’«en bas».

Yvette Horner

Accordéoniste

«Un jour j’ai dit à maman, j’avais sept ans, je veux devenir religieuse.»

De salles de fête en galas, Yvette Horner continue durant les années 60 à sillonner l’hexagone. Sur les radios, le style yé-yé a balayé la musique à papa. Et dans les rues, la tendance est plutôt au rock’n roll. Qu’à cela ne tienne, «Vévette» pratique toujours le grand écart. Un jour, musette, le lendemain classique. Définitivement éclectique passant d’un enregistrement aux côtés du grand pianiste Samson François à un disque de country mis en boite à Nashville, aux Etats-Unis. D’un duo avec Valéry Giscard d’Estaing, alors ministre des finances, à une expérience jazzy aux côtés du trompettiste Jac Berrocal.

Yvette Horner

Accordéoniste

«Comme une élève, je fais ma toilette des doigts tous les jours avec des exercices.»

Yvette cocardière  

Il faut néanmoins attendre les années Mitterrand pour voir Yvette Horner s’émanciper du terroir et revenir sur le devant de la scène. Totalement relookée «bleu-blanc-rouge» par l’un des couturiers les plus en vue du moment, Jean-Paul Gaultier. «C’est lui qui m’a appelée. C’est un homme charmant. Il m’a fait des robes somptueuses qui, en plus, me permettaient de jouer de mon instrument sans difficulté». Yvette Horner vient de perdre son mari, la rencontre tombe à point nommé. Le 14 juillet 1989, elle prend la Bastille avec l’Américain Quincy Jones; puis elle tient la vedette d’une revue au Casino de Paris, elle joue Casse-Noisette au Châtelet, elle interprète David Bowie et, enfin, elle teint ses cheveux en orange. Ringarde hier, branchée aujourd’hui. «Vévette», nouvelle icône de la France d’«en haut».

Pas de quoi cependant lui tourner la tête. «Je suis comme Descartes, j’ai des doutes». Y compris dans son travail. «Je me demande toujours si je vais faire l’affaire, si je serai à la hauteur». Confidence qui ne lasse pas de surprendre. Car nul besoin de toute une vie pour deviner que la détermination chez Yvette Horner est inversement proportionnelle à sa taille. «Oh ! Une volonté terrible», confie-t-elle. «Si je dois passer un concours, je sais que je le remporterai. Mais je ne le dis pas, ça passerait pour de la prétention, et c’est pas mon genre. Je n’ai pas du tout la grosse tête». Le trac, elle connaît même encore : «Il faut que ce soit correct, brillant et, si possible, joué à la perfection. C’est ça le petit pincement quand vous entrez sur scène».

Yvette Horner

Accordéoniste

«Si je dois passer des vacances, sans instrument, au bout de dix jours je ne suis pas bien.»

Jamais sans son accordéon

(Photo : Cité de la musique)
(Photo : Cité de la musique)

Quant au secret de sa longévité, il tient en deux mots : «la musique et l’amour. Surtout l’amour. C’est la chose la plus importante dans la vie». Et elle ajoute bientôt, le respect. Souvenir sans doute d’une éducation stricte qu’elle a fini par ériger en principe de vie. «J’ai beaucoup de respect pour les gens. Je suis honnête. Et ils le sentent bien». Ni détour ni roublardise, «J’aime pas les bla-bla», avertit-elle, l’œil en coin et l’accent au sud. Et c’est toujours, droit dans les yeux, qu’elle avoue n’avoir aucun regret. «Si c’était à refaire, je reprendrai la même vie. J’ai de grands, de beaux souvenirs avec des musiciens importants. Non, je ne changerai rien». La musique, on y revient toujours. «Si j’avais eu des enfants, j’aurais été malheureuse de ne pas avoir le temps de les voir». Reste, l’accordéon qui n’a pas soufflé sa dernière note. Yvette Horner travaille actuellement à un nouvel album en collaboration avec l'accordéoniste Marcel Azzola et le pianiste Michel Legrand. «On vivrait deux vies qu'on apprendrait toujours» explique-t-elle comme pour défier le temps qui passe. Son vœu le plus cher ? «Continuer à faire de la musique». Son refrain préféré.

Musique d'Yvette Horner

«Ecouter trois extraits de musique d'Yvette Horner, dans l'ordre : «Reine de musette», «Indiférrence» et «Ca gaze».»



par Elisabeth  Bouvet

Article publié le 20/12/2006 Dernière mise à jour le 20/12/2006 à 16:40 TU