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Une interview RFI/ L'Express

Diplomatie : Regards Croisés

Pierre Lellouche ( à g.) et Pierre Moscovici (d.) 

		(Photos : Assemblée nationale et AFP)
Pierre Lellouche ( à g.) et Pierre Moscovici (d.)
(Photos : Assemblée nationale et AFP)
Dans six mois la donne politique française aura changé. Que sera, alors, la politique étrangère de la France ? Nous avons rencontré successivement Pierre Lellouche, député UMP de Paris, président de la Délégation française à l’Assemblée parlementaire de l’OTAN et Pierre Moscovici, ancien ministre des questions européennes, secrétaire national du Parti socialiste chargé des questions internationales. Et croisé leurs réponses.

RFI/ L’Express : Y-a-t-il une politique étrangère de droite et une politique étrangère de gauche ?

Pierre Moscovici : Sur certains points. Je pense notamment à l’attention aux droits de l’Homme, qui doit rester prioritaire. Ou encore aux questions du développement. Cela dit, je crois surtout qu’il y a une politique étrangère d’hier et une politique étrangère de demain. Nous devons passer d’une posture arrogante à une stratégie d’influence qui soit profondément européenne.

Pierre Lellouche : Globalement, je ne le pense pas. Je crois, comme le disait Napoléon, que la politique étrangère est ancrée dans l’histoire et la géographie des nations. Je crois aussi que le poids et la personnalité du président de la République comptent, même si les éléments de continuité prédominent. Enfin et surtout, je suis convaincu que nous sommes aujourd’hui dans une situation de rupture qui nous est imposée, que nous soyons de droite ou de gauche, par l’évolution du monde. Le prochain président, quel qu’il soit, devra profondément adapter l’héritage gaullien pour faire face à un monde entièrement nouveau : émergence de nouvelles puissances comme la Chine ou l’Inde, compétition pour l’énergie et les matières premières, mondialisation, éruption du terrorisme de masse, de la prolifération, etc. Il y a là de vrais défis.

RFI/ L’Express : Face à ces défis, la France a-t-elle encore une place ? Ou bien faut-il, pour peser davantage, jouer la carte de l’Europe ?

P.L : La France a encore un rôle à jouer. L’Europe est un démultiplicateur de puissance mais la politique étrangère française doit continuer à exister. Nous sommes membre permanent du Conseil de sécurité, nous avons un appareil diplomatique mondial, une politique de défense qui reste ambitieuse et qui nous permet d’être présents sur plusieurs terrains. Par ailleurs, il ne faut pas se bercer d’illusions à propos de l’Europe de la défense. Les Etats européens, mis à part la France et l’Angleterre, sont aujourd’hui en état de désarmement budgétaire unilatéral. Les 25 états membres de l’Union européenne, avec 450 millions d’habitants, dépensent, à eux tous, pour leur défense, moins de 40% du budget militaire des Etats-Unis. C’est donc l’Amérique qui tire la gestion militaire et politique des crises internationales. Parfois, comme elle nous l’a montré, en se trompant lourdement… Pour que l’Europe existe il faut que chaque Etat fasse l’effort nécessaire. C’est donc bien une affaire nationale.

P.M : La France, avec la diplomatie chiraquienne, a souvent joué cavalier seul ces dernières années. Sur l’Irak par exemple, j’étais d’accord sur le fonds avec Jacques Chirac, mais je regrette qu’il n’ait pas cherché à entraîner les autres Européens. Je suis pour une européanisation de notre politique étrangère, sans bien entendu que nous abandonnions pour cela notre capacité nationale. Je suis convaincu que nous serons plus fort si nous agissons dans le concert européen.

RFI/ L’Express : A la condition que l’Europe avance, notamment en sortant de l’impasse institutionnelle…

P.M : Nous n’échapperons pas, en effet, au rendez vous avec l’Europe politique et la réforme institutionnelle. Il est certes indispensable de réconcilier les Européens, et notamment les Français, avec l’Europe. Mais il faut savoir que sans réforme institutionnelle nous ne pourrons pas faire repartir l’Europe concrète. Je souhaite que tous les candidats, y compris la candidate socialiste, s’expriment de manière claire sur ce sujet là.

RFI/ L’Express : Comment voyez vous le rôle des Etats-Unis dans les années qui viennent ?

P.L : Je trouve juste la formule de Koffi Annan qui a souhaité dans un récent discours que les Etats-Unis reviennent à un «leadership éclairé». Je crois qu’il faut en effet souhaiter que les Etats-Unis sortent de la politique unilatérale qu’ils ont adoptée ces dernières années, qui consiste à considérer que tous ceux qui ne sont pas avec les Etats-Unis sont contre eux. Je ne crois pas pour autant que cela soit en cassant la relation avec les Etats-Unis que l’on peut progresser. C’est ce qui m’avait amené, en 2003, lors de l’intervention américaine en Irak, à prendre mes distances avec la ligne officielle.

P.M : Nous allons encore avoir à faire, pour les deux années qui viennent, au président Georges Bush. Je considère que c’est un homme dangereux. Je ne suis pas anti-américain, j’ai beaucoup d’amitié pour ce pays, d’admiration pour sa civilisation et ses valeurs. La victoire des Démocrates aux dernières élections est une bonne nouvelle dans la mesure où elle change la donne, même si, aux Etats-Unis, c’est le président qui décide de la politique étrangère et de l’usage de la force. J’espère que Georges Bush en tiendra compte. Il faut que les Américains se retirent de l’Irak. Sans pour autant aller trop vite et en faisant en sorte que les Irakiens puissent se défendre eux-mêmes.

RFI/ L’Express : La France peut-elle y contribuer ?

P.M : J’y suis a priori plutôt favorable, s’il s’agit d’aider à la formation des forces de police et de sécurité dans le cadre d’un plan de retrait des Américains, avec d’autres. Le pire serait le chaos.

RFI/ L’Express : Comment faut-il traiter les Etats-Unis ?

P.L : En amis. Nous sommes deux républiques sœurs, avec le même corpus de valeurs universelles. Sur l’Irak on aurait pu dire les choses en amont, sans pour autant faire campagne.

RFI/ L’Express : Rétrospectivement, c’est pourtant Jacques Chirac qui a eu raison…

P.L : Les Américains se sont en effet «plantés» et c’est plutôt, rétrospectivement, Jacques Chirac qui avait raison. Reste la question de fonds : un Etat multi-ethnique peut-il survivre, dès lors qu’il cesse d’être gouverné par une dictature ? On assiste aujourd’hui en Irak, comme hier dans l’ex-Yougoslavie, à la remise en cause de frontières issues de la première guerre mondiale. Il a suffi, dans un cas, d’enlever le couvercle de la guerre froide, dans l’autre, de faire chuter le dictateur, pour voir émerger les nationalismes ou les communautarismes ethniques ou religieux. Dans les Balkans, la France et l’Europe ont joué un rôle majeur pour le maintien de la paix et géré l’arrivée d’une demi-douzaine d’Etats. Au Moyen-Orient tout reste à faire. Pas seulement en Irak. On le voit aussi au Liban, au Soudan… Qu’on le veuille ou pas, nous assistons, dans cette région, à une redéfinition des cartes.

RFI/ L’Express : Est-ce qu’il faut, sur ces questions là, parler aux Iraniens et aux Syriens ?

P.L : Je ne me fais aucune illusion sur ces régimes et sur leurs objectifs. Je crois cependant, en effet, qu’il faut parler avec eux.

P.M : Je crois qu’il faudra, le moment venu, discuter avec tout le monde, donc avec l’Iran et la Syrie, ce qui n’est pas exclusif de la fermeté. L’attitude de Jacques Chirac, sur la Syrie, n’a pas toujours été une attitude rationnelle.

RFI/ L’Express : Vous êtes favorable à une conférence internationale sur le Proche-Orient ?

P.L : Oui, j’y suis favorable. La fragilité est telle aujourd’hui, le moment est tellement grave qu’on ne règlera pas les choses par petits bouts. Le moment est venu, je crois, de mettre sur la table l’ensemble de la problématique pour tenter de débloquer la situation. Mais il est essentiel qu’il y ait, comme cela a été le cas sur les Balkans, une unité du Conseil de sécurité. Si les acteurs locaux sont convaincus qu’il y a des coins à enfoncer entre les Russes et les Chinois, les Européens et les Américains, ils continueront à jouer chacun de leur coté. Si ils sentent que la communauté internationale, face au risque d’explosion, est soudée, nous avancerons peut-être.

P.M : La conférence internationale fait partie des choses nécessaires. Mais le préalable, c’est de faire en sorte qu’il y ait un pouvoir palestinien stabilisé. Je continue à souhaiter qu’un gouvernement d’union nationale puisse voir le jour. Pour deux raisons : d’abord, les Palestiniens montreraient ainsi leur volonté de vivre ensemble, en paix ; ensuite, cela signifierait que le Hamas a évolué. Or cette évolution est indispensable et préalable. Il faudra certes, le moment venu, discuter avec le Hamas aussi. Mais on ne peut pas le faire tant qu’il ne respecte pas les conditions fixées par la communauté internationale, à commencer par la reconnaissance, au moins implicite, d’Israël et la renonciation au terrorisme.

RFI/ L’Express : Michel Barnier propose, avant même une éventuelle conférence internationale, un sommet européen extraordinaire dès le printemps prochain sur le Proche-Orient. Qu’en pensez vous ?

P.L : C’est une proposition de bon sens. Je crois qu’il serait bon que l’Europe parvienne à parler d’une seule voix sur ce dossier.

P.M : J’y suis assez favorable. Cela serait utile. Je souhaite que l’Europe adopte une position commune sur ce sujet.

RFI/ L’Express : Sur l’Afrique, comment voyez vous la politique de la France de demain ?

P.L : Il faut en finir avec la Françafrique. Il faut passer à autre chose. Nous sommes devant des flux migratoires sans précédent dans l’Histoire. Nous devons gérer «notre Sud», avec une politique de développement qui soit beaucoup plus proche du terrain, en nous appuyant davantage sur des ONG et moins sur des régimes dont la gouvernance laisse bien souvent à désirer.

P.M : Il faut faire en sorte que l’Afrique ne soit plus le continent oublié, lui donner enfin une priorité concrète dans le cadre d’une politique plus générale, d’un partenariat plus global avec le Sud.

RFI/ L’Express : Comment la France doit elle se positionner par rapport à la Russie ? Pensez-vous que Jacques Chirac est trop proche de Vladimir Poutine et que nous devrions davantage prendre nos distances ?

P.L : Il ne s’agit pas de Jacques Chirac. Je pense que nous sommes, Français et Européens, en train de faire des erreurs avec la Russie. Je ne crois pas qu’il y ait de fatalité qui empêcherait la Russie de devenir une démocratie. Un régime qui supprime des élections, contrôle la presse, fabrique un capitalisme d’Etat prédateur, y compris en exerçant une politique de chantage à l’égard de ses voisins comme on l’a vu avec l’Ukraine ou la Géorgie, ne va pas dans la bonne direction. Un pays où l’on assassine des journalistes, cela n’est pas acceptable. Je pense qu’il faut dire leur fait aux Russes. Je veux bien qu’on soit sévère à l’égard de Georges Bush, mais alors il faut l’être aussi à l’égard de Vladimir Poutine dont le régime dérive vers l’autoritarisme.

P.M : Jacques Chirac a eu une diplomatie très personnalisée. Il a des ennemis et des amis. Vladimir Poutine fait partie de ces derniers. Résultat : il y a des éléments de complaisance qui sont insupportables. Il ne s’agit pas d’être naïf. Les droits de l’Homme ne font pas une politique. Mais une politique sans droits de l’Homme est une mauvaise politique. Nous avons besoin d’un partenariat stratégique avec les Russes. Mais ce n’est pas une raison pour être complaisants.

RFI/ L’Express : Qu’est ce que vous craignez le plus si cela n’est pas votre camp qui l’emporte ?

P.M : J’ai deux inquiétudes. L’une porte sur sa vision de l’Europe, très étroite. L’autre sur son atlantisme. Mini budget, mini traité, mini frontières : l’Europe de Nicolas Sarkozy est une Europe riquiqui. Avec les Etats-Unis, nous devons avoir une politique amicale mais celle-ci ne doit pas exclure un dialogue critique.

P.L : Le bricolage et l’improvisation.

Propos recueillis par Pierre Ganz (RFI) et Dominique Lagarde (L’Express) dans le cadre de l’émission RFI-L’Express L’Invité de la semaine.



Article publié le 22/12/2006 Dernière mise à jour le 22/12/2006 à 13:30 TU

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