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Culture

Une passion nommée Egypte

Tête colossale du dieu Sérapis, marbre, IIe siècle avant J-C 

		(Photo : Christoph Gerigk)
Tête colossale du dieu Sérapis, marbre, IIe siècle avant J-C
(Photo : Christoph Gerigk)
Immersion égyptienne au Grand Palais. Après Berlin, Paris accueille l’exposition «Trésors engloutis d’Egypte». Réunies sous la voûte, quelque cinq cents pièces arrachées au delta du Nil par l’équipe d’archéologie sous-marine du Français Franck Goddio. Ce sont près de quinze siècles d’histoire que le spectateur est invité à parcourir au cœur de trois cités légendaires aujourd’hui ensevelies sous la mer. Des colosses, des déesses, des stèles mais aussi des louches rituelles, des vases, des ex-voto… Toute une panoplie d’objets aussi somptueux que précieux. Prononcer le mot «Egypte» et c’est décidément toujours un monde merveilleux qui s’ouvre à nous. Jusqu’au 16 mars 2007.

Le corps du colosse est remonté à la surface. Nettoyée de la couche de sédiment, la statue sera dessalinisée et restaurée. 

		(Photo : Christoph Gerigk)
Le corps du colosse est remonté à la surface. Nettoyée de la couche de sédiment, la statue sera dessalinisée et restaurée.
(Photo : Christoph Gerigk)

Bruits d’eau, musique quasi aquatique… En poussant les portes du Grand Palais, le visiteur a pour ainsi dire la sensation de changer d’élément. De quitter la terre, l’air pour s’immerger dans les eaux du Nil. Bienvenue dans la baie d’Aboukir. C’est là, à 7 kms des côtes, et par 7 m de fond, que Franck Goddio, le fondateur de l’Institut européen d’archéologie sous-marine, et son équipe de plongeurs ont durant dix ans fouillé les sédiments pour exhumer trois villes : Alexandrie, Canope et Héracléion. Trois sites légendaires comme les trois sommets de l’antique «Magnus Portus», le grand port d’Alexandrie, autour desquels s’organise d’ailleurs l’exposition qui promène le spectateur d’une ville à l’autre. «Trois cités liées par la géographie, l’histoire et le destin», précise Franck Goddio, également commissaire de l’exposition. La lente montée des eaux et les séismes - dont celui, terrible, du 18 janvier 746 - finiront en effet par engloutir ces villes, définitivement recouvertes par la mer au VIIIe de notre ère. Ce que confirment les fouilles : aucun objet ultérieur à l’année 750 n’ayant été remonté à la surface. 

«Grâce aux instruments ultrasensibles conçus par le commissariat à l’énergie atomique, on sait où il faut plonger. Mais on ne sait pas ce que l’on va précisément trouver», poursuit Frank Goddio. En l’occurrence, un fabuleux trésor et, même, la clé d’une énigme. La découverte d’une stèle de granit noir sur le site d’Heracléion permet de résoudre un mystère jusqu’alors jamais élucidé : «Héracléion [en grec] et Thônis [en égyptien] ne font qu’une seule et même ville», explique le chef des fouilles. Et cette stèle, arrachée à ce qui fut le temple d’Amon, «le dieu suprême du panthéon égyptien», est bien sûr présentée dans le cadre de l’exposition. C’est d’ailleurs là, sur le site d’Héracléion que Franck Goddio reconnaît, sans se faire prier, avoir ressenti sa plus forte émotion, «quand on a dégagé le mur d’enceinte du temple d’Amon. A ce moment là, je me suis dit, on y est. On ne découvre pas tous les jours un grand temple !». Et c’est donc tout naturellement par Héracléion que débute ce voyage dans le temps. 

Héracléion

Statue colossale d’Hâpy, personnification divine de la crue du Nil, au moment de sa découverte à Héracléion, granit rose, aujourd’hui conservée au Musée maritime d’Alexandrie. IVe siècle av . J-C – début de l’époque ptolémaïque. 

		(Photo : Christoph Gerigk)
Statue colossale d’Hâpy, personnification divine de la crue du Nil, au moment de sa découverte à Héracléion, granit rose, aujourd’hui conservée au Musée maritime d’Alexandrie. IVe siècle av . J-C – début de l’époque ptolémaïque.
(Photo : Christoph Gerigk)

L’histoire remonte au VIIIe siècle avant notre ère. Bien avant la fondation d’Alexandrie qui date de 331 avant J-C et qui précipitera d’ailleurs le déclin d’Héracléion-Thônis. En attendant, la ville est un centre d’échanges commerciaux réputé puisqu’il marque la porte d’entrée obligatoire vers l’Egypte. Un port douanier particulièrement prospère doublé d’un sanctuaire de première importance. C’est en effet là que les pharaons se rendaient pour se faire adouber, au fameux temple d’Amon. La quantité d’objets liturgiques retrouvés témoigne, sans conteste, de l’extrême vitalité de ce sanctuaire. Et Franck Goddio d’insister : «Jamais, on n' avait exhumé un tel ensemble de louches et de passoires rituelles», auxquelles il faut ajouter des braseros, des brûle-parfums, des coupes, des vases et toutes sortes d’objets votifs. Tous en excellent état de conservation. Tout un ensemble somptueux qui voisine avec trois immenses statues en granit rose dont celle du colossal dieu du Nil, Hâpy : plus de 5m de hauteur pour le modique poids de 6t. On comprend mieux, dès lors, que ce comptoir, bien que supplanté plus tard par Alexandrie sur le plan commercial, soit resté un grand centre religieux jusqu’à l’annexion romaine en 30 avant notre ère.

Canope-Est

Statue d’Arsinoe II, granit noir, 3e siècle avant J-C 

		(Photo : Christoph Gerigk)
Statue d’Arsinoe II, granit noir, 3e siècle avant J-C
(Photo : Christoph Gerigk)

Non loin de là, à 4 km exactement, surgissait Canope Est, la «Pegouti» des Egyptiens. Autre sanctuaire connu dans tout le bassin méditerranéen pour ses guérisons miraculeuses liées au culte du dieu Sérapis. Et un peu aussi pour ses lieux de plaisirs. Pour parvenir au temple, il fallait ainsi emprunter une rue entièrement bordée d’échoppes et de lupanars. Autant dire que le pèlerinage de Canope-Est était très couru. Pièce-maîtresse de cette étape à mi-chemin entre le vice et la vertu, la très belle statue de granit noir datant du IIIe siècle avant J-C et représentant la reine Arsinoé II sortant des ondes. Du moins, le pense-t-on, puisque la belle dame est privée de tête. Qu’à cela ne tienne, dans sa tunique qui lui colle au corps, elle mérite à elle seule le détour par le Grand Palais. D’autant que la gracieuse inconnue ne se contente pas de nous éblouir, elle nous éclaire également sur la saisissante perméabilité des civilisations égyptienne et grecque avant même l’avénement d’Alexandre le conquérant. Ainsi donc d’Arsinoé, pied gauche en avant et bras le long du corps, à la mode égyptienne mais un léger drapé dans le style grec. Ce brassage fera d’ailleurs la richesse d’Alexandrie la cosmopolite à laquelle Canope-Est était reliée par un canal.

Alexandrie

La cité portuaire, qui doit son nom à l’Empereur Alexandre le Grand, comptera à son apogée jusqu’à 500 000 habitants. Ville-phare tant sur le plan économique que culturel avec notamment son illustre bibliothèque qui rassemblait tous les savoirs du monde, Alexandrie connaîtra des heures sombres sous l’occupation romaine. Les Romains, à commencer par le funeste Empereur Caracalla (212-216), la jugeant ingouvernable et frondeuse. Mais, cette nouvelle escale sur les bords du Nil est surtout l’occasion d’évoquer à nouveau l’extraordinaire échange d’une culture à l’autre, d’une période à l’autre. Les Grecs reprenant à leur compte la plupart des cultes égyptiens y compris pour les animaux (crocodile, chat, taureau ou encore bélier) comme le démontre l’une des dernières salles de l’exposition.

Pour l’instant itinérante, cette exposition - dont toutes les pièces appartiennent à l’Etat égyptien - pourrait bientôt avoir son musée en Méditerranée. Un musée en partie immergé, histoire de faire revivre au public l’épopée marine de ses œuvres sauvées des eaux. Le vœu en tout cas de Franck Goddio. «Le problème avec l’Egypte, c’est que ça vous absorbe», confie-t-il avant de préciser qu’il va «continuer à fouiller. On en a encore pour un ou deux siècles avant de mettre à jour tout ce que recèlent ces trois sites». De quoi encourager les vocations !



par Elisabeth  Bouvet

Article publié le 22/12/2006 Dernière mise à jour le 22/12/2006 à 15:12 TU