Musique
Salut le copain

(Photo: AFP)
On a tous quelque chose de Pierre Delanoë en nous… Et ce n’est pas Johnny Hallyday, qui fut l’un de ses innombrables interprètes, qui le nierait. Pierre Delanoë, de son vrai nom Pierre-Charles-Marcel Leroyer, fut en effet le parolier fétiche d’à peu près tout ce que la variété française compte de grandes voix. Faire chanter les autres ne fut pourtant pas sa vocation première. Né à Paris en 1918, il entreprend des études de droit, obtient sa licence et devient inspecteur des impôts. Premier acte qui le mène jusqu’en 1955, année où Pierre Delanoë n’hésite pas à laisser son poste de fonctionnaire des finances pour participer au lancement de la radio généraliste Europe n°1 et se consacrer à l’écriture des textes de chansons.
Pierre Leroyer devient Pierre Delanoë
Une aventure déclenchée par sa rencontre avec Gilbert Bécaud. Les deux hommes se croisent lors d’une soirée. A l’époque, Gilbert Bécaud s’appele François Silly et fait le pianiste. Il lui écrit Mes mains, une chanson qui sera leur premier succès en 1953. La vie de Pierre Leroyer bascule définitivement dans la musique. Il devient Pierre Delanoë. Pour Gilbert Bécaud, il se met à écrire des dizaines de chansons. Une collection de tubes à l’instar de Nathalie, L’orange et surtout Et maintenant qui sera repris dans sa version anglaise entre autres par Frank Sinatra et Elvis Presley. Mais parallèlement à son travail pour Bécaud, qui restera l’un de ses plus fidèles interprètes, il entame d’autres collaborations. Notamment avec Michel Sardou, Dalida, Hugues Aufray, Gérard Lenormann, Johnny Hallyday, Michel Polnareff ou encore Joe Dassin. Ses fonctions de directeur des programmes à Europe n°1 permettant à tous ces artistes en herbe de passer sur les ondes et même souvent d’accéder aux premiers rangs du hit-parade. C’est d’ailleurs à Pierre Delanoë que l’on doit l’expression «Salut les copains» qui deviendra le titre de l’une des émissions-phare de la radio, dans les années 60.
En 1965, Pierre Delanoë, qui a quitté la radio privée, adapte le répertoire de Bob Dylan pour Hugues Aufray et, partant, fait découvrir à la France l’auteur, compositeur et interprète américain. Récompense ou hasard, toujours est-il que Bob Dylan reprendra en anglais Je t’appartiens que Pierre Delanoë avait écrit pour Gilbert Bécaud. C’est cette même année, en 1965, que le parolier prend position pour le général de Gaulle. La première élection présidentielle au suffrage universel doit bientôt avoir lieu. Admirateur du chef de la France Libre, Pierre Delanoë écrit Tu le regretteras que son complice Gilbert Bécaud interprètera non sans provoquer quelques remous dans l’opinion publique. «Je n’ai pas écrit de chanson politique. Mais j’ai signé pas mal de chansons engagées», expliquait volontiers le parolier. Pour preuve, en 1981, ce texte antisocialiste intitulé On a volé la rose, en guise de bienvenue à un François Mitterrand fraîchement élu à l’Elysée.
Une belle histoire
Années 60, années 70…Même fortune. A croire que Pierre Delanoë devançait les modes. Alors qu’en 1968, Le bal des Laze a fait triompher Michel Polnareff, c’est bientôt un autre Michel qui va prendre le relais sur les ondes. Michel Fugain à qui Pierre Delanoë offre en 1970 Une belle histoire, titre écrit sur un coin de table mais rapidement fredonné par tout un Hexagone, revenu de ses velléités révolutionnaires. Cinq ans plus tard, c’est Joe Dassin, pattes d’éléphant et cols «pelle à tarte », qui hypnotise littéralement tout ce que la France compte alors d’adeptes du slow : L’été indien durera plus d’une saison.
Dassin, Fugain mais aussi Piaf qui le sollicitera, Gréco, Ferré, Montand, Brassens et même Brel et Trenet qui, en matière de paroles, connaissait pourtant la chanson… Toute la variété française ou presque a chanté Pierre Delanoë. Les clés de sa réussite et de son extraordinaire longévité ? «Une chanson, c’est une vision du monde et le monde n’est pas statique. Ma poésie consiste à transformer cette réalité», confessait-il dans ses mémoires intitulés La vie en chantant et publiés en 1979. Etre à l’écoute de l’air du temps… Mais pas seulement. Car Pierre Delanoë se considérait comme un vrai «auteur» : «un écrivain qui chante. Un métier sérieux», ajoutait-il.
Fâché avec la nouvelle génération, il n’avait rien perdu de sa verve quand il s’agissait d’égratigner «les chanteuses qui aboient et les chanteurs qui miaulent». Ce qui ne l’avait pas empêché de défendre cette chanson française qu’il a tant contribuée à enrichir. En l'occurrence à la Sacem, la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique dont Pierre Delanoë était le président d'honneur après l'avoir dirigée à plusieurs reprises entre 1984 et 1994. Quoi qu'il en soit, avec le décès en cette fin 2006 de Pierre Delanoë et deux ans après la mort d’Etienne Roda-Gil survenue en mai 2004, se referme le cercle des grands paroliers disparus.
par Elisabeth Bouvet
Article publié le 27/12/2006 Dernière mise à jour le 27/12/2006 à 10:25 TU