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Musique

Un «Candide» jubilatoire au Châtelet

La soprano Anna Christy et le baryton Steven Page. 

		(Photo: Marie-Noëlle Robert)
La soprano Anna Christy et le baryton Steven Page.
(Photo: Marie-Noëlle Robert)
Candide ou l’Optimisme est sans conteste l’oeuvre la plus connue de Voltaire. Dans cette satire, le philosophe des Lumières tourne en dérision toutes les tyrannies exercées au nom de la religion, de la politique, de l’argent, mais aussi de la philosophie, dénonce l’injustice sociale et raille au passage quelques idées reçues sur la liberté et la sexualité... Une satire universelle qui trouve un écho quelque deux cents ans plus tard dans l’Amérique du maccarthysme avec le compositeur Léonard Bernstein et rebondit maintenant sur le plateau du théâtre musical du Châtelet, dans une mise en scène inventive et décapante de Robert Carsen, avec une performance remarquable de l'acteur français Lambert Wilson.

Lambert Wilson, ici dans le rôle de Voltaire. 

		(Photo: Marie-Noëlle Robert)
Lambert Wilson, ici dans le rôle de Voltaire.
(Photo: Marie-Noëlle Robert)

En 1755 un terrible tremblement de terre détruit la ville de Lisbonne faisant un nombre incalculable de morts. Une catastrophe qui pour Voltaire va être l’élément déclencheur : elle le pousse à écrire son Candide, conte philosophique dans lequel il réfute le système philosophique qui  prévalait alors, fondé sur les écrits du philosophe allemand Leibniz et en vertu duquel le monde créé par un « Créateur » qui ne pouvait qu’être un bon Créateur, ne pouvait être que «le meilleur des mondes possibles». En d’autres termes, «chaque chose qui est, est bien». Pour Voltaire, c’est une idée ridicule que démentent les faits au quotidien  et en particulier en ce jour de 1755, où il est difficile de voir le dessein d’un bon Créateur.  Après Le Désastre de Lisbonne qu’il écrit l’année suivante, Voltaire expose sa vision du monde dans Candide. Un conte philosophique où il s’en prend à toutes les autorités constituées, aristocratie, armée, marchands et surtout l’Eglise, au travers de son personnage, Candide, qui allie un «jugement assez droit avec l’esprit le plus simple». Ballotté entre l’optimisme béat du Docteur Pangloss et le pessimisme absolu de Martin, et après avoir essuyé toutes les avanies possibles et imaginables en ce monde, Candide va finalement se forger sa propre philosophie, très pragmatique, fondée sur la capacité (réduite) des hommes à accéder à un bonheur terrestre et résumée en une phrase : «cultivons notre jardin».

Candide au Nouveau Monde

Dans le conte de Voltaire, Candide embarque pour le dit Nouveau Monde, pensant y trouver un monde meilleur. La désillusion sera à la hauteur de la candide espérance du héros. Léonard Bernstein, lui, est né dans cette Amérique, pour le meilleur et pour le pire… Au milieu des années 50, il semble bien que ce soit pour le pire : «tout ce que l’Amérique essayait de défendre semblait sur le point d’être écrasé sous la botte du sénateur du Wisconsin Joseph MacCarthy et de ses acolytes inquisiteurs», écrit Léonard Bernstein, qui  poursuit : «C’était l’époque de la liste noire d’Hollywood, de la censure à la télévision, des gens qui perdaient leur emploi, des suicides, expatriations et refus de délivrer des passeports à toute personne "suspectée" d’avoir un jour fréquenté un "prétendu" communiste». Léonard Bernstein sait de quoi il parle, lui à qui son propre pays a refusé un passeport ! Et quand la dramaturge Lillian Hellman, qui, convoquée par la Commission parlementaire des activités anti-américaines, avait refusé de donner des noms de communistes qui lui étaient proches, lui suggéra en 1953 de faire une adaptation musicale de Candide, Léonard Bernstein n’hésita pas. Il se mit à  l'ouvrage en collaboration avec plusieurs auteurs pour les «lyrics», les parties chantées. L’œuvre fut créée en 1956 à Boston, le 29 octobre, puis à New York, le 1er décembre, où elle ne rencontra pas auprès du public de Broadway le succès espéré et ne resta à l’affiche que quelque 70 représentations. Contrairement à West Side Story, créé l’année suivante et qui connaîtra un succès international amplifié par le film réalisé par Robert Wise. Candide sera joué à nouveau à plusieurs reprises, dans des versions remaniées, jusqu’à la version dite «définitive» que Bernstein enregistra avec le London Symphonic Orchestra en décembre 1989, quelques mois avant sa mort.

Une des satires les plus corrosives jamais écrites depuis Aristophane

<p>Des acteurs en maillot de bain portant des masques de Berlusconi, Bush, Blair, Chirac et Poutine dansent et chantent, ivres.... Une satire politique qui a apparemment&nbsp;déplu en Italie et motivé la décision de la Scala de Milan de retirer Candide de sa programmation 2007. </p> &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo: Marie-Noëlle Robert)

Satire politique : des acteurs en maillot de bain portant des masques de Berlusconi, Bush, Blair, Chirac et Poutine dansent et chantent, ivres...


(Photo: Marie-Noëlle Robert)

Quand Jean-Luc Choplin, le nouveau directeur du Châtelet, a proposé à Robert Carsen de mettre en scène la création parisienne du Candide de Bernstein, la réponse du scénographe canadien fut, dit-il, «un "oui" immédiat et inconditionnel». Il n’avait jamais vu de représentation de l’œuvre mais la connaissait à travers des enregistrements et l’avait immédiatement aimée. Après dix-huit mois d’un travail qu’il qualifie de  «prenant et exaltant», il a livré au public parisien un spectacle, dans la droite ligne de la satire voltairienne qui a fait l’unanimité des critiques et des spectateurs. Car, pour Robert Carsen, «le "Candide" de Voltaire est une des satires les plus corrosives jamais écrites depuis Aristophane».

Et alors que Bernstein avait voulu éviter de «tomber dans le clinquant habituel des productions de Broadway», Carsen a intégré la parodie de Broadway dans sa mise en scène, comme celle du système hollywoodien avec Cunégonde qui devient une icône à la Marylin Monroe après une remarquable séquence de parodie de Judy Garland dans A Star is born.

L’american way of life en prend un sacré coup avec d’entrée de jeu l’écran de télévision géant des années 50 en guise de rideau de scène qui accueille le spectateur à son entrée dans la salle et qui va servir de cadre à tout le spectacle, comme une mise en abyme de l’œuvre de Voltaire et de Bernstein. «J’étais convaincu que notre production ne devait être ni naturaliste, ni raisonnable», dit Carsen. Pas plus que n’est «raisonnable» le récit original de Voltaire avec sa succession de personnages et péripéties improbables, de situations absurdes, de naufrages, de tremblements de terre, de guerres et autres désastres. Pas plus que ne l’est la succession de désastres en tous genres à laquelle notre écran de télévision - encore lui - nous confronte chaque jour, dans un raccourci vertigineux du temps et de l’espace. Alors 250 ans après Voltaire et 50 ans après Bernstein, Candide s’est tout naturellement laissé transposer dans l’Amérique de Georges W. Bush, dans le droit fil de celle du maccarthysme et du Ku Klux Klan, du lobby pétrolier et des sectes, et de la bonne conscience guerrière.

Tout cela étant «de la faute à Voltaire» il fallait bien que celui-ci assumât la paternité de cette déraison. Il apparaît donc sur scène, en perruque et costume, pour assurer de temps à autres, dans le texte original, l’enchaînement des faits. L’acteur français Lambert Wilson, alias Voltaire, campe aussi avec maestria le Docteur Pangloss, professeur ès-optimisme, et Martin, pessimiste acharné. Et là, on ne peut que saluer l’école anglo-saxonne de formation des acteurs quand on voit et entend Lambert Wilson chanter, jouer et danser.

Anna Christy (Cunégonde) et William Burden (Candide). &#13;&#10;&#13;&#10;&#9;&#9;(Photo: Marie-Noëlle Robert)
Anna Christy (Cunégonde) et William Burden (Candide).
(Photo: Marie-Noëlle Robert)

La soprano Anna Christy campe une Cunégonde prête à tout, aux audaces tant vocales que scéniques, quant à Candide, interprété par le ténor William Burden, il passe du bermuda au treillis, en même temps que de l’optimisme béat à un «réalisme désillusionné» avec une belle constance vocale. Tout cela porté bien sûr par la musique de Bernstein, à l’aise dans tous les registres de cette «opérette» - c’est ainsi qu'il qualifie lui-même Candide - un peu comme les multiples facettes de son œuvre, lui qui a composé et travaillé dans des genres tellement divers.

Ah ! Et le jardin ? Celui que Candide décide de cultiver finalement ? Ce qu’il nous annonce en français, d’ailleurs, en rendant à Voltaire ce qui n’appartient qu’à lui !  Eh bien ce jardin métaphore du monde, il défile sur cet écran de télévision géant, dans une succession d’images d’une Terre bien malmenée, avec ses régions désertifiées ou dévastées, avec ses  populations déplacées… comme un manifeste politico écologique…

Any question ? C’est le mot de la fin, adressé au public, dans la langue de Shakespeare par un Voltaire qui a ôté sa perruque…



par Danielle  Birck

Article publié le 28/12/2006 Dernière mise à jour le 28/12/2006 à 18:46 TU

Le Candide de Leonard Bernstein est joué au Châtelet à guichets fermés jusqu’au 31 décembre 2006. Il sera diffusé sur la chaîne franco-allemande Arte, le samedi 20 janvier 2007 à 22h30.

France Musique, partenaire du théâtre du Châtelet diffusera Candide le mercredi 7 février à 20h.