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Chine

La Cour suprême en rempart contre la peine de mort

A partir de 2007, les peines de mort seront examinées à Pékin, loin de la pression des pouvoirs locaux. 

		(Photo : Mathieu Baratier / RFI)
A partir de 2007, les peines de mort seront examinées à Pékin, loin de la pression des pouvoirs locaux.
(Photo : Mathieu Baratier / RFI)

Ce 1er janvier, la Cour suprême est chargée de contrôler la validité de toutes les condamnations à mort prononcées en Chine. Une réforme qui pourrait faire baisser d’un tiers le nombre des peines capitales et éviter une partie des erreurs judiciaires.


De notre envoyé spécial à Chengde

Dans cette bourgade du nord-est de la Chine, à quelques heures de Pékin, tout le monde connaît «l’affaire». Il y a dix ans, quatre familles de ce village ont basculé dans un engrenage judiciaire implacable. Leur quatre garçons ont été arrêtés pour le meurtre de deux chauffeurs de taxi. En quelques semaines, ils ont été condamnés à mort par le tribunal de la ville voisine de Chengde. Convaincues de leur innocence, les familles ont fait appel à la cour supérieure de la province. Celle-ci a ordonné de rejuger l’affaire et souligné de «graves erreurs» dans la procédure.

Témoignages contradictoires, incohérence de certaines preuves, au total, ce sont vingt éléments du dossier qui ont été sévèrement critiqués. La cour locale a donc rejugé. Mais pour prononcer encore des peines de mort. Nouvel appel, nouveau renvoi, nouveau jugement, même condamnation. L’affaire sera passée quatre fois devant le tribunal de Chengde, avec les mêmes juges, le même dossier et, par trois fois, le même verdict. Pour sortir de l' impasse, la cour supérieure s'est alors chargée elle-même du procès en 2003. Mais les erreurs demeurant dans le dossier, le verdict s'est avéré tout aussi lourd : trois peines de mort avec sursis et une perpétuité.

En Chine, quatre familles luttent depuis dix ans pour faire annuler les peines de mort de leurs enfants. 

		(Photo : Mathieu Baratier / RFI)
En Chine, quatre familles luttent depuis dix ans pour faire annuler les peines de mort de leurs enfants.
(Photo : Mathieu Baratier / RFI)

Fu Yuru, la mère de l'un des condamné à mort est épuisée par ce marathon judiciaire. «Le seul espoir est à Pékin car dans notre province, la police, le procureur et le tribunal portent tous le même pantalon, ils sont complices, il n’y a rien à faire», déclare-t-elle avec l’accent des paysans du Nord-Est. Pour les avocats des familles, le dernier verdict est un compromis entre la prise en compte des erreurs de procédures et la volonté de ne pas contredire la cour de niveau inférieure.

Li Fangping, l’un des avocats de l’affaire de Chengde, analyse le mécanisme qui conduit aux erreurs judiciaires : «il y a une pression très forte sur le gouvernement local pour trouver des coupables, cette pression se répercute sur la police et sur tous les échelons du système». A Chengde, alors que la justice s’enlisait, les policiers ont reçu une récompense. Dans cette course au résultat, la police a besoin d’aveux qui sont la garantie d’une condamnation finale sans équivoque. D’où la pratique des interrogatoires musclés voire du recours à la torture pure et simple.

Même si l'usage de la violence pour extorquer des aveux est en recul, la mécanique implacable du système est toujours en place. Elle est confortée par le maintien du lien entre le pouvoir politique local et la justice, la compétence médiocre de certains magistrats de base ainsi que le rôle marginal laissé aux avocats dans la procédure. La réforme de la peine de mort veut donc casser le confinement dangereux de la justice locale. Après ce 1er janvier 2007, toutes les peines de mort prononcées en Chine devront être validées par la Cour suprême de Pékin, loin des pressions provinciales. Les aberrations de l’affaire de Chengde ne devraient plus être possibles.

Un tiers d’exécutions capitales en moins

Avec cette réforme, les juges de la Cour suprême pourront entendre directement les accusés et même se rendre, si nécessaire, sur le lieu du crime. Pour les spécialistes du droit chinois, ce regard extérieur sur les peines capitales pourrait faire baisser leur nombre de 30%. Les vies ainsi épargnées seront sans doute nombreuses, même si il n’y a pas de statistiques sur les peines capitales. Selon le décompte d’Amnesty International, il y a eu en Chine 1 770 exécutions en 2005, soit 80% du total mondial ! Des sources judiciaires chinoises avancent même le chiffre de dix mille cas annuels.

La réforme va donc augmenter le travail des juges de la Cour suprême dont les effectifs ont été doublés à l’approche du 1er janvier. Cette mesure souligne également l’inquiétude des magistrats pékinois face au fonctionnement des tribunaux locaux. Après plusieurs erreurs judiciaires retentissantes, le président de la Cour suprême avait même appelé les juges à user de la peine de mort avec «beaucoup de prudence et de précaution». Quelques temps plus tôt, Nie Shubin, condamné pour meurtre et viol, venait d’être officiellement innocenté, dix ans après son exécution.

Pas d’abolition en vue

Cette réforme de la peine de mort doit donc limiter les cas d’erreurs judiciaires. Mais l’abolition de la peine capitale n’est pas à l’ordre du jour. Beaucoup de Chinois considèrent qu’un crime de sang doit être payé par le sang et cette règle non écrite fait peser une pression sur les pouvoirs locaux. L’affaire de Qiu Xinghua en est une nouvelle démonstration. Qiu Xinghua a été condamné à mort pour le meurtre de dix personnes, une affaire qui a soulevé une forte émotion dans la province du Shaanxi. L’application de la sentence n’a pas traîné, elle a eu lieu le 28 décembre dernier, trente minutes seulement après le rejet par la cour locale d’une demande d’expertise psychiatrique. Quatre jours plus tard, le cas de Qiu aurait pu être examiné par la Cour suprême qui, selon un avocat pékinois, avait toutes les chances d’accepter la requête.



par Mathieu  Baratier

Article publié le 01/01/2007 Dernière mise à jour le 01/01/2007 à 09:46 TU