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Serbie

Des législatives à hauts risques

Les électeurs serbes étaient convoqués, ce dimanche, pour des élections législatives anticipées dont le statut final du Kosovo est le principal enjeu. Dans les jours qui suivront le scrutin, l’émissaire spécial des Nations unies, Martti Ahtisaari, devra présenter ses propositions. La question du Kosovo est restée au cœur des débats de la campagne électorale, mais ce sujet est pourtant bien loin de passionner tous les électeurs. Beaucoup s’intéressent davantage à leurs conditions de vie et à l’ouverture de la Serbie sur l’Europe.

 

Des partisans du Parti radical serbe manifestent, le 17 janvier 2007 à Mitrovica, au Kosovo. La formation d’extrême-droite est créditée de 30% des intentions de vote. (Photo : AFP)
Des partisans du Parti radical serbe manifestent, le 17 janvier 2007 à Mitrovica, au Kosovo. La formation d’extrême-droite est créditée de 30% des intentions de vote.
(Photo : AFP)

De notre correspondant dans les Balkans

Milos et son amie Svetlana ont à peine vingt ans. Tous les deux étudiants à l’université de Belgrade, ils n’ont pas participé à la révolution démocratique du 5 octobre 2000, qui chassa Milosevic du pouvoir. Trop jeunes. «Mes parents m’avaient interdit de sortir de la maison, ils m’avaient confié à la garde de ma grand-mère, alors qu’eux-mêmes étaient allés manifester devant le Parlement fédéral», raconte Svetlana en riant. Les deux jeunes gens vont voter pour la première fois de leur vie, et n’hésitent pas un instant : depuis plusieurs mois, ils sont activement engagés dans la campagne du Parti libéral-démocratique (LDP) de Cedomir Jovanovic, un jeune homme de 35 ans qui a déjà un long parcours politique. Ancien dirigeant étudiant des manifestations démocratiques de 1996, vice-Premier ministre après la révolution de 2000, il se veut l’héritier de Zoran Djindjic, le Premier ministre assassiné en mars 2003.

En hausse dans les sondages, la coalition de «Ceda» devra franchir la barre de 5% des suffrages exprimés pour disposer d’une représentation parlementaire. «Nous voulons vivre normalement, faire de bonnes études et avoir un bon métier, nous voulons que la Serbie rejoigne l’Europe, et qu’elle se débarrasse du nationalisme», explique Milos. Pour lui, l’actuel Premier ministre, Vojislav Kostunica, symbolise «la Serbie du passé (…) Il ne parle que du Kosovo, des droits historiques de la Serbie et de l’Église orthodoxe, mais cela n’intéresse pas notre génération».

Le risque d’un nouvel affrontement avec l’Otan

Le Kosovo est, en effet, au cœur des débats de la campagne électorale. À l’exception du Parti libéral-démocratique, toutes les formations politiques serbes défendent des positions similaires : oui à une large autonomie, mais dans le cadre de la Serbie, et rejet catégorique de l’option de l’indépendance. Le Parti radical serbe (extrême droite), crédité d’environ 30% des voix, considère le Kosovo comme une «zone occupée», et propose d’envoyer la troupe pour le libérer, au risque d’un nouvel affrontement avec l’Otan.

Il ne faut pas attendre beaucoup de souplesse de la part de l’actuel Premier ministre, Vojislav Kostunica, très attaché à l’Église orthodoxe, et qui professe un nationalisme conservateur. La coalition Vive la Serbie, réunie autour du parti démocratique de Serbie (DSS) de Vojislav Kostunica, pourrait obtenir de 15 à 20% des voix, et sera un acteur incontournable dans les jeux politiques d’après-élections. Le «réalisme politique» et, notamment, la perspective du rapprochement européen, pourra-t-elle amener Kostunica à accepter de réels compromis ? Rien n’est moins certain.

Comme Milos et Svetlana, Tomislav, qui dirige une petite entreprise de services informatiques, rejette la politique de Vojislav Kostunica, mais il tient à préciser qu’il est «fier d’être Serbe. Nous avons notre histoire, notre culture, qu’il serait absurde de rejeter ou de dénigrer. Le Kosovo en fait partie», estime ce trentenaire qui a failli entrer dans les ordres dans les années 1990. «C’était l’époque des sanctions, Milosevic était au pouvoir, la Serbie était isolée et je ne voulais pas aller dans l’armée, explique-t-il. Par chance, j’ai pu partir à l’étranger. Je suis revenu en Belgrade en 2000 et j’ai ouvert ma société avec un ami, qui est parti deux ans plus tard aux Etats-Unis».

Tomislav possède une belle voiture, achetée en leasing, et vient d’acquérir un petit appartement. «Je fais partie des quelques Serbes qui profitent du nouveau contexte économique», reconnaît-il. Mais, selon ses mots, le «miracle économique serbe» est bien limité : «Le dinar est stable, je peux obtenir un crédit et payer avec ma carte bleue, ce qui était encore impossible il y a trois ans. Par contre, le pays est toujours rongé par la corruption, et les vraies réformes de fond n’ont pas commencé. Si la porte de l’Europe se referme pour la Serbie, à cause du Kosovo ou des criminels de guerre que nous n’avons pas encore envoyés à La Haye, tout s’effondrera à nouveau».

«Cela fait toujours plaisir à entendre»

Dimanche, Tomislav va voter pour le Parti démocratique (DS) du président de la République, Boris Tadic, crédité de 25 à 30% des intentions de vote, car il trouve que les libéraux-démocrates de Jovanovic sont «trop radicaux». Cependant, il ne professe aucun optimisme. «Encore une fois, assure-t-il, les ruraux, les retraités, les chômeurs - c’est-à-dire la majorité de la population - vont voter pour l’extrême droite ou les populistes qui préfèrent parler de l’héroïsme serbe plutôt que des questions économiques. Personne n’est vraiment dupe de ce genre de discours, mais cela fait toujours plaisir à entendre».

Quels que soient les résultats du scrutin, Vojislav Kostunica et ses amis seront probablement des partenaires incontournables de toute nouvelle coalition gouvernementale. Ils pourraient aussi bien s’allier avec le DS de Boris Tadic, crédité de près de 30% des intentions de vote, qu’avec le Parti radical serbe, la formation d’extrême-droite toujours dirigé par Vojislav Seselj depuis sa cellule de La Haye, également créditée de 30% des intentions de vote.

Cette dernière hypothèse terrifie la communauté internationale qui parie sur un gouvernement du «bloc démocratique», dont on attend une attitude plus accommodante sur la question du Kosovo. Pourtant, il n’est pas du tout certain qu’une alliance entre le DSS de Kostunica et le DS de Tadic obtienne suffisamment de députés pour former une majorité, ni que ces deux partis parviennent à s’entendre.

par A Belgrade, Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 20/01/2007 Dernière mise à jour le 20/01/2007 à 16:17 TU