France
Emmaüs, un legs universel
(Photo : AFP)
Pour Mgr Stanislas Lalanne, secrétaire général de la Conférence des évêques de France, l’Abbé Pierre était «le pèlerin des sans-droits, combattant pour la dignité». Le fondateur de la communauté Emmaüs est parvenu, en 50 années d’infatigables périples sur tous les continents, du nord au sud et d’est en ouest, à mobiliser sur le front de la misère, «la seule guerre juste», à ses yeux. Aujourd’hui, Emmaüs International fédère l’ensemble des associations du mouvement de 50 pays d’Europe, d’Asie, d’Afrique et d’Amérique. Pour eux, la meilleure façon de témoigner est de continuer l’action démarrée, il y aura bientôt soixante ans.
Les hommages arrivent du monde entier, unanimes. Maryam Radjavi, la dirigeante des Moudjahidine du peuple iranien (OMPI, opposants) a affirmé dans un communiqué que la disparition de l’Abbé Pierre était «une grande perte pour l’humanité», qu’il «n’était pas seulement un défenseur des sans-abris», mais aussi «un porteur des grandes valeurs humanistes et un défenseur acharné des combats justes dans le monde». Le recteur de la Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur déplore «la perte de cette grande voix qui exprima si fort le sentiment de révolte des pauvres du monde entier».
Après le «coup de gueule» du 1er février 54, appelant «à l’insurrection de la bonté», la popularité de l’Abbé Pierre et de ses compagnons bâtisseurs va rapidement dépasser les frontières de l’Hexagone. Sur tous les continents, du nord au sud et d’est en ouest, leur engagement fait des émules. L’abbé reprend son bâton de pèlerin. A partir de 1956, il entame une série de voyages à travers le monde. Canada, Etats-Unis, Chili, Suède, Liban… jusqu’au naufrage de son bateau dans le Rio de la Plata, en 1963, alors qu’il visite les groupes Emmaüs d’Amérique Latine. La presse mondiale annonce prématurément sa mort. C’est alors qu’il prend conscience du fil ténu qui relie toutes ces communautés. Il est leur seul lien. L’Abbé Pierre décide de convoquer une assemblée mondiale. Cela lui demandera six ans de préparation, au cours desquels il visite les groupes Emmaüs de tous les pays. En 1969, à Berne (Suisse), 70 groupes de 20 nations adoptent le Manifeste universel du Mouvement Emmaüs et décident la création d’un secrétariat international de liaison. En 1971, l’assemblée générale de Montréal (Canada) adopte les statuts de l’association Emmaüs International «pour poursuivre l’action commencée en 1949», et délimite géographiquement les régions. L’Amérique Latine s’organise la première. Les 327 groupes membres de l’association internationale se réunissent en assemblée générale, tous les quatre ans, ils discutent des orientations de travail et des priorités : alphabétisation, santé, logement, défense des droits de l’homme, économie solidaire, actions qui se font toujours avec et pour les pauvres.
«Et les autres ?»
(Photo : AFP)
Ernaus Parana en Argentine, Thanapara Swallows, au Bangladesh, ou encore Pag-la-Yiri au Burkina Faso, chaque pays a son appellation nationale pour sa propre communauté. La décennie 1990 est marquée par la percée des groupes Emmaüs en Afrique, en Asie du Sud et du Sud-Est, l’expansion en Amérique Latine, l’émergence de l’Europe de l’Est et l’instauration de relations sud-sud, pour donner leur place aux plus pauvres de la société, car selon l’Abbé Pierre le fondateur charismatique de ce mouvement humanitaire aux ramifications universelles, «si nous ne sommes pas en colère quand nous voyons les autres bafoués , exploités, humiliés, c’est que nous ne les aimons pas». La religieuse Sœur Emmanuelle, qui, elle-même, œuvre sans répit depuis des décennies contre la misère quotidienne, était très proche de l’Abbé Pierre. Elle raconte une entrevue avec le père d’Emmaüs, où, tout heureuse, elle lui fait part de l’ouverture de sa première école pour ses chiffonniers des bidonvilles du Caire. Devant la mine sombre de l’Abbé Pierre, elle lui demande pourquoi cette réserve, et de s’entendre répondre : «Et les autres ?» De répit, jamais !
Dans son message de 1999, lors du 50è anniversaire de la Fondation, Emmaüs International déclare «à l’heure où, plus que jamais, la terre devient un village, nous sommes tous appelés à de nouveaux partages». La fraternité universelle est préconisée comme antidote à la mondialisation de la pauvreté. C’est cet état d’esprit qui préside à l’engagement des communautés également hostiles à toute violence, et c’est pourquoi on retrouve les communautés internationales engagées auprès des victimes de tous les conflits, au nom du droit d’ingérence. Le français Bernard Kouchner, à l’origine de l’organisation non gouvernementale Médecins Sans Frontières, a rendu un vibrant hommage à l’Abbé Pierre, le remerciant de lui avoir transmis le virus de «la saine colère», indispensable au passage à l’action.
De l’eau potable pour l’Afrique
En novembre 2003, Emmaüs International a organisé, pour la première fois, son assemblée mondiale en Afrique, au Burkina Faso. 47 pays ont répondu à l’appel et déclaré l’eau comme droit fondamental de l’humanité. Actuellement, de nombreux groupes Emmaüs ont décidé de soutenir le vaste projet d’accès à l’eau potable pour 25 000 habitants du lac Nokoué au Bénin. Depuis la Journée mondiale de l’eau, le 22 mars 2006, Emmaüs International et Emmaüs Afrique se battent pour faire prendre conscience à l’ensemble de la communauté internationale que la situation de sécheresse que vit actuellement le continent africain ne peut être résolue par les seules actions d’urgence lancées par les pays du nord.
Devant l’avalanche de réactions à sa disparition, le «contemplatif de l’action» qu’était l’Abbé Pierre et qui, à dix-sept ans déjà, demandait en prière qu’on l’aidât à choisir entre la grotte, (désert où l’on ne pense qu’à soi), et le monde, pour batailler et lutter contre les ennemis du genre humain, l’abbé reçoit une réponse posthume sans ambages.par Françoise Dentinger
Article publié le 22/01/2007 Dernière mise à jour le 22/01/2007 à 18:54 TU