Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

France 2007 - élection présidentielle

Arlette Laguiller, la missionnaire du trotskisme

Arlette Laguiller. 

		(Photo : AFP)
Arlette Laguiller.
(Photo : AFP)
Arlette Laguiller va mener, en 2007, sa sixième et dernière campagne pour l’élection présidentielle. Une longévité politique exceptionnelle pour cette femme de 67 ans qui a tout donné à Lutte ouvrière. Cela ne veut pas dire qu’elle a sacrifié sa vie personnelle à l’action politique. Arlette Laguiller a choisi cette existence de militante à temps plein de la cause des travailleurs. Pas de renoncement, juste des convictions. Pas de dépit, de l’engagement. Arlette Laguiller ne vit pas d’amour et d’eau fraîche mais de trotskisme et de lutte des classes. Et cela risque de durer.

Arlette Laguiller n’en démord pas : il faut parler du prolétariat. Le temps n’a pas de prise sur elle. Depuis 1974, quand elle s’est présentée pour la première fois à l’élection présidentielle sous les couleurs de Lutte ouvrière, rien n’a changé dans son  programme et son discours. Défendre les pauvres, combattre les riches, dénoncer le capitalisme comme source de toutes les inégalités : à Lutte ouvrière, on ne transige pas avec la cause. On ne met pas de pragmatisme dans le trotskisme, on lutte un point c’est tout. Certes, Arlette Laguiller sait bien que la révolution n’est pas pour demain, mais ça ne l’empêche pas d’en rêver. Alors elle continue à haranguer les «travailleurs, travailleuses» qui viennent à ses meetings. Elle continue à parler de classe ouvrière, à dénoncer la social-démocratie, le système, les élites, l’oppression du peuple par les nantis…

Le créneau de Lutte ouvrière, ce n’est pas l’exercice du pouvoir. Rien à voir avec le Parti communiste et surtout avec le Parti socialiste. Ségolène Royal et Arlette Laguiller sont deux femmes politiques mais elles n’ont rien en commun. Quand l’une rêve de l’Elysée, l’autre ne pense qu’au premier tour. Quand l’une joue l’atout look, l’autre revendique le naturel. Arlette Laguiller ne se maquille pas, ne se pomponne pas, ne se métamorphose pas pour passer à la télévision. Elle porte le cheveux court et préfère les pantalons aux jupes. C’est une manière d’être en harmonie avec ses convictions et de ne pas faire de concessions à la dictature de l’image.

Trotski et Lénine pour tout patrimoine

Son mode de vie aussi correspond à son engagement politique. Arlette Laguiller habite depuis toujours au treizième étage d’une HLM des Lilas, en banlieue parisienne. Un petit deux pièces meublé simplement, sans tableaux aux murs, dans lequel trônent les œuvres complètes de Lénine et de Trotski. Ça ne s’invente pas. Pas de fioritures décoratives, juste des plantes, des livres et des disques. Arlette Laguiller a des goûts musicaux éclectiques qui vont d’Adamo au Jazz en passant par Léo Ferré.

Même si elle a travaillé quarante ans dans une banque, le Crédit Lyonnais, -elle a pris sa retraite en 2000-, Arlette Laguiller n’a pas constitué de bas de laine. Dans son cas, on ne peut pas parler de patrimoine. Une retraite de 2 600 euros, environ 5 000 euros d’économies répartis sur plusieurs livrets d’épargne, un compte courant créditeur d’environ 8 000 euros et une voiture (une Renault Clio pas toute neuve). Tout ce qu’elle a gagné grâce à ses activités annexes, par exemple son salaire de députée du Parlement européen ou les droits d’auteurs des ouvrages qu’elle a publiés, elle l’a reversé à son organisation. Du militantisme comme on n’en fait plus.

Est-ce cette capacité à ne pas dévier de sa ligne qui a participé à rendre Arlette Laguiller populaire ? Car en France, elle occupe une vraie place dans le paysage politique et dans l’imaginaire des habitants. Elle a même -insigne honneur- sa marionnette aux Guignols, l’émission satyrique de la chaîne de télévision cryptée Canal +, dont on dit qu’elle influence l’électorat. Elle est référencée dans le Who’s Who, le bottin de tout ce qui compte en France. Ce qui a d’ailleurs fait débat à Lutte ouvrière, où cet ouvrage est considéré comme l’annuaire des mondains. Mieux, elle a inspiré Alain Souchon qui lui a consacré une chanson dont les paroles résument bien ce qu’elle inspire aux Français : «Quand Arlette chante, c’est du bleu, de l’azur, sur les usines et leurs grands murs. Les paroles, bien sûr, ont beaucoup d’usure, mais elle chante avec un air pur».

Arlette Laguiller serait-elle comme un monument d’une autre époque qui résiste à l’érosion et ne fait pas de concession à l’air du temps ? Il y a un peu de ça. Lutte ouvrière revendique son originalité et refuse les alliances (sauf avec la Ligue communiste révolutionnaire pour les élections européennes). On l’a encore constaté récemment. Alors que le Parti communiste a essayé de trouver un nouveau souffle grâce au mouvement anti-libéral, que la LCR a réfléchi à une candidature commune avec cette mouvance, Arlette Laguiller a tout de suite refusé l’idée de partager son combat avec les autres représentants de la gauche de la gauche.

Un sacerdoce

Et pour cause, Lutte ouvrière n’est pas un parti au sens où on l’entend généralement. C’est plutôt une organisation politique dont le fonctionnement, un peu mystérieux, répond à des règles précises auxquelles les adhérents doivent se soumettre. Certains l’ont comparé à une secte à cause de cela mais aussi parce que l’un de ses fondateurs, Robert Barcia, visiteur médical à la ville, y exerce une grande influence, tout en n’apparaissant jamais en public. On l’a d’ailleurs comparé à un gourou. Le gourou d’Arlette Laguiller qui l’a repérée et propulsée porte-parole de Lutte ouvrière au début des années 70. Ce qu’elle est restée depuis.

Ce qu’elle est avant tout. Car adhérer à LO est presque un sacerdoce. Mais Arlette Laguiller a vécu sans contrition l’exclusivité de sa relation avec son mouvement. Elle assume sa vie de célibataire sans enfant. Mais elle ne se présente pas en «célibattante» puisqu’elle a affirmé dans une interview que la première raison pour laquelle elle ne s’est pas mariée, c’est parce que personne ne le lui a demandé. Ce qui ne veut pas dire qu’aucun homme ne partage sa vie. Simplement qu’elle ne veut pas en parler. Ce discours est-il le fruit de sa volonté de discrétion ou de son respect de la discipline ? Dur à savoir. Car à Lutte ouvrière, la vie de couple est considérée comme une entrave à l’action militante. Et Arlette Laguiller a sans conteste accepté toutes les règles de son organisation.

La pauvreté, elle sait ce que c’est

Est-ce parce qu’elle a vécu une enfance pauvre qu’elle s’est engagée avec autant de cœur dans un mouvement politique comme Lutte ouvrière ? Cela a certainement joué. Car c’est vrai que sa vie de petite fille dans un studio de la région parisienne, entre ses parents et ses deux jeunes frères, n’a pas été tous les jours roses. Elle a raconté l’humiliation d’être l’une des seuls élèves de son école à bénéficier de la cantine gratuite. Elle se souvient des fins de mois sans le sou où le seul repas qu’elle prenait le soir était constitué d’un café au lait avec des tartines. Ce sont donc peut-être ses conditions de vie plus que son environnement familial qui ont motivé son engagement politique. Car son père, Louis, ouvrier, était bien un peu anarchiste, mais sans plus. Et sa mère, Suzanne, employée, catholique pratiquante, semble l’avoir poussée plus vers l’église que vers Trotski.

Quand à 16 ans, elle entre au Crédit Lyonnais ce n’est peut-être pas par choix mais par nécessité. Elle voulait être institutrice mais elle a raté le concours. Alors, armée de son seul BEPC (Brevet d’études du premier cycle), elle a saisi la première opportunité pour gagner sa vie. Et la voilà employée de banque. C’est à cette période qu’Arlette Laguiller, à peine sortie de l’adolescence, vit ses premières émotions militantes. En s’engageant contre la guerre d’Algérie, d’abord. En participant aux combats syndicaux dans son entreprise, ensuite. Avant d’entrer à Lutte ouvrière, elle adhère au Parti socialiste unifié (PSU) et à la CGT dont elle devient la déléguée au siège du Crédit Lyonnais (elle est exclue du syndicat quand elle devient membre de LO). De combats en rencontres, Arlette Laguiller a vite trouvé son chemin : «Travailleurs, travailleuses… »



par Valérie  Gas

Article publié le 23/01/2007 Dernière mise à jour le 23/01/2007 à 12:11 TU