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Littérature

Rouge neige ou le polar à la mode scandinave

Sueurs froides, version islandaise avec la nouvelle livraison d’Arnaldur Indridason, La Voix, publié aux éditions Métailié. Et réapparition de l’inspecteur Erlendur qui après La cité des Jarres et La femme en vert reprend donc du service. Erlendur, l’une de ces figures descendues du cercle polaire qui dépaysent le genre «Polar». Islande, Suède, Norvège… Depuis quelques années, les romans policiers scandinaves séduisent et les éditeurs et les lecteurs. Plus inventifs, plus réalistes, plus engagés ? Quoi qu’il en soit, cap au Nord sur la piste de ces fins limiers d’un nouveau genre.


Le Père Noël vient d’être assassiné. «Douce nuit, sainte nuit», susurrent les haut-parleurs dans le hall de l’hôtel de luxe où a été retrouvé le corps du portier qui, à l'approche du 25 décembre, avait pris l'habitude, depuis plusieurs années, d'endosser le costume rouge de saison. Moins de tristesse que d’agacement de la part de la direction, trop préoccupée par le grand nombre de touristes étrangers venus à Reykjavik passer les fêtes de Noël pour s’émouvoir. Arnaldur Indridason n’a pas son pareil pour flanquer le cafard au lecteur, à peine celui-ci a-t-il entamé ses livres. Dans La Femme en vert, une petite fille mâchouillait un minuscule objet lisse, en fait, un fragment d’os humain. En guise d’introduction, on a déjà lu moins… indigeste. Pas suffisant néanmoins pour dérouter les fans de cet auteur islandais de 46 ans, venu au polar sur le tard.

Arnaldur Indridason, auteur islandais dont la plupart des polars sont des best-sellers internationaux. 

		(Photo : David Mordzinski)
Arnaldur Indridason, auteur islandais dont la plupart des polars sont des best-sellers internationaux.
(Photo : David Mordzinski)


Il faut reconnaître que son personnage principal, le cabossé commissaire Erlendur, est un type attachant : «flic parfait mais homme en ruine», selon la formule d’Arnaldur Indradason. Il lui est en effet plus facile de mener à bien ses enquêtes que de réussir sa vie personnelle, laquelle tient littéralement du désastre. Il ne parle plus à son ex-épouse, ses deux enfants qu’il a abandonnés sont accros à la drogue et, de toute évidence, sa propre jeunesse a été marquée par un traumatisme irréparable. Car, c’est aussi là que réside la force des romans d’Indradason : dans cette faculté à donner une vraie épaisseur à ce flic solitaire et fripé. Chaque nouveau roman levant un peu plus le voile sur le passé de cet inspecteur à l’image de ses enquêtes, ordinaire.

Au-delà du crime

Ordinaire. Et si nous tenions là, dans ce mot moins banal qu’il n’y paraît, la clé du succès d’Indridason et, plus généralement, des auteurs scandinaves versés dans le noir. C’est en tout cas l’opinion de Marc de Gouvenain qui dirige «Actes Noir», la nouvelle collection de romans policiers chez Actes Sud. Spécialiste de la littérature scandinave, il est notamment à l’origine de la publication de Millenium, la trilogie du Suédois Stieg Larsson, véritable phénomène dans son pays et qui, en deux volumes, Les hommes qui n’aimaient pas les femmes et La fille qui rêvait d’un bidon d’essence et d’une allumette, a conquis le lectorat français. «Stieg Larsson (décédé en 2004 avant la publication de sa trilogie) est l’ancien rédacteur en chef de la revue Expo qui se veut un observatoire du fascisme ordinaire. Il a par ailleurs  publié de nombreux ouvrages sur la politique avant d’écrire sa trilogie. Et son héros, Michaël Blomkvist, a ce même vécu journalistique, ce qui lui confère un point de vue très intéressant».

Notons au passage qu’Indridason, l’Islandais, a lui aussi exercé la profession de journaliste avant de se lancer dans l’écriture de polars. Même profil ou presque en ce qui concerne également Henning Mankell, l’écrivain et metteur en scène suédois dont la notoriété a largement dépassé les frontières de son seul pays. Les enquêtes de son flic dépressif, Kurt Wallander, traduites en 40 langues, ont été vendues à plus de 20 millions d’exemplaires dans le monde. Marc de Gouvenain d’expliquer : «En Suède, il est fréquent que les auteurs signent des éditos, des articles dans la presse. Il existe une tradition d’écrivains qui racontent des histoires à la frontière de la littérature et de la sociologie. Et c’est aussi ce que fait Indridason ». Et de fait, Arnaldur Indridason, en s’intéressant à la génétique, en dénonçant les ravages de l’alcoolisme, en défendant les femmes battues ou encore en s’emparant de la délicate question de la pédophilie, prend effectivement prétexte du polar pour interroger la société islandaise. Et cette scrupuleuse peinture de la société – au moins, sinon plus importante que l’enquête elle-même – se retrouve tant chez Mankell que chez Larsson qui ont tous deux l’art d’écorner sérieusement le mythique modèle suédois. «Là où le polar scandinave est bon, poursuit Marc de Gouvenain, c’est qu’on a des auteurs qui écrivent de vrais romans. Pas des exercices de style ou du délire personnel non, de vrais romans. De gros romans, sur le modèle anglo-saxon avec souvent 600 pages mais sans les psychopathes style Hannibal Lecter. Ce sont des intrigues au plus près de nos préoccupations avec des personnages communs et du coup, le lecteur français se reconnaît dans ces univers».

L'envers du paradis

Même si dès les années 70, le couple Sjöwall et Wahlöö , à travers leur inspecteur Martin Beck, s’étaient déjà fait une spécialité de montrer l’envers (l’enfer ?) du paradis suédois, pour Marc de Gouvenain, l’assassinat du Premier ministre suédois Olof Palme, en février 1986, a très certainement, par-delà le traumatisme national, contribué à l’émergence d’une littérature noire et humaniste à la fois. De celle qui pose davantage de questions qu’elle n’apporte de réponses. A la manière encore d’un Ake Edwardson, d’un Leif GW Persson ou de la nouvelle coqueluche suédoise, Camilla Läckberg dont les œuvres seront bientôt disponibles aux éditions Actes Sud. Et cette vitalité n’est pas le seul apanage de la Suède. La Norvège a également derrière elle une longue tradition de policiers plus ou moins abîmés par la vie, plus ou moins efficaces, plus ou moins désabusés.

Gunnar Staalesen, l’inventeur de Varg Veum, le cousin congelé de l'Américain Philip Marlowe, prétend même que c’est un auteur norvégien qui a inventé le genre juste avant Edgar Allan Poe et sa fameuse «Lettre volée». Vraie ou fausse, quoi qu’il en soit la légende a suscité des vocations. Aux premières loges aujourd’hui, Karin Fossum et, surtout, Jo Nesbo et son attachant policier dépressif, Harry Hole. Mais que l’on s’appelle Harry Hole ou Varg Veum («fauteur de troubles», en français !), pas de quartier : la société norvégienne, son pétrole, sa prospérité, son passé trouble et sa fausse tranquillité sortent rarement indemnes de leurs enquêtes sans concession. «Mais même si les implications politiques dépassent largement l'individu, conclut Marc de Gouvenain, tous ces auteurs parviennent toujours à rapporter l'intrigue à l'échelle de l'individu. C'est là que réside la force de ces polars scandinaves». Une bonne raison de ne pas perdre le Nord !



par Elisabeth  Bouvet

Article publié le 02/02/2007 Dernière mise à jour le 02/02/2007 à 16:25 TU

La voix, d'Arnaldur Indridason aux éditions Métailié. Mais aussi La cité des Jarres et La femme en vert.

 

Les hommes qui n'aimaient pas les femmes, La fille qui rêvait d'un bidon d'essence et d'une allumette de Stieg Larsson chez Actes Sud, collection «Actes noirs». 

 

Tous les ouvrages de Henning Mankell dont Le retour du professeur de danse (2006) sont disponibles aux éditions Seuil, «Policiers». 

 

L'Etoile du diable de Jo Nesbo chez Gallimard, «série noire».

 

La nuit, tous les loups sont gris de Gunnar Staalesen, éditions Gaïa, «Polar».

 

Celui qui a peur du loup de Karin Fossum aux éditions JC Lattès.  

 

Sous le soleil de minuit de Leif GW Persson, aux Presses de la cité.