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Cinéma

Amin Dada sur la pellicule, l'Afrique de nouveau à l'écran

(Photo : DR)
(Photo : DR)

Le dernier Roi d’Ecosse est à l’affiche, cette semaine, des salles de cinéma françaises. Dans le rôle du despote ougandais Idi Amin Dada, dont le film de Kevin Macdonald se veut une évocation à mi-chemin entre fiction et réalité, l’acteur américain Forest Whitaker. Réalisé par un Ecossais mais produit par Hollywood, Le dernier Roi d’Ecosse sort deux semaines après Blood Diamond qui avait déjà pour cadre un pays africain et, pour vedette, une autre star américaine, Leonardo DiCaprio. L’Afrique avec sa misère et son chaos serait-elle devenue le nouvel «eldorado» des grands studios américains ? Elan collectif ou tendance commerciale, toujours est-il que même en matière d’indignation, il y a des codes de (bonne) conduite à respecter.


Ouganda, 1971, Idi Amin Dada s’empare du pouvoir à la faveur d’un putsch. Soutenu par les Britanniques et les Israéliens, il incarne alors le début d’une ère nouvelle et obtient le soutien massif de la population. Mais, très vite, le désenchantement succède à l’espoir et la terreur s’installe dans tout le pays. En 1979, quand Idi Amin Dada quitte précipitamment l’Ouganda, il est devenu l’un des hommes les moins fréquentables de la planète. Psychopathe, paranoïaque, cannibale même, dit-on, bref, l’incarnation du mal. Rappelons que plus de 200 000 personnes ont été assassinées durant son régime.  

L'acteur américain Forest Withaker (au centre) interprète le dictateur Idi Amin Dada, dans le nouveau film de Kevin MacDonald, le dernier roi d'Ecosse. 

		(Photo : 20Th Century Fox)
L'acteur américain Forest Withaker (au centre) interprète le dictateur Idi Amin Dada, dans le nouveau film de Kevin MacDonald, «Le dernier roi d'Ecosse».
(Photo : 20Th Century Fox)

Un cinéma engagé

Adapté d’un roman, Le dernier roi d’Ecosse met face à face le dictateur et un jeune médecin écossais, tout juste diplômé et qui, plutôt que de s’associer avec son père, a préféré tenter l’aventure en Ouganda. A la faveur d’un accident de la circulation, le docteur Garrigan rencontre Idi Amin Dada, le nouvel homme fort du pays. Ce dernier s’entiche de l’Ecossais, de son enthousiasme, de son franc-parler, et en fait son médecin personnel. Et, bientôt, son conseiller le plus proche, son confident, son ami. Jusqu’au jour où le docteur Garrigan prend conscience de la folie d’Amin Dada. Et de ses propres dérives. Le réveil sera aussi brutal qu'irréversible. «Je ne vois pas ce film comme un biopic (biographie filmée), mais bien comme l’histoire de deux hommes, et l’histoire des relations entre l’Europe et l’Afrique, entre le premier monde et le tiers-monde», confiait le réalisateur Kevin MacDonald, la semaine dernière au journal belge Le Soir, à l’occasion de la sortie du film en Belgique.

Les relations Nord-Sud, ou plutôt les rapports Nord-Sud, ils sont justement la cible, depuis quelques années, d’Hollywood qui, avec le continent africain, semble avoir trouvé l’espace idéal pour concilier l’inconciliable : l’humanitaire et le spectaculaire. A l’instar de Blood Diamond d’Edward Zwick, sorti il y a deux semaines sur les écrans français et qui dénonçait le commerce des diamants, source de financement des guerres au Liberia et en Sierra Leone. Et, avant cette diatribe contre les diamantaires aux mains couvertes de sang, il y eut l’industrie pharmaceutique accusée de pratiquer des essais thérapeutiques meurtriers au Kenya dans The Constant Gardener, le film de Fernando Meirelles sorti en 2005, année également d’Hôtel Rwanda de Terry George, évocation du génocide de 1994 avec l’acteur américain Don Cheadle. En 2005, il y eut le terriblement efficace The Lord of War, d’Andrew Niccol, avec un Nicolas Cage en marchand d’armes cynique plus vrai que nature. Et sans doute faudrait-il encore citer Ridley Scott qui, en 2001, reprenait à son compte le débarquement américain en Somalie dans La chute du Faucon noir. Enfin, c’est bien encore de l’Afrique que nous entretenait, même en filigrane, Sydney Pollack dans L’Interprète avec, en tête d’affiche, Nicole Kidman et Sean Penn. C’était en 2005.

Passion africaine

(Photo : DR)
(Photo : DR)

Comment expliquer cet engagement pour l’Afrique ? Pour André Kaspi, professeur et spécialiste des Etats-Unis, cette attention remonte «au voyage de Bill Clinton en Afrique (en 1998, il est le premier président américain à fouler le sol africain depuis vingt ans) et notamment sur l’île de Gorée, en face du Sénégal, où, le regard tourné vers l’Ouest, le président a voulu ainsi exprimer la repentance de l’Amérique vis-à-vis de l’Esclavage». Et la suite du mandat de Bill Clinton prouvera qu’il ne s’agissait pas là d’un geste purement symbolique, à l’adresse notamment de la communauté afro-américaine. Quoi qu’il en soit, après des dizaines d’années de relations pour le moins distendues, si l’on excepte, tout de même, la question des richesses minières dans l’ex-Zaïre et celle de la ségrégation raciale du temps de l’Apartheid, les Etats-Unis marquaient avec ce voyage présidentiel un intérêt nouveau pour ce continent. Intérêt, précise André Kaspi, que «deux, voire trois nouvelles considérations ont récemment renforcé. C’est, d’abord, tout ce qui touche au terrorisme dans la Corne de l’Afrique. C’est, ensuite, la défense des principes démocratiques et d’égalité entre tous les hommes, comme au Darfour. Enfin, quarante ans après la fin des guerres de décolonisation, beaucoup d’Africains cherchent du côté des Etats-Unis un contre-poids à l’influence traditionnelle européenne».

Est-ce à la lumière de ce contexte géopolitique qu’il faut donc comprendre l’émergence d’une filmographie «africaine» plus proche du roman de Joseph Conrad, Au cœur des Ténèbres que de La ferme africaine de Karen Blixen ? Sans nul doute. Sans compter, comme le rappelle André Kaspi, qu’«aux Etats-Unis, ce n’est pas mal vu d’attaquer le pouvoir. On a pour habitude de considérer le pouvoir comme un peu corrompu et corrupteur. En fait, depuis 1939 et le film de Frank Capra, Mr Smith au Sénat, c’est toujours le même message : l’innocent qui finit par renverser des montagnes». Partant de là, effectivement, plus rien ne saurait arrêter les grands studios américains. Ni l’industrie du luxe, ni les puissants laboratoires pharmaceutiques. A cette nuance près que si l’on peut parler de tout, encore faut-il respecter quelques règles.

Critères politiquement corrects

(Photo : DR)
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A commencer par le scénario. Selon les critères en vogue à Hollywood, le héros, un Blanc ou naïf ou cynique, doit parvenir au terme de ses péripéties africaines à prendre conscience qu’il s’était engagé sur la voie du Mal et qu’il est désormais temps pour lui de répandre le Bien. Sans cette rédemption, Hollywood ne donnera pas son blanc-seing. C’est la mésaventure qui est arrivée à Lord of War, que les studios américains ont refusé de financer, prétextant que le marchand d’armes incarné par le comédien américain Nicolas Cage n’exprimait à aucun moment un quelconque remord. Sans le Français Philippe Rousselet, le film du Néo-Zélandais Andrew Niccol serait resté dans les limbes, faute, donc, d’une morale irréprochable. Comme le souligne André Kaspi, «les grands studios américains sont trop sensibles au succès pour se permettre d’écorner ce qui constitue l’identité américaine. Ils ont des valeurs à défendre telle que la compassion. Il faut donc une fin qui tienne, d’une manière ou d’une autre, du Happy End, par exemple». Et tant pis si cela induit une accumulation de clichés (l’Afrique, ses victimes, ses bourreaux et ses paysages à couper le souffle) qui contrediraient presque parfois la probable sincérité qui fut à l’origine du projet. Encore que la présence (bancable) de stars et l’insertion de scènes d’action haletantes sont là pour rappeler qu’Hollywood n’est effectivement pas tout à fait désintéressé. Ça porte même un nom, le «political business».

Le «political business»

Le «political business» érigé en spécialité nationale… Comme au bon vieux temps ? En clair, faut-il voir dans ce cinéma engagé - qui d’ailleurs ne se cantonne pas au seul continent africain - la résurgence de l’esprit contestataire des années 60 et 70 aux Etats-Unis ? L’une des conséquences, en tout cas, du 11-Septembre qui a, c’est le moins qu’on puisse dire, ébranlé la psyché hollywoodienne. Du coup, cinéastes, producteurs et même acteurs parfois ont décidé de réinvestir un terrain qu’ils avaient fini par déserter, celui de la contestation. En témoignent les prises de position, à titre individuel, de vedettes comme George Clooney (pour le Darfour), Leonardo DiCaprio (contre les diamants du sang) et même, dans un genre plus «people», Angelina Jolie et Brad Pitt. Parallèlement aux Sean Penn, Martin Sheen et autres Susan Sarandon qui, eux, mêlent leurs voix aux militants de la fin de la guerre en Irak.

(Photo : DR)
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De là à croire, comme dans les seventies, qu' Hollywood peut encore changer le monde, André Kaspi n’y croit pas. «Le contexte n’a rien à voir avec la guerre du Vietnam. Et même si le succès [de ces films] est au rendez-vous, cela ne se traduira pas chez le public par une action politique. Au fond, ce que le spectateur cherche, c’est une belle histoire». Ralph Fienes, l’acteur principal de The Constant Gardener ne disait rien d’autre quand il avouait, l’an passé, au moment de la sortie du film, ne pas se faire d’illusions tout en reconnaissant néanmoins que «si quelques spectateurs quitt[aient] la projection avec l’envie de se renseigner, de lire ou de s’informer, alors [ils auraient] gagné [leur] pari».Tout le sens, également, de l’invitation faite aux spectateurs à la toute fin du film Blood Diamond de ne pas contribuer à alimenter le trafic des diamants.

Le cinéma pour (r)éveiller les consciences. Soit. Qu’il soit alors permis de rêver d’une cérémonie des Oscars, le 25 février prochain, dans le plus simple appareil, autrement dit sans carats ni rivières de diamants. Cela étant, se mouiller en talons aiguilles vaudra toujours mieux que de se contenter de tourner les talons à l’instar des pays occidentaux.



par Elisabeth  Bouvet

Article publié le 13/02/2007 Dernière mise à jour le 13/02/2007 à 11:34 TU