Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Sri Lanka

Des Occidentaux sur le devant du conflit

Les ambassadeurs des Etats-Unis, d’Italie et d’Allemagne ont été blessés ce mardi lors d’une attaque des rebelles tamouls dans l’est du pays. Les autres membres occidentaux de la délégation, invités et amenés dans cette zone de combats par le gouvernement sri-lankais, sont sains et saufs. Les diplomates étrangers se sont ainsi retrouvés dans la ligne de mire d’un conflit qui oppose depuis plus de trente ans la majorité cinghalaise et la minorité tamoule et qui a fait au moins 68 000 morts.

L’ambassadeur américain au Sri Lanka, Robert Blake (5e gauche), et son homologue italien, Pio Mariani (6e gauche), après l’attaque des séparatistes tamouls contre leur hélicoptère. 

		(Photo : Reuters)
L’ambassadeur américain au Sri Lanka, Robert Blake (5e gauche), et son homologue italien, Pio Mariani (6e gauche), après l’attaque des séparatistes tamouls contre leur hélicoptère.
(Photo : Reuters)

 


C’est au moment où Robert Blake, Pio Mariani et Jürgen Weerth s’apprêtaient à quitter l’hélicoptère militaire qui les avait amenés sur la base de Batticaola qu’ils ont été surpris par l’offensive de l’artillerie tamoule. Un obus s’est alors écrasé à quelques mètres de la piste d’atterrissage blessant légèrement les trois ambassadeurs occidentaux. Leurs homologues français, japonais et les autres représentants de l’Union européenne ont pu, en revanche, sortir sains et saufs de cette attaque : ils avaient pris place dans un deuxième hélicoptère qui a rebroussé chemin au moment de l’attaque des rebelles, au lieu de se poser, lui aussi, sur la piste de la base militaire.

La délégation diplomatique avait été invitée par le gouvernement sri-lankais à se rendre dans cet ancien bastion des séparatistes tamouls qu’est Batticaola. La visite des six ambassadeurs - tous venus de pays donateurs et engagés dans des programmes d’aide pour le Sri Lanka - aurait dû leur permettre de se faire une idée de la situation sur place, après les violentes offensives que cette région a connues durant ces derniers mois.

En effet, l’armée s’est livrée à des combats sanglants avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), dans l’est du pays. Au début de l’année, les forces gouvernementales ont finalement réussi à remporter une victoire militaire contre les rebelles et à contrôler la région. Un contrôle qui semble pour le moins «incomplet» après l’attaque d’aujourd’hui.

Le gouvernement sri-lankais, par la voix de son ministre des Affaires étrangères Rohitha Bogollagama, a immédiatement accusé les Tigres d’avoir délibérément pris les diplomates occidentaux pour cible de leur attaque. Les rebelles tamouls des LTTE, quant à eux, ont revendiqué l’offensive sur la base de Batticaola. Les Tigres ont, par contre, exprimé, dans un communiqué, leurs «profonds regrets» d’avoir blessé les Occidentaux et accusent en retour le gouvernement de Colombo d’avoir risqué la vie des diplomates en les amenant, en hélicoptères militaires, dans une zone de combats.

Après cet incident, la présidence européenne allemande s’est dite «très préoccupée au sujet de l’évolution du Sri Lanka» avant d’exhorter les «deux parties à retourner sans délai à la table des négociations et à œuvrer à un règlement viable du conflit».

Une solution politique toujours repoussée

Et pourtant, il y a cinq ans, presque jour pour jour, le Sri Lanka était plein d’espoir : sous médiation norvégienne, le gouvernement et les rebelles tamouls signaient, le 23 février 2002, un accord de cessez-le-feu. Cet accord prévoyait la mise en place au Sri Lanka d’un Etat fédéral qui devait garantir une certaine autonomie aux territoires tamouls, dans le nord et dans l’est du pays. On parlait alors d’un tournant historique, car les Tigres de libération de l’Eelam tamoul avaient accepté une solution autre qu’un Etat tamoul indépendant du Sri Lanka. Les différents signataires croyaient ainsi mettre fin à un conflit de 25 ans qui avait opposé la majorité cinghalaise bouddhiste à la minorité tamoule.

La phase de relative stabilité politique et de reprise économique n’allait pourtant pas durer. En 2003 déjà, les LTTE ont claqué la porte des pourparlers de la paix. Mais le vrai coup du sort arrive au moment de l’élection présidentielle de 2005. Se présente alors le charismatique Mahinda Rajapakse, radicalement opposé à tout droit d’autonomie pour les Tamouls, contre le leader de l’opposition, Ranil Wickremasinghe, connu pour avoir accompagné le processus de paix entre gouvernement et rebelles. Le jour du scrutin, Rajapakse est élu avec 50,3 % des voix contre 48,6 % pour Wickremasinghe. Mais si le tenant de la ligne dure a pu s’imposer, c’est pour une seule raison : Les LTTE ont empêché les 700 000 Tamouls, dans le nord du Sri Lanka, de se rendre aux urnes et de voter pour le candidat de l’opposition, favorable à leur autonomie au sein d’un Etat fédéral. Ce coup des Tigres semble dans un premiers temps, non pas seulement incompréhensible, mais illogique.

Différents observateurs occidentaux se sont, depuis, mis d’accord sur une explication : il n’était pas dans l’intérêt des rebelles d’avancer dans le sens de l’accord de paix signé en 2002. En hissant à la tête de l’Etat un président radicalement opposé à la solution fédérale, les séparatistes les plus radicaux dans le camp des Tamouls pouvaient espérer gagner la compréhension de la communauté internationale pour leur cause indépendantiste.       

Le retour des combats

Aujourd’hui, cinq ans après la signature de l’accord, le cessez-le-feu n’existe plus que sur le papier. Les attaques réciproques entre rebelles et forces gouvernementales ont repris de plus belle depuis janvier 2006, faisant au moins 4 000 morts. Les Tigres reprochent au président Rajapakse d’user du prétexte de «guerre contre le terrorisme» pour «soumettre le peuple tamoul». Le président, quant à lui, se dit prêt à entamer de nouveaux pourparlers, mais pose comme condition préalable que les rebelles déposent leurs armes. Condition évidemment refusée par les séparatistes tamouls qui revendiquent la nécessité des armes dans le cadre de la légitime défense.

Pendant ce temps, l’armée avance dans les territoires tamouls situés à l’est du Sri Lanka. Après quelques victoires militaires flamboyantes dans des anciens bastions rebelles, comme par exemple dans la région de Batticaola, les troupes du gouvernement veulent maintenant viser encore plus loin et plus haut : selon différents observateurs occidentaux, l’armée s’apprêterait à attaquer le nord du pays pour s’emparer ainsi de l’ensemble des zones occupées des LTTE et coupées du reste du Sri Lanka depuis plus de 20 ans.

Les victimes de ces combats sanglants sont d’abord et avant tout les civils tamouls. Depuis les bombardements des territoires, à l’est du Sri Lanka, par l’armée gouvernementale, le flot de réfugiés ne cesse de croître de jour en jour. 200 000 personnes ont déjà été déplacées.

Dans ce contexte d’une extrême violence de part et d’autre, une solution politique ou même un retour à la table des négociations semble pour l’heure un vain espoir.



par Stefanie  Schüler

Article publié le 27/02/2007 Dernière mise à jour le 27/02/2007 à 18:06 TU