20e Fespaco
L'Afrique se filme sans complaisance
Ezra est un jeune homme de 17 ans, enfant-soldat grandi trop vite,
sommé d’affronter un insupportable passé. Atim a le même âge, orphelin lancé sur les traces de l’assassin de son père, tiraillé entre la vengeance tentante et le pardon réparateur. Bibi est un jeune homme à peine plus vieux, caricaturiste doué et sacrément gonflé, mais contraint de faire face à un avenir incertain. Et si Madiké, l’immigré expulsé, fait figure d’aîné face aux trois premiers, il leur ressemble fort : comme eux, il ne sait pas quelle route choisir pour se construire un avenir. Personnages emblématiques. Ezra, Atim, Bibi et Madiké, garçons de fiction issus de quatre films en compétition, incarnent bien l’un des thèmes fort de cette vingtième édition : le choix, souvent cornélien, qui s’offre aux sociétés africaines pour avancer dans ce siècle tout neuf.
Tradition ou modernité ? Religion ou athéisme ? Liberté sexuelle ou relations sévèrement encadrées ? Ces questions là planent de bout en bout sur le nouveau film du Guinéen Cheik Fatamady Camara, Il va pleuvoir sur Conakry, généreusement applaudi à l’issue de la projection de presse. Satire acerbe de l’obscurantisme et de l’hypocrisie religieuse, son film relève la gageure d’être à la fois drôle et dramatique. Léger parfois et souvent profond, tant il touche un sujet essentiel. Religion, tradition, oppression.
Il faut bien dire que cette année, dans les fictions ou les documentaires, le poids des croyances s’impose plus que jamais chez les cinéastes réunis à Ouaga. Dans l’œilleton de leur caméra, le fondamentalisme apparaît soit comme un ressort majeur de l’intrigue (c’est le cas de Djanta du Burkinabè Tasséré Ouédraogo, l’histoire d’une étudiante en quête d’émancipation), soit en toile de fond comme dans Barakat !, où un journaliste est kidnappé à cause de ses écrits ; Barakat !, signé de l’Algérienne Djamila Sahraoui, seule femme en lice pour le prestigieux Etalon de Yenenga.
Nouvelle thématique : l'immigration
L’Afrique qui se regarde et qui se filme le fait donc sans fard ni complaisance. Une Afrique déchirée par l’époque ou la guerre, qui tente d’avancer sur le chemin de la réconciliation. Le thème du pardon apparaît lui aussi comme l’un des axes forts de ce vingtième Fespaco. Mahamat Saleh Haroun, cinéaste tchadien, l’explore tout au long de Daratt, présenté ici en compétition et déjà primé à la dernière Mostra de Venise. Daratt est un film lent et silencieux, qui bouscule les certitudes et refuse de juger. Et si Ezra, du Nigérian Newton Aduaka, porte plus de bruit et de fureur, il échappe lui aussi à tout manichéisme. Le film nous brosse le portrait d’un enfant-soldat, confronté à un passé qu’il souhaiterait occulter. Newton Aduaka y fait preuve d’une remarquable maîtrise de la mise en scène. Son œuvre, forte et émouvante, figure parmi les favorites pour le palmarès final - cela étant, on attend d’ici la fin de la semaine d’autres candidats sérieux : le Tunisien Nouri Bouzid, le Congolais Balufu Bakupa-Kanyinda ou le Sud-Africain Gavin Hood.
Après trois jours de projection, un dernier thème émerge enfin : l’immigration. Traitée sans trop d’imagination – voire avec pas mal de caricature - par le Sénégalais Moussa Sene Absa (Teranga Blues, ou les errements d’un immigré refoulé de France), ou présentée en front renversé, et sous une belle dose d’ironie, par le Béninois Sylvestre Amoussou. Son décapant Africa Paradis (sorti en France ce 28 février) nous conte les mésaventures d’un couple de Parisiens qui tente en vain d’émigrer aux Etats-Unis d’Afrique. Premier long métrage présenté dans un festival bien installé, preuve que le cinéma africain, plus que jamais enraciné dans les réalités du continent, n’a pas fini de se régénérer.
par Valérie Lehoux
Article publié le 28/02/2007 Dernière mise à jour le 28/02/2007 à 11:34 TU