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Santé

Pointe-Noire au temps du choléra

Karine, son mari et ses enfants ont été infectés par le choléra. 

		(Photo : Olivia Marsaud/ RFI)
Karine, son mari et ses enfants ont été infectés par le choléra.
(Photo : Olivia Marsaud/ RFI)
On l'appelle «la maladie des mains sales». Le choléra, infection intestinale aiguë qui se transmet par l'eau, a déjà fait 62 morts depuis novembre à Pointe-Noire, la capitale économique du Congo. En cause : le manque d'hygiène et les problèmes d'assainissement. Reportage dans le quartier le plus touché de la ville océane.

De notre envoyée spéciale 

Le site pour les malades du choléra à l'hôpital de Tié Tié. (Photo : Olivia Marsaud/ RFI)
Le site pour les malades du choléra à l'hôpital de Tié Tié.
(Photo : Olivia Marsaud/ RFI)

Mardi, la pluie est revenue tambour battant. «Ça me désole», soupire le docteur Albert Bouhanga, directeur de l'hôpital de base de Tié Tié, l'un des arrondissements les plus populaires, populeux et pauvres de Pointe-Noire, la capitale économique du Congo (sud-ouest). Car le médecin sait qu'avec les trombes d'eau, l'épidémie de choléra, qui sévit dans le pays depuis novembre dernier, va reprendre de plus belle. Et Tié Tié sera en première ligne. C'est dans cette zone périphérique «en pleine expansion, mal urbanisée et en partie semi-rurale» qu'a été détecté le premier cas de choléra, le 3 novembre 2006. Dans la foulée, la Direction générale de la Santé de Pointe-Noire a effectué des tests dont les résultats ont été annoncés tardivement par les autorités congolaises.

L'épidémie de choléra n'a été déclarée officiellement que le 26 janvier à Pointe-Noire et le 29 janvier à Brazzaville. Raison officielle : il fallait attendre d'être sûr à 100% des résultats des tests. Raison officieuse : il ne fallait pas inquiéter les visiteurs venus assister à la Can junior... «Le gouvernement a attendu qu'il y ait 3 000 cas répertoriés pour déclarer l'épidémie ! », regrette Jean-Marie Samuel Ouenabio, du service communication de l'Unicef Brazzaville. Résultat : aujourd'hui, les aides internationales peinent à trouver le chemin de Pointe-Noire et les moyens manquent.

Selon le dernier bulletin épidémiologique de la Direction départementale de la Santé, le département de Pointe-Noire comptabilise 4 976 cas de choléra et a enregistré 62 morts. L'épidémie a également débordé sur le département voisin de Kouilou, avec 114 cas et 8 morts. Un cas a été déclaré à Mindouli, localité qui se trouve entre Pointe-Noire et Brazzaville, tandis que la capitale politique a enregistré 75 cas et 7 morts. Et, si l'épidémie semble plus ou moins maîtrisée, le risque de sa propagation sur l'ensemble du pays reste aujourd'hui réel.

Lumumba dans la boue

Quartier insalubre à Tié Tié. (Photo : Olivia Marsaud/ RFI)
Quartier insalubre à Tié Tié.
(Photo : Olivia Marsaud/ RFI)

«Nous avons réussi à faire chuter la mortalité des malades qui viennent à l'hôpital. Ils sont soignés gratuitement dans un site que nous avons ouvert début janvier, et qui bénéficie de l'appui de Médecins sans Frontières et de la Croix-Rouge congolaise. Nous n'avons eu qu'un seul décès en janvier. Le problème, c'est que le nombre de cas ne baisse pas, qu'on nous signale encore des morts à domicile et, qu'après la petite saison sèche (janvier-février), la saison des pluies va reprendre», précise Albert Bouhanga.

Le choléra est une infection intestinale aiguë due à une bactérie présente dans l'eau ou à des aliments souillés. Il provoque de fortes diarrhées et des vomissements qui conduisent rapidement à une déshydratation qui peut être fatale si elle n'est pas traitée rapidement. En cause : l'insalubrité et le manque d'hygiène. A Pointe-Noire, ville construite dans une zone marécageuse, on connaît de complexes problème d'assainissement. Problèmes qui empirent dans les quartiers d'habitat spontané qui se sont érigés sur de véritables «vasières».

A l'entrée du quartier Lumumba, largement touché par la maladie, deux hommes ramassent du sable pour tenter de combler les ornières pleines d'une boue noirâtre et pestilentielle. C'est peine perdue. Au plus loin que porte le regard, c'est le même paysage : des cases de tôle posées sur la terre boueuse. Des cours où les enfants pataugent pieds nus et portent leurs doigts sales à la bouche. Des parcelles où les puits ne donnent qu'une eau troublée et dangereuse et où les femmes cuisinent à même la fange, à deux pas des égouts.

Devant sa maison, Julienne, 41 ans, mère de 8 enfants, raconte que son frère, sa belle-soeur et leurs trois enfants ont été touchés et hospitalisés. Toute la famille a été «endommagée», regrette-t-elle. «Avant, on ne savait pas ce que c'était le choléra, on ne connaissait pas cette maladie, mais maintenant, on a vraiment peur. Des gens sont venus nous expliquer comment se protéger. On oblige les enfants à se laver souvent les mains au savon et on met un peu d'eau de javel dans l'eau.» Dans le cas de Julienne, les campagnes de sensibilisation appuyées par l'Unicef, dans les quartiers à risques, et dans les médias, semblent avoir porté leurs fruits. Un petit garçon de 7 ans est fier de dire : «Le choléra, c'est la diarrhée. À l'école, le maître nous a dit de nous laver les mains avant de manger et de bien nettoyer les toilettes». Mais comment faire quand la douche et les latrines sont deux cabanons de tôle, côte-à-côte, qui déversent leurs eaux usées dans tout le périmètre ?

«C'est trop sale ici !»

Selon l'Unicef, 60% des malades seraient des femmes et des enfants. Clémence, 24 ans, est restée une semaine à l'hôpital, elle se souvient qu'on l'a séparée de son bébé de 8 mois et qu'on l'a mise sous perfusion pour la réhydrater. L'enfant n'a pas été contaminé. «Il y avait plein de femmes avec moi, même des femmes enceintes», précise-t-elle. Maciala, 20 ans, a été malade il y a deux mois et a été hospitalisée trois jours. Elle affirme avoir retenu les conseils qu'on lui a donné à l'hôpital : utiliser de l'eau propre, se laver les mains souvent, bouillir l'eau avant de la boire... Mais, plus loin, une femme enceinte affirme : «ça prend trop de temps de faire bouillir l'eau et ça coûte trop cher d'acheter du charbon, alors je ne le fais pas. Je sais que l'eau n'est pas bonne, elle nous pique quand on se lave avec. Mais on n'a pas le choix».

Dans certaines ruelles, l'odeur de pourriture prend à la gorge. Les ordures s'étalent à ciel ouvert, les habitants contournent les eaux stagnantes et les égouts qui débordent. «A cause du très mauvais réseau de distribution de la Société nationale de Distribution d'eau, beaucoup de gens n'ont pas l'eau courante. Ils utilisent les puits, dont l'eau n'est pas potable. Ils ont aussi de mauvaises pratiques : ils profitent de la saison des pluies pour vidanger manuellement les fosses septiques...», note Jean-Marie Samuel Ouenabio.

L'Unicef, qui appuie les autorités sanitaires locales, encourage la désinfection des domiciles. Un programme d'assainissement des puits devrait aussi être mis en place dès que des fonds pourront être débloqués. Une femme s'énerve : «C'est trop sale ici ! C'est dangereux. Avec l'eau stagnante, il y a les moustiques et les maladies !» Quand on l'interroge, elle pense que l'eau de pluie est bonne à boire, ne sachant pas que cette eau, qui tombe dans les puits à ciel ouvert, est aussi contaminée...

Changer les mentalités

«Changer la mentalité des Africains en général et des Congolais en particulier n'est pas chose facile», regrette Jean-Paul Boungou, enseignant, secrétaire chargé des actions communautaires au niveau de la circonscription socio-sanitaire Lumumba. «Les gens ont mal réagi quand nous sommes venus faire de la sensibilisation car ils nous ont reprochés de venir trop tard. Il y avait déjà eu des morts. Mais notre action commence à porter ses fruits», assure-t-il.

A Pointe-Noire, les habitants sont en effet au courant de l'épidémie. Ils n'ont pas pour autant changé leurs habitudes. La radio locale a beau répéter en boucle l'interdiction du gouvernement de vendre et de consommer de l'eau en sachets, des jus de fruits et autres yaourts maison qui présentent un risque de contamination, les «sachets» continuent de se vendre comme des petits pains. Les plus âgés se souviennent aussi de la dernière épidémie qui a touché la ville en 1997, pendant la guerre civile. «Elle n'avait duré que deux mois, nous en sommes déjà à quatre, avec plus de morts...», rappelle le docteur Bouhanga.

Pour tenter de rattrapper le retard sur le plan de la prévention et appeler à plus de mobilisation de la part des organisations internationales, une campagne contre le choléra sera lancée mercredi à Brazzaville et jeudi à Pointe-Noire, en présence du Premier ministre. Sans actions urgentes, la  «maladie des mains sales» risque de faire encore des victimes.



par Olivia  Marsaud

Article publié le 28/02/2007 Dernière mise à jour le 28/02/2007 à 15:25 TU