Tchad-Soudan
La révolution à l’ombre des 4x4
(Photo : Laurent Correau/ RFI)
Depuis l’explosion du FUC, le Front uni pour le changement démocratique, l’alliance rebelle qui avait attaqué N’Djamena le 13 avril 2006, trois groupes armés sont en première ligne de la lutte contre le régime tchadien : l’UFDD, (Union des forces pour la démocratie et le développement) du général Mahamat Nouri, le RFC (Rassemblement des forces pour le changement) de Timane Erdimi et la CNT (Concorde nationale tchadienne) du docteur Al-Djineidi. L’UFDD et le RFC ont regroupé leurs forces et constituent une véritable petite armée face aux militaires tchadiens et à leurs alliés.
De notre envoyé spécial dans les positions rebelles à la frontière du Tchad et du Soudan
Juché sur la plate-forme arrière du véhicule tout-terrain, il désigne un peu plus loin une bâtisse blanche. «Là vous voyez, dit ce cadre rebelle, c’est l’hôpital d’Adré. Nous sommes à 5 kilomètres à vol d’oiseau de la ville». Dans ce paysage de collines, de buissons d’épineux gris et de petits arbres encore verts, les forces rebelles et celles du gouvernement se font quasiment face. A un autre endroit, dans une grande plaine noircie par les flammes, on trouve ça et là quatre véhicules calcinés. «Le sol brûlé, ces carcasses, tout cela ce sont les restes de la bataille de Firni à la mi-décembre, explique un rebelle. Nous nous sommes battus contre des chars, mais nous les avons repoussés». Cette proximité implique, pour les rebelles, des mesures de prudence : au fur et à mesure qu’on s’approche des positions de l’UFDD et du RFC, on croise une patrouille, puis des véhicules à l’arrêt équipés d’armement lourd.
Le tapis du commandement central
Les véhicules sont dispersés, cherchant la couverture des arbres pour éviter d’attirer l’attention. Plus ils sont nombreux, plus on se rapproche du cœur du camp rebelle. C’est autour de leur tout-terrain que les combattants déplient leur bâche, étendent leur linge, passent la journée et dorment la nuit. Un cercle élargi de Toyota entoure enfin un tapis où sont assis plusieurs responsables politiques de la rébellion : c’est le commandement central de l’UFDD.
Il y a deux jours, ce tapis avait été déroulé sur le sable, le lit asséché d’un oued, au delà des montagnes d’Hadjer Marfain. Hier : à deux pas d’un groupe de cases abandonnées en raison de l’insécurité. Aujourd’hui, les rebelles ont établi leur position côté soudanais, près d’Armankoul, sous les branches d’un grand arbre tortueux, sur ce qui semble avoir été jadis un champ… Les rebelles circulent de part et d’autre de la frontière.
(Photo : Laurent Correau/ RFI)
Le tapis du commandement central est le centre nerveux de l’UFDD. Le général Nouri, le président du mouvement, y reçoit ses cadres. On y discute de l’histoire du Tchad ou de la démocratie, on s’y invective, on y boit le thé, on y fait la prière. La troupe suit les échanges à distance, assise sur le capot, sur le pare-choc d’un 4x4 ou encore sur les racines du grand arbre… Quand les politiques s’emportent, certains militaires sourient.
Interrogé sur les raisons de sa lutte, le général Nouri a un discours bien rôdé : «Nous nous battons pour la justice, nous nous battons pour renverser le régime aujourd’hui en place et ramener au Tchad la justice et la démocratie». Il nie en revanche se battre pour la conquête du pouvoir : «si jamais nous gagnons par les armes, nous entendons organiser un forum national, au cours duquel sera mise en place une transition de courte durée, avec un cahier des charges précis, pour aller vers des élections libres et transparentes. Nous n’entendons aucunement prendre le pouvoir par les armes».
Mahamat Nouri insiste. Le pouvoir, dit-il, ça ne l’intéresse pas : «Idriss m’a choqué pour son action, pour ce qui se passe au Tchad. Si l’UFDD arrive au pouvoir demain, Mahamat Nouri est prêt à aller derrière ses camelins, sous ses palmiers. Si jamais la majorité des gens disent : écoute Mahamat tu n’as pas à diriger ni transition, ni rien, je dirais ‘merci monsieur’». Dont acte.
Au rythme du Bréguet français
La vie des rebelles est rythmée par les passages du Bréguet, l’avion de reconnaissance de l’armée française, qui marque les cibles pour le compte de l’armée tchadienne.
(Photo : Laurent Correau/ RFI)
A quelques centaines de mètres du tapis du général Nouri, un autre chef, Timane Erdimi, le président du Rassemblement des forces pour le changement, boit lui aussi le thé avec les responsables de son groupe. Il est 15h30 quand un bruit de moteur désormais familier se fait entendre dans le ciel. «C’est un Bréguet atlantique qui détecte les positions rebelles pour informer N’Djamena, explique Timane Erdimi. Ensuite le gouvernement tchadien envoie des hélicoptères pour bombarder nos positions… Soit ce soir, soit la nuit, soit demain matin très tôt…»
(Photo : Laurent Correau/ RFI)
L’attaque, effectivement, ne se fait pas attendre. Vers 17h00, alors que le général Nouri et Timane Erdimi inspectent les forces de la troisième division, deux hélicoptères de combat tchadiens MI-17 fondent sur les positions rebelles. Les véhicules démarrent en trombe pour se mettre à couvert. Une fois garé, l’un des officiers de l’UFDD, le commandant d’aviation Jean-Louis Vertu, sort d’une caisse en bois la réponse des rebelles à ces attaques du ciel : un missile SAM-7 antiaérien. Il l’ajuste à l’épaule, vise… mais ne tire pas : les hélicoptères sont vite hors de portée. Jean-Louis Vertu s’emporte alors contre l’armée française. «Marquer les positions comme le font les Français, dit-il, fournir les coordonnées GPS de nos positions, c’est désigner les cibles. C’est un véritable acte d’hostilité». La nuit suivante, vers 2h00 du matin, les hélicoptères reviendront pilonner la position désignée par le Bréguet. Mais les rebelles, suivant leur habitude, sont déjà partis ailleurs. «Dès que nous voyons passer l’avion français, il faut changer de position», explique Timane Erdimi. La mobilité est le maître mot des rebelles.
Stratégie de harcèlement
Des sacs de roquettes RPG suspendus au flanc des 4x4, aux canons anti-char et anti-aériens, en passant par les SAM-7, l’arsenal des rebelles est fourni. On peut en avoir un aperçu dans cette plaine où s’est formé un large cercle de véhicules aux couleurs des mouvements. Il y a là plusieurs dizaines de tout-terrains équipés d’armement lourd et maquillés avec des taches léopard faites au charbon. Cet arsenal, pour l’instant, n’est utilisé que pour des opérations de harcèlement contre l’armée tchadienne et ses alliés, les rebelles soudanais du MJE (le Mouvement pour la justice et l’égalité). En uniforme kaki et chèche noir, le chef d’état-major de l’Union des forces pour la démocratie et le développement, Tahir Wodgi, explique qu’il ne s’agit que d’une première étape : affaiblir l’ennemi et se renforcer.
(Photo : Laurent Correau/ RFI)
Le général Nouri, le président de l’UFDD acquiesce : le harcèlement est une stratégie de construction du mouvement… Chacune des opérations éclair menées sur les localités tenues par le gouvernement a permis de saisir de l’armement ou des véhicules. «Après l’attaque d’Abéché, nous avons quitté la ville avec deux camions remplis d’armes et de munitions explique-t-il. C’est à Abéché que nous avons trouvé la plupart de nos missiles SAM-7 anti aériens». Quand nous nous serons suffisamment renforcés en hommes et en équipements, conclut le responsable, alors nous pourrons lancer des opérations plus intenses… Les autorités tchadiennes affirment que les missiles SAM-7 et une partie de l’équipement rebelle ont été fournis par le Soudan et ses alliés chinois. Il est vrai que sur les batteries des missiles antiaériens de l’UFDD, on lit sans aucune difficulté des inscriptions en chinois.
Le chef de l’UFDD explique l’organisation de son mouvement : un état-major général, trois divisions et 12 secteurs. L’UFDD possède une police militaire, une antenne médicale. Elle a même mis en place un système de permissions. Tous les combattants ne sont pas rassemblés en même temps. Le mouvement se dit capable de mobiliser jusqu’à 3 000 hommes, mais 2 000 seulement sont actuellement en opération. Les autres sont dans leur village, prêts à rejoindre le front au premier signal.
A la nuit tombée, à l’heure de la prière et à la lumière des phares, on voit passer l’un des camions chargés d’assurer le ravitaillement de toutes ces troupes. «Les camions vont à chaque fois dans la localité la plus proche de l’endroit où nous sommes pour chercher les vivres», dit, laconique, le chef de la logistique. «Quand il y a du ravitaillement, les hommes ont un repas par jour. Sinon ils doivent se débrouiller», ajoute un responsable rebelle.
Des mercenaires ?
Ils parlent de «révolution» en fumant le narguilé au pied de leur véhicule. Ils disent qu’ils ont pris le maquis pour combattre les injustices dans leur pays. Qui sont-ils donc ces combattants de tous âges, certains très jeunes, d’autre déjà assez âgés ? Pour le gouvernement de N’Djamena, ce sont des mercenaires à la solde de «l’étranger». C’est ce qu’explique le ministre des Affaires étrangères, Ahmat Allam-mi : «Il s’agit peut-être au départ de quelques mécontents tchadiens, dit le ministre, ça arrive, et puis il y a aussi des Africains recrutés ça et là en Afrique… et aussi en Arabie Saoudite dans des écoles coraniques… et des Soudanais. Le tout instrumentalisé par le gouvernement du Soudan pour déstabiliser le Tchad, mais aussi pour faire face à sa propre rébellion au Soudan».
Alors mercenaires ou pas ? La plupart des rebelles s’étonnent et sourient quand on leur pose la question. Certains rappellent qu’ils se sont battus contre les Libyens sous l’ancien président Hissène Habré et qu’en matière d’attachement à leur pays, on ne peut pas leur donner de leçon. Le Dr Bashar Assed Mohamed Aguid, le vice-président du RFC, s’emporte quand on lui parle des accusations du gouvernement : «Il se trompe. Nous nous battons pour le Tchad et nous ne sommes pas des mercenaires. Personne ne nous a payé. Notre objectif principal, c’est de renverser Idriss Déby, amener la paix, garantir la sécurité, et jeter les véritables bases d’un avènement démocratique au Tchad».
Y a-t-il des Soudanais, des Africains d'autre nationalité dans les rangs de la rébellion ? Sur place, dans les positions rebelles, seuls les déçus du régime sont visibles, comme le lieutenant-colonel Mahamat Saleh Ali Hassan. Il porte encore ses barrettes argentées à l’épaulette… signe, disent ses frères d’armes, qu’il est arrivé il y a peu de temps : «Le régime d'Idriss Déby est clanique et aujourd'hui le Tchad n'a d'Etat que le nom, explique-t-il. Moi, en tant que citoyen conscient de mes droits, de mes devoirs, je ne pouvais plus servir un tel régime... Ayant fait le constat qu'Idriss ne travaillait que pour sa famille, j'ai décidé de rejoindre l'UFDD pour apporter un changement réel au Tchad».
Le soutien soudanais
Les mouvements de l'Est sont des mouvements tchadiens. Ils sont cependant soutenus par le Soudan, en réponse à l'appui de N'Djamena aux rebelles du Darfour. Le général Nouri lui-même s’en cache à peine : «Si je suis au Soudan, si je suis venu au Soudan, c’est que tous les opposants tchadiens sont venus au Soudan, Idriss entretient l’opposition armée soudanaise, et le Soudan entretient les oppositions armées tchadiennes». Du côté du gouvernement tchadien, on reconnaît également cette interprétation à demi-mots... «Comme le régime d’el-Béchir pense que nous soutenons les rebelles du Darfour, il a cru devoir envoyer ses obligés contre les positions des forces armées et de sécurité tchadiennes».
Tchad et Soudan se font la guerre par rébellions interposées. Les deux pays ont été entraînés dans ce conflit moins par des décisions politiques que par des solidarités transfrontalières...Quand les mouvements rebelles du Darfour sont apparus, l'entourage du président Déby et des membres de l'ethnie du chef de l'Etat (des Zaghawa qui faisaient partie de l'armée) les ont largement soutenus... Idriss Déby lui-même n'y était pas favorable, mais face à la pression familiale, il a laissé faire. Le Soudan s'est engagé au côté de la rébellion tchadienne pour répondre à l'implication du régime de N'Djamena.
Khartoum ne veut pas de Zaghawa à N'Djaména
Si le régime de Khartoum souhaite le départ d’Idriss Déby, il ne souhaite cependant pas que celui-ci soit remplacé par un autre Zaghawa. Quand après octobre 2005, des Zaghawa du régime tchadien font défection, les Soudanais décident de leur barrer la route en poussant leur poulain, Mahamat Nour. Un homme qui s’était déjà battu pour eux au Sud-Soudan et dans le Darfour. Ils tentent d'imposer Mahamat Nour à l'ensemble des mouvements rebelles en le plaçant à la tête d’une alliance, le FUC, le Front uni pour le changement démocratique, créé le 28 décembre 2005. «Le FUC a été créé pour les besoins de la cause, raconte Timane Erdimi, le président du RFC, assis dans un oued… Comme Déby aidait les mouvements politico-militaires du Darfour, nos amis soudanais aussi ont voulu créer une coalition de toute l’opposition sous une seule bannière. Quand le 1er octobre, le groupe des Zaghawa a quitté le Tchad pour le Darfour afin de s’organiser pour combattre le régime de Déby, le gouvernement soudanais a pris conscience du danger et il a voulu coaliser toute l’opposition militaire sous la bannière d’un personnage un peu psychopathe, Mahamat Nour. Ils ont propulsé le personnage qu’ils avaient entre les mains. Ils n’ont pas trouvé mieux que cela. Malheureusement ils se sont trompés».
Fin 2005, début 2006, c’est à Mahamat Nour que les Soudanais remettent armes et équipement. Il faut se joindre à lui pour bénéficier du soutien de Khartoum. C’est un argument de poids pour forcer l’opposition armée tchadienne à s’unir… et pourtant l’unification échoue. Le 13 avril, les hommes du FUC arrivent jusque dans N’Djamena mais sont repoussés. Mahamat Nour est de plus en plus contesté. Il se rallie finalement, le 24 décembre 2006, au régime tchadien en signant l’accord de Tripoli. Il est devenu ministre de la Défense du Tchad le 4 mars dernier. Les Soudanais, eux, se sont déjà trouvé de nouveaux alliés.
Existe-t-il encore une solution autre que militaire au Tchad ? Les rebelles de l’UFDD et du RFC disent qu'ils sont prêts à s'asseoir à une table de négociations, mais seulement s'il s'agit de mettre en place une formule de transition, avec des élections libres et transparentes. Cette position est partagée par les autres membres de la rébellion, l'opposition politique de l'intérieur et la société civile. Le gouvernement tchadien est pour une table ronde, mais contre un gouvernement de transition et une anticipation des élections... Les civils tchadiens, eux, attendent toujours la paix.
par Laurent Correau
Article publié le 13/03/2007 Dernière mise à jour le 13/03/2007 à 11:08 TU