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Ethiopie-Erythrée

Prise d’otages : Addis Abeba accuse Asmara

Huit Ethiopiens enlevés dans le nord de l’Ethiopie, le 1er mars dernier, restent aux mains de leurs ravisseurs. Mercredi, Addis Abeba a, pour la première fois, imputé au gouvernement érythréen la responsabilité du kidnapping.

De notre correspondante à Addis Abeba

Les otages européens enlevés le 1er mars 2007 dans la région Afar en Ethiopie ont été libérés et remis aux autorités britanniques à Asmara, la capitale érythréenne. (Carte : RFI)
Les otages européens enlevés le 1er mars 2007, dans la région Afar, en Ethiopie, ont été libérés et remis aux autorités britanniques à Asmara, la capitale érythréenne.
(Carte : RFI)

Pour les cinq touristes, l’aventure est terminée, ils ont quitté, jeudi matin, Addis Abeba pour rejoindre l’Europe. Avant leur départ, ils n’ont pas levé la pesante chape de silence qui pèse sur cette affaire. Dans un lapidaire communiqué, ils ont fait état de leur inquiétude pour les Ethiopiens toujours détenus, huit personnes dont les autorités éthiopiennes ont demandé, mercredi, la libération inconditionnelle.

Les Européens en sécurité, Addis Abeba hausse le ton. Pour la première fois depuis le début de la crise des otages, il y a une semaine, les autorités ont accusé le gouvernement érythréen d’avoir planifié et mis en œuvre le kidnapping. «Le gouvernement érythréen a été forcé de relâcher 5 des 13 otages en raison des pressions de la communauté internationale», explique le ministère éthiopien des Affaires Etrangères. Asmara est désormais tenu pour responsable du sort des huit otages restant.

Depuis les premières mises en cause formulées par des responsables éthiopiens de la région Afar, Asmara nie toute implication. Les autorités britanniques ont également suggéré qu’elles écartaient cette éventualité, privilégiant «la piste d’un problème régional Afar». Le gouvernement érythréen désigne une rébellion Afar éthiopienne, précision qui s’impose car le territoire de ce peuple nomade est à cheval entre l’Erythrée, l’Ethiopie et Djibouti. «Les Afars se considèrent d’abord et avant tout comme Afars, ils se jouent des frontières», souligne François Piguet, chercheur à l’Institut universitaire d’études du développement de Genève.

Une halte pour touristes en goguette

Pour cet expert de la région, toute l’affaire commence avec l’attaque d’un poste de douane éthiopien à la frontière entre l’Erythrée et l’Ethiopie. «Selon mes informations, six douaniers et deux policiers ont été emmenés», explique François Piguet. Le kidnapping des Européens n’auraient pas été prévu au départ. Mardi, le premier ministre éthiopien, Mélès Zenawi, a suggéré que les ravisseurs avaient fait «un pas de trop. Peut être cherchent-ils le moyen de revenir en arrière sans compromettre leur propre sécurité ?». Mobilisation du Foreign office, rumeurs d’une intervention des forces spéciales britanniques : s’ils agissaient sans connaître leurs cibles – qui se sont avérées être des diplomates –, les ravisseurs en ont été pour leurs frais.

Selon François Piguet, il existe bien, dans la région Danakil, une faction dissidente du Front de l’unité révolutionnaire et démocratique Afar (ARDUF). Ses militants sont mécontents de l’Ethiopie en raison du développement de l’exploitation mécanisée du sel, la principale ressource du Danakil. En 2003, une étude américaine citait une demi-douzaine de compagnies ayant des projets d’investissement dans le sel. Par ailleurs, ajoute François Piguet, «les Afars, qui travaillent le sel à la main, ne sont pas très contents de voir leurs caravanes taxées à 20 kilomètres de Dallol». En plus d’être une halte pour les touristes en goguette, la localité d’Hamed Ela, où ont été enlevés les otages, est aussi un marché au sel et un poste de douane. Dans cette zone pastorale, où les visiteurs se déplaçaient ces dernières années sans grande crainte pour leur sécurité, la milice ARDUF n’a pas fait beaucoup parler d’elle. Ce sont, toutefois, «des éléments miliciens aguerris», souligne François Piguet.

Paix fragile entre l’Erythrée et l’Ethiopie

Que l’ARDUF ait pu être impliquée dans le kidnapping ne suffit pas à dédouaner l’Erythrée. L’instrumentalisation des conflits locaux et des clans pastoralistes par les gouvernements est monnaie courante, dans la Corne de l’Afrique. De nombreux points restent à éclaircir. Des témoins ont affirmé que les ravisseurs portaient des uniformes de l’armée érythréenne, et que les otages avaient été emmenés dans un camp militaire en Erythrée. Le fait que les Européens relâchés aient été conduit à Asmara suggère qu’ils se trouvaient bien en Erythrée, en dépit des dénégations du gouvernement.

«Il est clair que le gouvernement érythréen cherche à déstabiliser l’Ethiopie», a affirmé, récemment, Meles Zenawi. Selon lui, le gouvernement érythréen utilise des groupes dissidents. «Nous ne pensons pas que les circonstances exigent que nous nous engagions dans une guerre totale avec l’Erythrée pour le moment», a-t-il ajouté. Car un conflit entre les deux pays ne saurait être que total. Le dernier, entre 1998 et 2000, a fait plus de 80 000 morts, pour un différend frontalier irrésolu à ce jour.

Mais dans le communiqué d’hier, les autorités éthiopiennes affirment que le kidnapping n’est qu’une parcelle des activités terroristes de l’Erythrée. Asmara réorganiserait des éléments des tribunaux islamiques somaliens en fuite. La sous-secrétaire d’Etat américaine, Jendayi Frazer, a proféré la même accusation quelques semaines auparavant, ajoutant que l’Erythrée est «une source de déstabilisation pour la Corne de l’Afrique». L’Ethiopie appelle la communauté internationale à prendre les mesures appropriées, faute de quoi «les activités de l’Erythrée vont mettre en péril la sécurité et la paix régionale et internationale». Du sort des otages éthiopiens pourrait dépendre l’avenir de la paix fragile entre l’Erythrée et l’Ethiopie.



par Virginie  Gomez

Article publié le 15/03/2007 Dernière mise à jour le 15/03/2007 à 12:40 TU