Pologne
Sur la table remettons le passé
De notre correspondante à Varsovie
(Photo : AFP)
La Pologne n’en a pas fini avec les démons du passé. Ce jeudi 15 mars est entrée en vigueur une nouvelle loi sur la «lustration» – du latin lustratio, rituel de purification dans la Rome antique –, c’est-à-dire le processus de vérification du passé des individus à l’époque communiste. La précédente loi, qui date de 1997, ne concernait que les députés, les sénateurs, les ministres et les magistrats : ceux-ci étaient tenus de faire une déclaration pour indiquer s’ils avaient collaboré, ou non, avec les services du régime communiste. Un aveu de collaboration n’entraînait pas de sanction systématique, mais un mensonge était sanctionné par une interdiction d’exercer toute fonction publique pendant dix ans. Désormais, la nouvelle loi, votée en octobre dernier, oblige également les directeurs d’école, les professeurs d’université, les avocats, les gestionnaires de société à capital d’Etat et les journalistes, nés avant le 1er août 1972, à montrer patte blanche devant les autorités.
D’après Janusz Kurtyka, le président de l’Institut de la mémoire nationale (IPN), qui a la garde des archives du régime communiste et qui devra vérifier les déclarations de tous ces individus, entre 400 000 et 700 000 personnes sont concernées, alors qu’elles n’étaient que 26 000, environ, avec la loi précédente. L’IPN doit, par ailleurs, publier des listes d’anciens agents de la police communiste dans les six mois à venir, une procédure qui suscite l’indignation de certains qui doutent de l’objectivité du président de l’IPN, un proche des frères Kaczynski au pouvoir. D’autant que les actes conservés dans les archives sont sujets à interprétation : de nombreuses personnes étaient enregistrées comme agents par les services de police sans avoir collaboré pour autant. Le président du Tribunal constitutionnel a donc demandé à l’IPN de ne pas commencer cette procédure tant que la cour n’aura pas étudié sa conformité avec la Constitution polonaise.
Chasse aux sorcières
C’est donc le début d’un vaste remue-ménage en Pologne, conséquence de la politique du parti conservateur Droit et Justice (PiS) qui a fait de l’épuration des institutions son cheval de bataille depuis son arrivée au pouvoir, à l’automne 2005. Jusque-là, les accords de la Table Ronde, qui avaient permis de bâtir la Pologne démocratique sur une alliance entre les anciens communistes et les anciens opposants, n’avaient pas été remis en cause. C’est terminé : désormais, tout le monde a accès aux archives du régime… Certains s’en réjouissent, tels le journaliste Tomasz Szymbowski, qui écrivait ce jeudi dans le quotidien proche du pouvoir Dziennik : «C’est la fin de la plus grande polémique depuis la chute du communisme. Que faire des kilomètres d’actes créés par les fonctionnaires de la police politique : révéler les noms des agents dans leur totalité ou les oublier ?».
Mais la loi divise profondément la communauté des journalistes. Car ces derniers, s’ils travaillent pour un média de service public, seront automatiquement licenciés en cas de collaboration avérée. Dans les médias privés, la décision de licenciement sera laissée à la discrétion de l’employeur. La semaine dernière, sous l’impulsion d’Ewa Milewicz, ancienne opposante et journaliste du quotidien libéral Gazeta Wyborcza, un appel au boycott de la loi était lancé. «Signer aujourd’hui, sous la menace de perdre mon travail, une déclaration qui dit que je ne me suis pas comporté comme une peau de vache à l’époque communiste, est aussi humiliant que d’être contraint par la police communiste à signer une déclaration de loyauté à l’époque du général Jaruzelski», écrivait ainsi, dans les colonnes de l’hebdomadaire Przekroj, le journaliste Wojciech Mazowiecki, fils du premier chef de gouvernement de la Pologne démocratique. La loi pose en effet problème, comme le souligne le sociologue Sergiusz Kowalski, qui ne voit pas pourquoi il devrait «prouver qu’il n’a pas fait ce qu’il n’a pas fait». Le parti postcommuniste SLD (Union de la gauche démocratique) a, de son côté, déposé une plainte devant le Tribunal constitutionnel.
Car la «lustration», aujourd’hui, prend plus que jamais les allures d’une chasse aux sorcières : de nombreuses personnes sont accusées à tort d’avoir collaboré. Dernière victime de ce processus : Andrzej Krawczyk, qui a récemment démissionné de son poste de sous-secrétaire d’Etat pour les Affaires internationales. Mercredi, le tribunal de «lustration» a rendu son verdict : l’homme avait, certes, signé un engagement à travailler avec la police communiste, mais dans les faits, il n’a jamais collaboré.
par Amélie Poinssot
Article publié le 15/03/2007 Dernière mise à jour le 15/03/2007 à 16:48 TU