Rechercher

/ languages

Choisir langue
 
Contenu de l'article

Art

Charlemagne, empereur des Arts et Lettres

L’époque carolingienne à livres ouverts, le propos de Trésors carolingiens, l’exposition qui se tient actuellement à la Bibliothèque nationale de France à Paris. Dans les vitrines, une soixantaine de manuscrits qui couvre la période allant de la fin du VIIIe siècle à la fin du IXe siècle soit de 768 à 877. La période dite de la Renaissance carolingienne dont l’un des personnages-clé ne fut autre que Charlemagne, empereur éclairé qui ne se contenta pas de réformer l’école, selon la légende communément véhiculée. Une soixantaine de Psautiers, Evangéliaires, Bibles et autres sacramentaires sont là pour nous rafraîchir la mémoire. Autant de chefs d’œuvre qui n’avaient pas été montrés au public depuis cinquante ans.

Évangéliaire de Charlemagne, exécuté par Godescalc. 

		(Source : BNF)
Évangéliaire de Charlemagne, exécuté par Godescalc. (Source : BNF)
Crucifixion. Évangiles dits de François II. 

		(Source : BNF)
Crucifixion. Évangiles dits de François II. (Source : BNF)
Bible de Théodulfe. 

		(Source : BNF)
Bible de Théodulfe. (Source : BNF)
Sacramentaire de Corbie. 

		(Source : BNF)
Sacramentaire de Corbie. (Source : BNF)
Évangiles de Drogon. 

		(Source : BNF)
Évangiles de Drogon. (Source : BNF)
Térence, Comédies 

		(Source : BNF)
Térence, Comédies (Source : BNF)
«Tout le monde peut être ému devant l’Evangéliaire de Charlemagne qui reste l’un des plus grands personnages de notre histoire». Autrement dit, nul besoin de connaître «son» Moyen-Age sur le bout des doigts pour admirer les 61 manuscrits de l’exposition Trésors Carolingiens. Soit. Il n’empêche, les légendes qui accompagnent chacune des pièces présentées ont exceptionnellement pris du volume, comme le reconnaît Marie-Pierre Laffitte, l’une des deux commissaires de l’exposition : «Nous avons obtenu des cartels un peu plus longs que d’habitude où nous expliquons ce qu’il faut voir car certaines enluminures sont très compliquées à déchiffrer». Idem pour les notices qui nous indiquent donc, en guise d’introduction, que «de la fin du VIIIe siècle à la fin du IXe siècle, l’Europe occidentale a été traversée par une première renaissance intellectuelle et esthétique aussi remarquable que la grande Renaissance humaniste née en Italie cinq cents plus tard». Et tout cela, sous la première impulsion de Charlemagne qui, contrairement à l’idée reçue n’a pas inventé l’école, mais fut un mécène pour le moins entreprenant. Se posant en héritier des empereurs romains, il mènera de front plusieurs réformes qui traverseront toute l’Europe carolingienne pour donner naissance à un courant culturel à la fois novateur et raffiné.

Charlemagne, empereur éclairé

Du vert, du orange, du pourpre, du violet, du bleu… Entrer dans l’ère carolingienne, c’est pénétrer dans un monde étonnamment coloré. Ce que rappellent les cimaises dont les scénographes de l’exposition ont souhaité qu’elles soient le reflet des couleurs couchées sur les pages des manuscrits présentés. Une autre manière de rassurer voire de surprendre l’œil du béotien tout de suite séduit par cet éblouissant camaïeu moyenâgeux à l’aune, finalement, de cette renaissance qui est marquée par un retour aux sources de l’Antiquité, une recension des textes bibliques et, enfin, par l’élaboration de l’écriture caroline dont l’extrême clarté lui vaudra un rapide et phénoménal succès. Car Charlemagne et ses héritiers, Louis Le Pieux et surtout Charles Le Chauve, ne se sont pas contentés d’encourager la sauvegarde et la transmission des textes anciens, ils ont également contribué à stimuler la création. Et cela dans tous les domaines. Charlotte Denoël, l’autre commissaire de l’exposition, de rappeler qu’«à la différence des Mérovingiens, les Carolingiens ont menée une vraie politique culturelle. Eux-mêmes d’ailleurs se sont entourés dans leurs palais d’intellectuels de renommée qui ont ainsi contribué à ce renouveau».

A cet égard, Charlemagne a tout du monarque éclairé lui qui eut pour conseiller, le fameux savant anglais Alcuin, à l'origine notamment de la réforme scolaire. Un rôle stimulant qui méritait bien un emplacement central au sein de l’exposition où, «dans ce carré VIP», le visiteur peut admirer les manuscrits dits des empereurs, hommages précisément à leur générosité. Ainsi de l‘Evangéliaire de Charlemagne copié et peint par Godescalc dans l’école du Palais entre 781 et 783, la pièce-phare de Trésors Carolingiens. «C’est un manuscrit mythique, confirme Marie-Pierre Laffitte, parce qu’on est sûr qu’il a appartenu à Charlemagne, qu’il a été commandé par Charlemagne et sa femme Hildegarde après un voyage à Rome effectué en 781. C’est un recueil de textes évangéliques, en fait des extraits qu’on avait l’habitude de lire pendant la messe». A ses côtés, non moins impressionnant surtout par sa taille, la première Bible de Charles Le Chauve qui date de 845 et qui pèse 35 kilos. Une commande qui, elle, ne fut pas exécutée au palais impérial mais à l’école de Tours, l’un des nombreux foyers culturels qui ont contribué au rayonnement de la renaissance carolingienne.

Une pépinière de foyers de création

Saint-Martin de Tours, Saint-Denis, Saint-Amand, Corbie et son abbaye, Metz et surtout Reims, le tour des pôles de créations liés à la dynastie carolingienne se concentre au Nord-Est «, souligne Marie-Pierre Laffitte, où il y avait une vie intellectuelle et religieuse très dense. Le nord de la Loire, c’était vraiment le cœur de l’Empire». Tous ces centres de création s’apparentent alors à de vraies petites entreprises artisanales. En fait, rappelle Charlotte Denoël, «la production des manuscrits étaient assez bien organisée avec un chef d’atelier, des copistes qui pouvaient aussi être enlumineurs. Dans d’autres cas, des professionnels de l’enluminure se déplaçaient d’un centre à un autre pour proposer leur service, ce qui a d’ailleurs permis l’identification de certains artistes comme celui qui se faisait appeler Maitre C». Et si pour les besoins de l’exposition, tous ces centres forment comme une ronde autour de l’espace dédié aux Empereurs, chacun d’entre eux a développé un style qui lui est propre. La naissance de l’écriture caroline, par exemple, c’est à Corbie qu’on la localise. Dans l’Est de la France, Metz se distinguera par son travail sur l’ivoire utilisé pour les reliures. Mais de l’avis de Charlotte Denoël, «la production de Reims est la plus somptueuse». Se référant, une fois n’est pas coutume à un texte profane, Les Comédies de Térence, qui remonte à la seconde moitié du IXe siècle, Marie-Pierre Laffitte confirme en saluant ce qu’elle appelle «le style sportif, enlevé des copistes rémois avec des personnages bien dans leurs corps, vivants. C’est assez expressionniste finalement».

Un souci de vulgarisation

La représentation humaine, l’une des prouesses des artistes carolingiens que l’on pourrait d’ailleurs qualifier, à cet égard, d’avant-gardistes. Notamment en ce qui concerne les textes religieux. Le décor de la bible doit-il être historié ? «Alors que cette question divise les théologiens depuis la fin du VIIIe siècle, répond Charlotte Denoël, les Carolingiens ont fait le choix des images, moins dans un souci d’adoration comme le prône le Pape, que dans un but pédagogique. Dans les manuscrits, les images étaient donc là pour éclairer le texte et pour enseigner les fidèles». Débat entre iconoclastes et papistes dont témoignent, par exemple, les deux Bibles de Charles le Chauve. La première datant de 845 est figurative tandis que la seconde exécutée entre 871 et 877, est parsemée de décors géométrique et végétal. Quoi qu’il en soit, cette vulgarisation initiée par Charlemagne passera aussi par un usage de coloris très vifs. Pour diverses raisons, souvent techniques, la palette carolingienne s’est en effet enrichie de nouvelles couleurs et de nouvelles combinaisons, parfois même osées. Là encore, souligne Marie-Pierre Laffitte, «dans le seul but d’éduquer, de frapper l’œil».

Pour ce qui est, au moins, de «frapper l’œil», l’objectif n’a rien perdu de sa pertinence à l’heure de dévoiler au public ces Trésors Carolingiens méconnus. Un demi-siècle en effet que ces manuscrits d’une splendeur que les siècles ont à peine entamée n’avaient pas été ainsi exposés. L’occasion de fréquenter enfin la seule école que Charlemagne ait jamais initiée : l’école des beaux arts. Impérial.

par Elisabeth  Bouvet

Article publié le 25/03/2007 Dernière mise à jour le 25/03/2007 à 17:17 TU