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Europe-Méditerranée

Les banquiers et les transferts d'argent des migrants

Derrière la FEMIP, se cache une initiative de la Banque européenne d’investissement (BEI). 

		(Photo: Marion Urban/RFI)
Derrière la FEMIP, se cache une initiative de la Banque européenne d’investissement (BEI).
(Photo: Marion Urban/RFI)
La Banque européenne d'investissement et la Fédération bancaire européenne ont réuni les banquiers des deux rives de la Méditerranée, pendant deux jours à Paris. Leur objectif : orienter les transferts d'argent des migrants qui, chaque année, envoient près de 16 milliards d'euros à leurs familles, restées au pays et mettre ces fonds au service du développement durable.

La deuxième conférence de la Facilité euro-méditerranéenne d’investissements et de partenariat (FEMIP) -un anglicisme derrière lequel se cache une initiative de la Banque européenne d’investissement- s'est tenue ces 22 et 23 mars à Paris.

Elle réunissait des représentants de banques commerciales mais également des gouverneurs de banques centrales du pourtour de la Méditerranée ainsi que des acteurs financiers et gestionnaires, venus de différents horizons.

L’objectif de la conférence était de sensibiliser les milieux bancaires sur l’importance des transferts d’argent des immigrés à leurs familles et sur leur réorientation afin de servir de façon plus large et à moyen terme au développement de leur pays d’origine.

Plusieurs éléments sont à la base de cette réflexion :

- les migrants restent plus longtemps dans les pays d’accueil,
- de génération en génération, leur condition financière s’accroît,
- les inégalités entre pays du Nord et du Sud se creusent,
- il faut réduire la pression de l’immigration dans les pays européens,
- les promesses d’aides publiques ne sont pas tenues et incluent trop souvent «la part des anges» (les détournements de fonds) qui rejoint les paradis fiscaux.

Des transferts qui dépassent les aides publiques

Entre l’Europe et huit pays méditerranéens, les flux financiers se monteraient à 8 milliards d’euros. 

		(Photo: AFP)
Entre l’Europe et huit pays méditerranéens, les flux financiers se monteraient à 8 milliards d’euros.
(Photo: AFP)

Selon une étude de la FEMIP, publiée en mars 2006, les flux financiers se monteraient à 8  milliards d’euros entre l’Europe et la Turquie, le Maroc, la Tunisie, l’Algérie, l’Egypte, le Liban, la Jordanie et la Syrie, les huit pays sélectionnés par les enquêteurs.

En ajoutant les transactions «clandestines», qui utilisent un réseau d’intermédiaires officieux, la somme des flux est doublée. Elle dépasse largement les investissements directs (4,8 milliards d'euros) et l’aide publique au développement (3,2 milliards d'euros) dans ces pays.

La contribution des diaspora au PIB de leur pays respectif peut atteindre jusqu'à 25% comme au Liban, détenteur du record mondial des transferts.

À l’échelle planétaire, elle atteindrait 149,5 milliards d’euros pour la seule année 2005 (120 milliards en 2004).

De la solidarité familiale

De façon générale, l’argent des migrants sert à acheter des biens de consommation, à payer les dépenses de santé ou l’école. Les montants sont modestes : en moyenne 200 à 300 euros. Toutefois, une hiérarchie des priorités s’établit au fil du temps et des conditions dans lesquelles les immigrés vivent.

La banque marocaine Attijariwafa a mené une enquête précise sur ses clients, constatant que l’argent des migrants arrivés récemment en Espagne ou en Italie était consacré davantage à la consommation courante des familles, tandis que celui des Marocains installés plus au Nord et présents depuis trois ou quatre générations, investissaient dans l’immobilier, les nouvelles technologies et le tourisme, ou constituaient une épargne. Dès lors, il s’agit d’offrir une palette variée de produits bancaires et d'investissements.

... À l'investissement productif

«La politique commerciale doit s’adapter aux valeurs socio-culturelles des clients», insiste le président de Wafa, Khalid Oudghiri, en introduisant un film promotionnel qui montre un de ses employés, serrant des mains de migrants sur le marché de Villemonble, dans la banlieue parisienne, fréquentant, dossiers en mains, les salons de thé orientaux et les antichambres des mosquées.

Attijariwafa va plus loin que la rencontre traditionnelle, sur le terrain : elle organise régulièrement un concours télévisé d’entrepreneurs. Les 10 projets finaux sélectionnés sont financés par la Banque. A la première édition de cette Star Ac’ de l’entreprise, il y a eu 4 000 candidats.

Aujourd’hui, la Wafa Bank est devenue la 4ème banque africaine (derrière trois banques sud-africaines). Elle s’est solidement ancrée en Europe. Par ailleurs, elle vient de s’implanter au Sénégal car comme le précise Khalid Oudghiri : «L’investissement ne s’arrête pas aux portes de l’Afrique sub-saharienne».

Porteurs de valises  ou banques  ?

Le recours au circuit «clandestin» des transferts d’argent répond certes à un souci de protection de la vie privée des immigrés mais souvent, la complexité des procédures, le flou sur les délais ou sur les montants des commissions et l’absence de guichets à proximité du destinataire découragent l’emploi du réseau officiel.

Les contraintes légales liées à l’immigration (en France, l’ouverture d’un compte bancaire ne se fait que sur la présentation d’un titre de séjour) n’incitent pas non plus les migrants à se servir des systèmes officiels. Beaucoup d’illégaux pourtant font parvenir de l’argent au pays.

Quand les migrants ne font pas transporter leurs fonds par des «porteurs de valises», ils ont recours aux sociétés de transferts  tel que Western Union, Travelex ou Money Gram. 

Alléger les coûts des transferts et les rendre transparents

«Lorsque nous nous sommes rendus compte que les immigrés latino-américains vivant aux Etats-Unis payaient jusqu’à 25% entre les commissions et les droits de chèques, nous nous sommes dit qu’il fallait assainir la situation», témoigne Fernando Jiménez-Ontiveros, directeur-adjoint à la Banque inter-américaine de développement. À force de convictions, la BIAD a fait réduire les taux de 10% : «Autant dans la poche des bénéficiaires, et pour le développement des pays».

La Banque centrale européenne a soumis une directive à la Commission qui est un premier pas vers l’amélioration des relations interbancaires. Le projet de création de SEPA (Single European Payment Area), la zone européenne unique de paiement, vise à harmoniser les transferts financiers, en euros, entre les pays membres, pour faire en sorte qu'un paiement transfrontalier soit traité avec la même rapidité, la même sécurité et dans les mêmes conditions qu'un paiement domestique. Cette mesure devrait, par exemple, faciliter les transferts d’argent des travailleurs roumains en Espagne ou en Italie vers leur patrie d’origine (montant des transferts pour ce pays : 2 milliards d’euros).

Toutefois, on est encore loin de la fluidité souhaitée par les partenaires du développement.

 

 *L'étude de la FEMIP (version anglaise uniquement) sur les transferts d'argent en Méditerranée. Lire



par Marion  Urban

Article publié le 23/03/2007 Dernière mise à jour le 23/03/2007 à 14:25 TU