Russie
Colère et fatalisme dans les mines

(Photo: Reuters)
L’explosion survenue le 19 mars dans une mine de charbon à proximité de Novokouznetsk, à 3 000 kilomètres de Moscou, a tué 108 personnes. Il s’agit de l’accident minier le plus meurtrier depuis la chute de l’URSS. Il a donné lieu à une journée de deuil national le 21 mars. La catastrophe révèle une fois de plus l’état préoccupant des équipements des mines de charbon, dont le secteur manque cruellement de financements. La presse russe déplore «le temps des catastrophes» dont les lourds bilans humains sont devenus «une chose ordinaire».
Vision apocalyptique en surface après l'explosion : Les pieds s’enfonçant dans une boue noircie par le charbon, les sauveteurs, casques sur la tête et bouteilles d’oxygène sur le dos, ont remonté, plusieurs heures durant, les corps des victimes, pour la plupart démembrés. Interrogés sur le drame, les mineurs de la région (ils sont des dizaines de milliers) se font fatalistes, sinon cyniques. Les «gueules noires» racontent, timidement, les mêmes histoires : des propriétaires âpres au gain, qui sacrifient la sécurité au profit de la rentabilité.
«Il n’est question que de patrons cherchant à faire de l’argent, confie Pavel, ancien mineur, à un journaliste de l’AFP. C’est ça la Russie». Avec un salaire moyen de 150 euros par jour, les mineurs sont à compter parmi les nombreux exclus de cette nouvelle Russie, loin de Moscou où l’opulence règne, grâce aux pétro-dollars...
Une mine qui faisait l’exception
Comme l’écrit le quotidien Kommersant, «la tragédie d’Oulianovskaïa bat tous les records». Mais parmi les mineurs, la colère gronde. La catastrophe fait suite à d’autres, moins dévastatrices certes, mais meurtrières. Et qui n’ont pas fait la une des journaux. Les mines de la région du Kouzbass, qui datent pour la plupart de l’époque de Staline voire des années 30, ont sinistre réputation. Elles sont connues pour le mauvais état de leurs équipements et surtout... pour le manque de ventilation des souterrains où s’accumulent les dangereuses poches de méthane.
Selon les dernières statistiques disponibles, en Russie, en 2005, 27 accidents ont fait 107 morts. Mais la mine d’Oulianovskaïa faisait pourtant figure d’exception. Mise en service il y a à peine 5 ans, exploitée par la société Ioujkouzbassougol qui en possède une douzaine d’autres dans la région, elle était dotée d’équipements dernier cri. La mine se voulait la vitrine de son propriétaire, le géant russe de l’acier Evraz (propriété à 41 % du milliardaire Roman Abramovitch, le propriétaire du club de foot de Chelsea) avant une introduction en bourse...
«Affaissement ou erreur humaine ?»
Dans ces conditions, quelles sont les causes de l’accident ? Selon le ministre des situations d’urgence, Sergueï Choïgou, dépêché sur place sur ordre du Kremlin pour superviser les opérations de sauvetage, «le facteur humain est hors de cause». D’après les premiers éléments de l’enquête, l’explosion a eu lieu au moment d’essais d’équipements. Parmi les morts, une vingtaine de hauts responsables de la mine, soit la quasi-totalité de la direction. Ce matin là, tous étaient descendus accompagnés d’un expert britannique pour inspecter un nouveau système de sécurité... Selon le parquet «une explosion de méthane ou de poudre de charbon a entraîné un effondrement de la galerie». Rostekhnadzor, l'agence nationale chargée de la surveillance des mines et des centrales nucléaires, examine pour sa part deux hypothèses : «affaissement» ou «erreur humaine».
Evraz pointé du doigt
Selon le quotidien de langue anglaise Moscow Times, cette catastrophe risque d’interrompre un moment les projets du géant de l’acier Evraz, le co-proprietaire de la mine. Pour l’instant, selon l’entreprise, il est trop tôt pour faire une estimation des dommages causés à la mine et des conséquences économiques pour le groupe. Cité par Interfax, un porte-parole de Ioujkouzbassougol affirme cependant que la mine sera reconstruite. En attendant, la tragédie met une nouvelle fois la situation préoccupante du secteur du charbon sur le devant de la scène.
«En 2006, la Russie a produit 309,2 millions de tonnes de charbon. En 2020, le chiffre devrait s’élever à 445 millions», note le quotidien Moskovski Komsomolets, qui s’indigne : «la production de charbon augmente, alors que les infrastructures se dégradent».
par Virginie Pironon
Article publié le 23/03/2007 Dernière mise à jour le 23/03/2007 à 15:16 TU