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Maroc

Dans les coulisses de «Ouarzawood»

L'acteur marocain Driss Roukhe sur le tournage du film suédois «Arn, the knight templar», de Peter Flinth. 

		(Photo : DR/ARN)
L'acteur marocain Driss Roukhe sur le tournage du film suédois «Arn, the knight templar», de Peter Flinth.
(Photo : DR/ARN)
Un site incomparable, une main d’œuvre bon marché : la région de Ouarzazate, dans le sud marocain, attire les productions cinématographiques étrangères depuis un demi-siècle. Mais quant aux retombées socio-économiques de cet engouement, la population de «Ouarzawood» ne se fait plus d’illusions.

De notre envoyée spéciale à Ouarzazate

En cet après-midi de mars, le désert semble s’être incrusté dans Ouarzazate, fouettée par un vent sec et poussiéreux. « Quel temps ! Il n’y a personne dans les rues », souffle Miloud Jghou tout en agrippant sa casquette blanche. Pourtant, ce Ouarzazi d’une cinquantaine d’années, chef de casting et assistant-réalisateur à ses heures, ne fait pas cent mètres sans être accosté par un habitant venu glaner un tuyau sur un tournage, en cours ou à venir, dans la région.

Le directeur de casting Miloud Jghou et sa famille devant le petit écran. 

		(Photo : Cerise Maréchaud)
Le directeur de casting Miloud Jghou (à droite, au centre) et sa famille devant le petit écran.
(Photo : Cerise Maréchaud)

C’est que Ouarzazate, c’est le «Hollywood marocain», vantent les brochures touristiques. Avec sa luminosité, ses kasbah au temps suspendu, ses paysages bibliques ou futuristes et sa main d’œuvre au rabais, la province est devenue un haut lieu de délocalisation pour les tournages étrangers, dont un demi-millier de longs-métrages, de Othello à Kundun, de Lawrence d’Arabie à Babel.

Des tournages moitié moins chers

Encouragés par le royaume à coups d’exonérations de TVA, de remises sur les transports ou de mises à disposition de l’armée ou de la marine, ces films coûtent jusqu’à moitié moins cher qu’en Europe ou aux Etats-Unis. L’année 2007 promet déjà un film à 120 millions de dirhams (plus de 10 millions d’euros), tandis que tout le monde, à Ouarzazate, prie pour le retour de Ridley Scott, dont les films à grand spectacle sont synonymes d’embauche massive.

«D’ici septembre, inch’allah», estime Miloud, dont le nom est apparu au générique de Gladiator et qui devrait travailler sur son prochain tournage. Une belle ascension pour cette personnalité locale ayant figuré «dans plus de 150 films» depuis ses débuts, à huit ans, dans une reconstitution de La Bible, spécialité locale, puis passé chef de casting et assistant- réalisateur. En 2006, deux mois et demi de travail à 3600 dirhams la semaine ont représenté près de deux ans de salaire minimum marocain pour ce père de sept enfants.

A la Wilaya (province) de Ouarzazate, on énumère les retombées positives des tournages étrangers. «Un tiers des bénéfices du tourisme local (qui progresse d’environ 10% en moyenne ces dernières années) sont liés au cinéma», avance Abdessadek el-Alem, du Centre régional d’investissement, aucune étude à l’appui.

«En 2005, trois films ont représenté 30 000 journées de travail pour des techniciens et ouvriers et 27 000 pour les figurants», compte Mohamed Lamrini, responsable de la «cellule» des affaires du cinéma. «Les sociétés étrangères doivent employer au moins un quart de techniciens et s’associer à un directeur de production marocains», précise-t-on à la division de la production du Centre cinématographique marocain (CCM). Bémol : «Le transfert de compétences reste faible et se limite aux petits métiers d’accessoiriste, maquilleur ou régisseur», remarque un professionnel, les efforts de formation demeurant au stade expérimental.

Deux cursus publics et gratuits aux métiers du cinéma, l’un niveau BTS et l’autre rattaché à la faculté Ibn Zhor d’Agadir, se sont ouverts à la rentrée à Ouarzazate, tandis que l’école co-fondée il y a trois ans par le réalisateur Mohamed Asli et les studios italiens Cinecitta a fermé cette année.

A la Wilaya, on évoque l’ouverture, fin 2007, d’un musée du cinéma, l’installation d’une «Film Commission» et on annonce la venue, pour la première fois en novembre, du festival national du film marocain. «Du vernis», soupire cet habitant. Comme les rumeurs, en 2004, de «partenariat» Ouarzazate/Hollywood, qualifié de «bonne blague» par l’hebdomadaire Tel Quel, riant d’imaginer «l’une des villes les plus enclavées du Maroc ‘kif kif’ avec la colline la plus riche du monde».

Car «Ouarzawood», c’est surtout la loi de la mondialisation appliquée au septième art. «ça a amené l’économie moderne dans la région, angélise Mohamed Bakrim, du CCM. Avant, les locaux vivaient du troc, aujourd’hui certains ont, pour la première fois, compté jusqu’à 3000 dirhams».

«Rien ne rentre»

En revanche, l’argent que drainent, au total, les tournages étrangers est plus tabou. Le chiffre de deux milliards de dirhams (environ 180 millions d’euros), comme recettes générées au Maroc ces cinq dernières années, circule ça et là, sans vérification possible. «Rien ne rentre, seules les sociétés de production en profitent», tranche Hicham Zizaoui, acteur ayant réussi à décrocher quelques dialogues et vrais rôles (en arabe), visant la dizaine de «maisons de prod’» qui collaborent avec les sociétés étrangères.

Hicham Zizaoui (g) et Lahcen Bazgra (d) avec leurs fiches de figurant pendant le casting du film «The Pillar Templar». 

		(Photo : Cerise Maréchaud)
Hicham Zizaoui (g) et Lahcen Bazgra (d) avec leurs fiches de figurant pendant le casting du film «Arn, the knight templar».
(Photo : Cerise Maréchaud)

C’est, pourtant, avec deux d’entre elles basées à Marrakech, Zak Production et Dune Films, que ce grand gaillard de 34 ans reconnaît travailler dans les meilleures conditions, gagnant de 3000 à 5000 dirhams par tournage. «Avec Zak, on a droit à un contrat, deux litres et demi d’eau par jour, le déjeuner et le transport, et au moins 250 dirhams par jour», soutient son ami Lahcen Bazgra, 51 ans, dans le salon de Miloud Jghou où ce dernier trie des fiches des «comparses» (figurants).

Mais sur certains tournages, comme celui, en ce moment, d’un téléfilm de la chaîne française TF1, les figurants doivent marcher sept kilomètres avant de travailler, sous un soleil de plomb, sans boire ni manger, pour des tarifs bradés. Et pourtant, Lahcen, qu’ils n’ont «pas rappelé», était prêt à se poster derrière les grilles du plateau «dès trois heures du matin». Comme dans Ouarzazate Movie (2001), documentaire grave et cocasse du cinéaste marocain Ali Essafi, qui montre sans misérabilisme l’exploitation du petit peuple des tournages.

«Ce n’est pas le moment de revendiquer»

Chacun ses priorités : pour la majorité des Ouarzazis, il s’agit de survivre dans une ville où 44% des gens sont pauvres, 47% analphabètes et 70% au chômage (Haut commissariat au plan, 2004) ; pour les autres, il faut résister à la concurrence sud-africaine, tunisienne, polonaise ou mexicaine, dans un contexte aléatoire où les compagnies (américaines) d’assurance des films ont déjà boycotté le Maroc (attentats de 2001 et 2003).

«Ce n’est pas le moment de revendiquer», avertit-on de concert, au moment où résonne, en face de la kasbah Taourirt, la manifestation d’employés d’un hôtel quatre étoiles dont cinq collègues ont été licenciés pour avoir dénoncé le non respect du code du travail.

«Ce n’est pas une question de salaire minimum, estime cet habitant, mais de dépendance. Pourquoi n’y a-t-il aucune industrie dans la région ? Nous avons des dattes, des abricots, du henné, des roses, et tout est traité à Agadir ou Marrakech. Ouarzazate ne produit rien !». La ville, reste, en 2007, sévèrement enclavée, très mal desservie par la Royal Air Maroc et perdue au bout d’une dangereuse route sinuant via le col du Tichka.

A Ouarzazate, les deux seules salles de cinéma sont fermées depuis plus de dix ans. 

		(Photo : Cerise Maréchaud)
A Ouarzazate, les deux seules salles de cinéma sont fermées depuis plus de dix ans.
(Photo : Cerise Maréchaud)

Pour atténuer ce sentiment d’impasse, le petit peuple des tournages peut toujours allumer sa télé pour, peut-être, apercevoir sa silhouette, au coin de l’écran, dans un film où il a travaillé. A la télé seulement, car à «Ouarzawood», les deux seules salles de cinéma sont… fermées depuis plus de dix ans.



par Cerise  Maréchaud

Article publié le 31/03/2007 Dernière mise à jour le 31/03/2007 à 13:13 TU