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Erythrée

L’excision officiellement interdite

Selon l’Union nationale des femmes érythréennes, 94% des femmes sont concernées par les mutilations génitales féminines (MGF). 

		(Photo : AFP)
Selon l’Union nationale des femmes érythréennes, 94% des femmes sont concernées par les mutilations génitales féminines (MGF).
(Photo : AFP)
L’interdiction de l’excision en Erythrée est effective depuis le 31 mars. L’Etat de la Corne de l’Afrique entre ainsi dans le cercle des pays africains, (Sénégal, Burkina Faso, Ghana, Côte d’Ivoire, Djibouti, Guinée, Niger, République centrafricaine, Tanzanie et Togo) où cette pratique, bien qu’interdite, perdure sous le poids de la pression sociale. Selon l’Unicef (le Fonds des Nations unies pour l’enfance), l’arrêt effectif  des mutilations génitales des filles et des femmes passera avant tout par un changement des mentalités.

Dans la nuit de mercredi à jeudi, le ministère érythréen de l’Information a annoncé que «toute personne qui demande, incite ou fait la promotion de l’excision et échoue à informer les autorités rapidement d’un cas d’excision sera passible d’une amende ou d’une peine de prison», sans en préciser le montant ni la durée.

Un triste record

Les mutilations génitales féminines (MGF) sont dénoncées depuis longtemps par le gouvernement. Selon l’Union nationale des femmes érythréennes NUEW), 94% des femmes sont concernées. Ces mutilations sont pratiquées autant par les musulmans que par les chrétiens, dans ce pays où la moitié de la population est musulmane et l’autre moitié chrétienne (orthodoxe). L’Erythrée enregistre le niveau le plus élevé d’enfants subissant des MGF. Selon les dernières données, deux tiers des filles sont excisées en bas âge, 14% à un mois ; 37% d’entre elles le sont avant 30 ans. La religion semble un facteur déterminant : 61% des filles chrétiennes sont excisées avant leur premier anniversaire contre 18% de filles musulmanes.

Des différences peuvent également être observées en fonction du lieu de résidence, selon qu’il se trouve en zone urbaine ou rurale, ou du niveau  d’études. On n’excise pas pour les mêmes raisons, que l’on soit analphabète ou instruite.

Les pays de l’Est africain sont les plus touchés par cette pratique ancestrale et barbare. En dépit d’une baisse de 6% de l’ensemble des taux de prévalence qui était de 95% en 1995, 89% des Erythréennes âgées de 15 à 49 ans ont subi une forme de mutilation génitale.

L’excision (ablation totale ou partielle des organes génitaux externes), à laquelle s’ajoute souvent l’infibulation  (mutilation sexuelle féminine qui consiste à coudre les grandes lèvres dans le but d’empêcher les relations sexuelles), constitue un exemple extrême de discrimination sexuelle et représente une violation fondamentale des droits des femmes et des filles qui les prive de l’opportunité de faire des choix indépendants concernant leur propre corps.

Pratiquée dans des conditions sanitaires déplorables, l’excision est dangereuse et peut même provoquer la mort par hémorragie. Elle est également à l’origine de nombreux décès lors de l’accouchement, sans compter les  problèmes de cicatrisation, d’infections, de rétention d’urine et de traumatismes psychologiques. En outre, les exciseuses utilisent souvent le même instrument (couteaux ou lames de rasoir) pour opérer plusieurs fillettes, au risque de leur transmettre des maladies.

Une symbolique encore très forte

Les femmes avancent, le plus souvent, la coutume et la tradition comme principal argument en faveur de cette pratique. Dans le même temps, le poids de la pression sociale semble peser plus encore que les contraintes religieuses. L’excision est le moyen de contrôler la sexualité féminine. Elle reste étroitement liée à  la question du mariage. Les mères choisissent de faire exciser leurs filles pour leur éviter d’être rejetées et déshonorées. Les campagnes d’information peinent encore à faire bouger les mentalités, car «une fille qui n’a pas été excisée est une fille facile».

«Une carte mentale»

Pour de nombreuses femmes et filles, ne pas subir cette opération signifie qu’elles n’auront ni statut ni pouvoir d’expression dans leur communauté. En raison du grand respect de ces traditions, nombre de femmes qui réprouvent l’excision s’y soumettent toutefois, et la font subir à leurs filles.

L’excision est une pratique culturelle. De nombreux traités et conventions internationaux condamnent cette pratique nuisible, dont la charte africaine sur les droits humains et ceux des populations et le protocole additionnel sur les droits des femmes dit protocole de Maputo. Les efforts visant à mettre fin aux mutilations sexuelles des femmes exigent de comprendre, pour pouvoir les changer, les convictions et les perceptions qui les ont justifiées au fil des siècles. Ceux qui la pratiquent, quel que soit le lieu de leur origine, possèdent les mêmes croyances, la même «carte mentale», quant aux motifs justifiant l’ablation du clitoris. Mais selon les pays, il existe des caractéristiques afférentes à chaque culture. Les prestataires de soins et ceux qui prennent part aux campagnes contre l’excision doivent en tenir compte.

Pour sa part, l’Unicef craint que la «médicalisation» de la pratique, à savoir la participation du personnel médical aux opérations, n’occulte davantage les problèmes liés aux mutilations génitales féminines. Bien que l’intervention de praticiens puisse atténuer les effets néfastes de la procédure sur la santé, elle risque d’empêcher le développement d’une solution efficace à long terme en vue de l’abandon de cette pratique.

L’OMS (l’Organisation mondiale de la santé) estime qu’actuellement, dans le monde, entre 100 et 140 millions de femmes et de filles ont subi une mutilation sexuelle.



par Françoise  Dentinger

Article publié le 06/04/2007 Dernière mise à jour le 06/04/2007 à 16:25 TU