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Arts

Giverny, jolie colonie d’artistes

<em>Portrait de Claude Monet</em> par Theodore Robinson, 1888-1890. 

		(Copyrigth : TFAA)
Portrait de Claude Monet par Theodore Robinson, 1888-1890.
(Copyrigth : TFAA)

Pour les amateurs d’art du monde entier, le village de Giverny est associé à la personnalité de Claude Monet, le père de l’Impressionniste. Le peintre des Nymphéas était pourtant l’arbre qui cachait la forêt car le village normand fut une colonie d’artistes, selon l’intitulé de l’exposition qui se tient au Musée d’art américain de Giverny. Hommage donc à tous ces peintres que la notoriété de Monet a un peu occulté, hommage également à ces lieux qui ont marqué l’histoire de l’art. C’est aussi l’objet de l’exposition que propose actuellement le musée d’Orsay à Paris, La forêt de Fontainebleau, un atelier grandeur nature. Atelier qui accueillit, entre autres, Millet, Corot, Cézanne et même Picasso sans oublier les premiers photographes à l’instar de Gustave Le Gray. Des rochers de la forêt de Fontainebleau, au sud de Paris, aux meules de Giverny, exploration de deux territoires picturaux à jamais gravés dans nos mémoires.


«Maison Rose» Carte postale, Musée d'Art Américain Giverny. (Copyright : TFAA)
«Maison Rose» Carte postale, Musée d'Art Américain Giverny.
(Copyright : TFAA)

«Il faut imaginer dans le village et dans la campagne des chevalets les uns à côté des autres». Nous sommes à la fin du XIXe siècle et, si l’on en croit Katherine Bourguignon, commissaire de l’exposition Giverny impressionniste, une colonie d’artistes (1885-1915), Claude Monet a eu un effet magnétique sur quantité de peintres. Le peintre s’installe dans cette commune de Haute-Normandie en 1883. Le 20 mai de cette même année, il écrit à un de ses amis, «Je suis dans le ravissement, Giverny est un pays splendide pour moi». En déménageant à Giverny, Claude Monet n’avait évidemment pas imaginé que des dizaines d’artistes allaient lui emboîter le pas et pointer le bout de leur nez jusque dans son cher jardin.

Giverny à l’heure du pudding

«En 1887, six artistes arrivent à Giverny. En 1890, on en compte 50 et jusqu’en 1915, ce sont au total 350 artistes qui y séjourneront au moins quelques semaines», raconte Katherine Bourguignon. Les Américains sont certes majoritaires mais on comptera 18 nationalités, ce dont témoigne l’exposition qui donne à voir des toiles de peintres tchèque, polonais et finlandais. Et voilà l’hôtel Baudy qui prend des airs, sinon de tour de Babel, du moins de QG. C’est là, en effet, que les artistes de passage posent leurs valises. Ouverte en 1887, l’auberge est rapidement connue de tout le cercle des peintres d’obédience impressionniste. L’hôtel est bien obligé de s’adapter : il se met à servir du pudding, du thé, des haricots blancs à la mode de Boston. Et des courts de tennis seront même construits devant l’établissement, au début du XXe siècle. «Les habitants de Giverny disaient qu’il fallait parler anglais pour avoir une vie sociale, ici», commente Katherine Bourguignon avant d’évoquer le cas des MacMonnies. Lui, Frederick est sculpteur, elle, Mary est peintre. En 1890, ils achètent le prieuré de Giverny où ils accueillent des artistes, à demeure ou en résidence, faisant de cette adresse, le second haut-lieu de la convivialité «made in Giverny». Quant à Claude Monet, il voit d’un mauvais œil ce défilé de jeunes hommes, de prétendants potentiels. Le peintre craint en effet pour ses belles-filles, toutes trois en âge de se marier. L’une d’entre elles, Suzanne, épousera néanmoins l’Américain Théodore Butler qui, précise Katherine Bourguignon, «fera le lien entre Monet et ces artistes étrangers». Car leur objectif est clair, du moins au début, plagier le Maître.

Des sous-bois aux meules

«Dans la nursery» par Mary Fairchild MacMonnies, 1897-1898. (Copyright : TFAA)
«Dans la nursery» par Mary Fairchild MacMonnies, 1897-1898.
(Copyright : TFAA)

Indiscutablement la présence de Claude Monet en ces lieux attire peintres chevronnés et étudiants des Beaux-Arts. Mais au vu de la froideur du père de l’Impressionnisme à l’égard de cette communauté cosmopolite qui le perturbe plus qu’elle ne le flatte, la raison est à chercher aussi, explique la commissaire, «dans l’ambiance de ce village d’artistes et, surtout, dans le souci de trouver un endroit un peu vierge pour peindre». Renouveler le paysage autrement dit tourner le dos à Fontainebleau qui, depuis 1830, fait école et draine, dans le sillage de feu l’accueillant Jean-François Millet, des dizaines d’artistes, peintres mais aussi photographes comme le rappelle l’exposition La forêt de Fontainebleau, un atelier grandeur nature qui se tient actuellement au musée d’Orsay. Avec Monet et ses comparses, le modèle pictural change donc. On sort des futaies pour s’exposer à la clarté changeante du ciel normand. «Au début, on voit bien que c’est le style de l’école de Barbizon qui domine encore entre Réalisme et Impressionnisme puis, petit à petit, la palette des couleurs est de plus en plus gaie, de plus en plus lumineuse», indique Katherine Bourguignon. Même les sujets évoluent : au thème récurrent de la rivière succèdent celui des collines puis celui des Champs de coquelicots (1890-1891), titre de l’un des trois tableaux de Monet exposés au Musée américain. La référence au Maître est d’ailleurs si explicite parfois qu’elle en devient cocasse comme en témoigne cette Etude d’un jour d’automne soit 12 petites toiles au format rigoureusement identique qui montre exactement les mêmes 3 meules mais représentées à des heures différentes de la journée. «Parce que John Leslie Breck, l’auteur de ce travail a vu les meules de Monet, explique la commissaire, il a voulu essayer de comprendre pourquoi Claude Monet s’était lancé dans cette série. Si ce n’est que pour Monet, le motif en soi n’a aucune importance, ses meules ne sont pas toujours peintes sous le même angle, par exemple. En fait, seul le travail sur la lumière intéresse Monet».

«Etude d'un jour d'automne» par John Leslie Breck. (Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)
«Etude d'un jour d'automne» par John Leslie Breck.
(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)

 

Monet et les autres

«Femme dans un jardin» par Frederick Carl Frieseke, 1912. (Copyrigth : TFAA)
«Femme dans un jardin» par Frederick Carl Frieseke, 1912.
(Copyrigth : TFAA)

Monet a beau être la figure tutélaire de cette colonie, très vite les motifs des «peintres-tifosi» vont s’affirmer, loin des préoccupations de leur modèle. «Il est vrai, rappelle Katherine Bourguignon, que Claude Monet s’enferme de plus en plus dans son jardin qui devient peu à peu son sujet de prédilection, comme en témoignent ses Nymphéas. Et puis, Monet est rarement à Giverny, il voyage beaucoup, expose dans différents pays. Il est à la fois présent et absent». Enfin, il faudrait mentionner son âge. Une voire deux générations le séparent parfois de ces épigones. L’année où Monet peint Impressions, soleil, en 1874, Frederick Carl Frieseke, lui, voit le jour aux Etats-Unis et ne sait pas encore qu’il vivra à Giverny, dans une maison mitoyenne de la propriété du peintre français. Et effectivement, entre 1900 et 1915, les artistes délaissent le pittoresque pour développer un style que l’on pourrait qualifier de «bourgeois». Frieseke, par exemple, multiplie les portraits de femmes dans les jardins et privilégie la représentation de nus. «On est davantage dans le décoratif que dans l’impressionnisme. C’est gai, c’est optimiste. Ça plait à New York où l’on parle du ‘Giverny group’ mais les motifs sont répétitifs et la colonie est en fait un peu sclérosée et on comprend que l’avant-garde ne soit pas venue à Giverny», explique Katherine Bourguignon. Survivance de l’âge d’or givernois, le thème mythique de la meule repris en 1912 par le Polonais Josef Pankiewicz mais dans un style désormais plus proche de Derain que de Monet.

Tourisme artistique

Si l’on excepte quelques surréalistes qui, dans les années 20, s’attarderont à Giverny, comme Louis Aragon et Paul Eluard, le déclenchement de la Première Guerre mondiale marquera la fin de cette bohème normande. Et le début d’un pèlerinage toujours vivace un siècle après. Car si certains de ces jeunes «imitateurs» exposaient régulièrement au Salon de Paris à l’instar du gendre de Monet, leur impact ne s’est pas limité à la seule capitale française. «Aux Etats-Unis, explique la commissaire de l’exposition, il y avait un marché très actif autour des œuvres traitant de la vie du village, des paysans, des bergers». En outre, tous ces artistes étrangers ne se sont pas éternisés à Giverny, beaucoup sont même rentrés au bercail où ils ont finalement importé une façon de peindre. «Theodore Robinson, par exemple, retournera aux Etats-Unis où il deviendra célèbre en peignant des paysages sur le modèle de ce qu’il a fait à Giverny», poursuit Katherine Bourguignon. Ce qui, d’une manière ou d’une autre, contribuera définitivement à asseoir la renommée de ce petit coin de Normandie. On se déplace à Giverny, comme à Barbizon ou Fontainebleau d’ailleurs, pour y «voir» les tableaux des peintres. «A partir de 1900-1905, confirme la commissaire, on voit se développer une sorte de tourisme parce que les thèmes peints sont maintenant connus. Dans les articles de presse, aux Etats-Unis, à cette époque, quand on parle des artistes, on parle aussi de l’ambiance et de l’aspect pittoresque du village. Il y a presque un stéréotype qui se met en place». Serge Lemoine, le directeur du musée d’Orsay, parle à ce sujet du «processus d’artialisation d’un paysage». Il en fut ainsi de la Rome antique, des paysages nord-africains dont s’est, entre autres, inspiré Delacroix, de Collioure si cher à Matisse et Derain, de Fontainebleau et bien sûr de Giverny. Autant de villes, de lieux où s’est écrit l’histoire de l’art et auxquels est associé un motif devenu, par la grâce d’une école ou d’une colonie, unique. Et à ce titre, universellement connu.

«Le Cortège nuptial» par Theodore Robinson, 1892. (Copyrigth : TFAA)
«Le Cortège nuptial» par Theodore Robinson, 1892.
(Copyrigth : TFAA)

 

Mais au delà de l’évocation de ces territoires de peinture, l’exposition Giverny impressionniste, une colonie d’artistes (1885-1915) se veut également un hommage à tous ces peintres qui contribuèrent à l’effervescence du mouvement impressionniste. Comme le souligne Katherine Bourguignon, «certains des artistes américains exposés ici restent des inconnus aux Etats-Unis». Eclipsés encore et toujours par la «star» de Giverny, Claude Monet. Et Katherine Bourguignon de raconter cette anecdote qui en dit long sur le statut de ce dernier : «A chaque fois qu’un article de presse évoquait la colonie, il était systématiquement question de Monet. En revanche, quand la presse parlait de Monet, la colonie n’était que très rarement citée». Et la tentation, il faut bien l'avouer, est encore grande aujourd’hui de se laisser hypnotiser par les 3 magnifiques tableaux de l’encombrant citoyen givernois… aux dépens des quelque 90 autres toiles présentées au Musée d'art américain.



par Elisabeth  Bouvet

Article publié le 20/04/2007 Dernière mise à jour le 20/04/2007 à 08:44 TU

Giverny impressionniste, une colonie d'artistes (1885-1915). Au musée d'art américain de Giverny jusqu'au 1er jullet. 

La forêt de Fontainebleau, un atelier grandeur nature. Au musée d'Orsay à Paris jusqu'au 13 mai.