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Corne de l'Afrique

L'Éthiopie empêtrée dans ses filets

Un soldat éthiopien en position à la frontière. 

		(Photo : AFP)
Un soldat éthiopien en position à la frontière.
(Photo : AFP)
L'attaque surprise du Front national de libération de l'Ogaden contre un site d'exploitation pétrolière chinois ravive les tensions entre les pays de la Corne de l'Afrique. L'Éthiopie accuse l'Érythrée d'avoir aidé les indépendantistes de l'Ogaden. Accusation réfutée par Asmara. Pendant ce temps, l'armée éthiopienne poursuit son offensive contre les miliciens à Mogadiscio.

Addis Abeba accuse l’Érythrée d’avoir aidé les «forces terroristes» du Front national de libération de l’Ogaden (FNLO) dans l’attaque du site pétrolier chinois. Asmara a aussitôt répliqué : «Les Éthiopiens veulent créer un prétexte pour prendre des mesures belliqueuses contre l’Érythrée», en pointant du doigt «l’échec de la politique raciale fondée sur les divisions ethniques» de Addis Abeba.

L’échange d’accusations entre les deux capitales est à prendre au sérieux dans le contexte explosif de la Corne de l’Afrique.

L'attaque contre le site de la compagnie chinoise, situé à Obala, dans le nord-est éthiopien, a été menée vers 6 heures du matin, mardi 24 avril, par plus de 200 hommes armés. 68 Éthiopiens et 9 employés chinois ont été tués. 7 ouvriers chinois auraient été pris en otage.

Le Zhongyuan Petrolum Exploitation Bureau, installé en Ogaden depuis 2006, travaille dans d'autres régions éthiopiennes ainsi qu'au Soudan.

Qui étaient les attaquants du site d’exploitation pétrolière ?

Créé en 1984, le FNLO, mouvement pour l’indépendance de l’Ogaden, est à l’origine de différents incidents dans la région, (attaques contre l’armée éthiopienne, prises d’otages) avant d’attirer l'attention en août 2006.

L’armée éthiopienne vient de se déployer à la frontière avec la Somalie. Il s’agit, dans un premier temps, de dissuader les miliciens du Conseil des tribunaux islamiques, venus de Mogadiscio, de s’emparer de Baidoa, la ville siège du gouvernement de transition somalien. Addis Abeba annonce avoir tué lors d’un affrontement 13 rebelles du FNLO, «des terroristes soutenus par les Tribunaux islamiques somaliens» et justifie aux yeux du monde le renforcement de sa position dans la région.

Quelques semaines auparavant, le FNLO a rencontré des représentants de plusieurs fronts d’opposition éthiopiens dont les plus actifs, le Front de libération oromo (FLO) et la Coalition pour l’unité et la démocratie (CUD), afin d’envisager une stratégie commune.

Depuis les élections parlementaires de mai 2005 qui ont vu la victoire très contestée du Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE), coalition gouvernementale menée par le Premier ministre Ato Meles Zenawi, une vague de répression s’est abattue sur le pays. Les manifestations et appels à la désobéissance civile ont donné lieu à des affrontements, causant la mort de plusieurs centaines de personnes dans la capitale mais aussi dans les provinces. Les organisations des droits de l’homme parlent de 12 000 arrestations. À cette occasion, les mouvements d’opposition comme le CUD et les groupes nationalistes dont le FNLO ont été particulièrement ciblés.

Le FNLO est l’un des premiers groupes à protester quand les troupes éthiopiennes pénètrent en Somalie, en novembre 2006, en dénonçant «l’entreprise colonialiste» d’Addis Abeba. Il a revendiqué plusieurs attaques contre des soldats éthiopiens depuis cette date.

L’aventure somalienne

(Carte : GéoAtlas)
(Carte : GéoAtlas)

Lorsque les Éthiopiens arrivent à Mogadiscio le 26 décembre dernier, sans vraiment rencontrer de résistance de la part des miliciens «islamiques», le Premier ministre Meles Zenawi est persuadé que l’aventure somalienne ne durera pas et que la communauté internationale, plus précisément les États-Unis qui appuient financièrement et techniquement l’opération, lui sera reconnaissante de son intervention. Quatre mois plus tard, ce qui devait être une promenade de santé est devenu un cauchemar.

La présence des soldats éthiopiens à Mogadiscio a déchaîné la hargne des miliciens, qu’ils soient des Tribunaux islamiques comme les présente le gouvernement transitoire somalien, ou qu’ils soient plus prosaïquement attachés à différents clans ou intérêts d’affaires dans la capitale.

Les violences qui ont débuté fin mars, sous les yeux des 1 500 casques verts ougandais tout juste arrivés, n’ont connu qu’une courte période d’accalmie. Selon la fondation Elman, une organisation somalienne qui œuvre pour la paix et la réconciliation, 329 personnes, dont une majorité de non-combattants, ont été tuées dans la dernière semaine. Près d’un tiers des habitants ont fui la capitale et campent dans les environs, hors de portée de l’aide humanitaire, elle-même bloquée par les combats.

Pour le Premier ministre éthiopien, l’offensive menée par son armée à Mogadiscio est un «succès». Il suffira «d’une ou deux semaines de plus pour nettoyer complètement Mogadiscio des Shebab» (milices islamistes).

Même s’il n’existe aucun lien officiel entre les attaquants du site de la société chinoise et les miliciens somaliens de quelque bord qu’ils soient, l’Ogaden étant une région habitée par des Somali, une collaboration inter-frontalière paraît plus que probable.

En 1977, la Somalie du dictateur Siad Barré s’était lancée, avec l’aide de l’Union soviétique, dans la reconquête de ce territoire, considéré comme une partie intégrante de la «Grande Somalie». Après un revirement d’alliance spectaculaire (l’URSS accorde son soutien à Addis Abeba), les Éthiopiens mettent fin à la guerre en mars 1978. 

De façon récurrente, des mouvements somaliens revendiquent la possession de ce territoire. Les fondamentalistes somaliens, quant à eux, appuient la demande d’indépendance de l’Ogaden.

Le faux-frère

Depuis la fin des années 1990, Asmara est la capitale des groupes d’opposants éthiopiens et soudanais. Le régime mis en place par le président Issaias Afeworki a besoin de ce combustible pour se donner une aura de médiateur régional et conserver une certaine légitimité.

En effet, au nom de l’unité nationale (contre l’ennemi éthiopien), Issaias Afeworki se refuse à appliquer la Constitution nationale votée en 1997 qui prévoit l’organisation d’élections multipartites.

Depuis 7 ans, les deux armées, éthiopienne et érythréenne, campent l’une en face de l’autre, à la frontière, prêtes à l’offensive. Dans les capitales, c’est la course aux soutiens internationaux pour faire valoir leurs droits et revendications. Sans succès jusqu’à présent.

Les relations de l’Érythrée avec les États-Unis, qui possèdent la plus grande représentation diplomatique à Asmara, se sont nettement dégradées ces derniers temps. Washington accuse le gouvernement érythréen de fournir armes et entraînement aux miliciens des Tribunaux islamiques.

Parallèlement, l’Éthiopie a bénéficié de livraisons d’armes américaines (19 millions de dollars en 2005 et 2006). La CIA vient de décider d’ouvrir un bureau régional de lutte contre le terrorisme à Addis Abeba.

Après avoir combattu côte à côte le Négus rouge, Mengistu Hailé Mariam, au début des années 80, les «cousins» Issaias Afeworki et Meles Zenawi * se déchirent après l’indépendance de l’Érythrée en 1993. L’Éthiopie prend conscience de ce que représente une négociation avec un État souverain lorsqu'il s'agit d'obtenir un accès à la mer Rouge.

Les Éthiopiens attaquent l’Érythrée en 1998 suite à un différend frontalier. La guerre dure 2 ans et s’achève sur le bilan effroyable de 70 000 morts. Un arbitrage international redessine la frontière mais l’Éthiopie, qui s’était pourtant engagée à accepter la décision, refuse le nouveau tracé.

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* la mère de Meles Zenawi est érythréenne. On a même prétendu que les deux hommes partageaient la même grand-mère. C’était avant 1998.



par Marion  Urban

Article publié le 25/04/2007 Dernière mise à jour le 25/04/2007 à 08:57 TU

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