Espagne
Guernica, cité mondiale de la paix
Le lundi 26 avril 1937, à 16h30, la première bombe allemande de la Légion Condor, au service des armées rebelles nationalistes du général Franco, tombait sur le village de Guernica. Soixante-dix ans après, la petite ville basque a invité les maires des autres «Gernika» de la Deuxième Guerre mondiale à célébrer la paix et la réconciliation entre les peuples.

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Ils sont près de 200 survivants aujourd’hui à pouvoir raconter ce qui s’est passé le 26 avril 1937 quand l’aviation allemande au service des troupes franquistes a fondu sur la petite ville basque de Guernica («Gernika» en langue basque), bombardant et mitraillant les habitants qui fuyaient ou qui tentaient d’éteindre les incendies.
La brutalité et la violence de l’attaque ont marqué définitivement la mémoire universelle grâce au pinceau du peintre Pablo Picasso dans son tableau intitulé «Guernica», qu’il présenta à l’Exposition internationale de Paris, quelques jours plus tard.
Soixante-dix ans après ce bombardement, les survivants sont entourés symboliquement des maires des autres villes martyres de la Deuxième Guerre mondiale, pour manifester contre les violations des droits humains et célébrer la paix et la réconciliation.
Plusieurs capitales à travers le monde se sont associées à cette initiative : un texte commun appelant au dialogue, au respect des différences et à l’acceptation mutuelle a été lu à Buenos Aires (Argentine), Mexico (Mexique), Santiago (Chili), Montevideo (Uruguay), Sydney (Australie), New York (Etats-Unis). Toutes ces villes ont accueilli d’importantes communautés basques, après la victoire des troupes du général Franco.
De nombreuses expositions, notamment à Berlin, ont été organisées pour éclairer le public sur cet épisode historique, que certains Espagnols continuent de vouloir minimiser.
Guernica, 29 avril 1937, de notre envoyé spécial
«Gernika, la plus ancienne ville des Basques et le centre de leurs traditions culturelles a complètement été détruite hier après-midi au cours d’un raid aérien des rebelles», le texte paru le 29 avril 1937 en pages intérieures du quotidien britannique The Times et signé «George Steer», fera la «une» des journaux du monde entier le lendemain. Il raconte comment une ville, située loin des lignes de front, qui n’avait aucun intérêt stratégique militaire a été bombardée, brûlée et mitraillée «pour faire peur» aux civils.
L’offensive contre les Basques a débuté quelques jours auparavant. Le général Mola coordonne les opérations terrestres auxquelles participe la division «Flèche noire» des fantassins italiens et les attaques aériennes. «Ceux qui ne se sont pas rendus coupables d’assassinats et qui livreront leurs armes auront la vie sauve. Mais si la soumission n’est pas immédiate, je raserai toute la Biscaye (autre nom du pays basque) en commençant par les industries de guerre», avait-il prévenu.

(Photo : AFP)
À Gernika, il y avait une petite usine d’armement (qui existe toujours aujourd’hui) et un pont. Mais les avions choisiront d’autres cibles : les habitants.
Le lundi 26 avril entre 16h30 et 19h30, 31 tonnes de bombes dont des bombes incendiaires vont s’abattre sur eux.
«Ils volaient tellement bas qu’on pouvait voir le visage des pilotes», se souvient Pedro Balino, qui avait 16 ans au moment du bombardement. Son premier réflexe quand il entend sonner le tocsin est d’aller se cacher avec un ami dans les collines qui entourent Gernika, car il n’a pas confiance dans les quelques abris, qu’il juge «mal construits». De là, il assiste à l’attaque aérienne : «Les avions descendaient en piqué et mitraillaient les gens dans les rues, jusque dans leurs fermes».
Il s’agissait d’affoler les gens pour les faire sortir, puis de les mitrailler et de les obliger à rentrer, puis brûler les maisons. Au bas de la colline, Pedro Balino voit un groupe d’une dizaine de personnes fauchées par les tirs des Allemands. C’est son premier contact avec la mort. Ce n’est qu’à minuit, qu’il retourne chez lui pour constater que sa maison n’existe plus. Avec elle, ont disparu tous les biens de la famille, inclus la photo de son père parti travailler en Guinée espagnole et qu’il ne reverra plus jamais.
«Guernica»
Pablo Picasso va mal, très mal dans sa vie personnelle quand lui parvient la nouvelle de la destruction de Gernika. Au début de l’année 1937, le gouvernement républicain lui a commandé une œuvre qu’il n’arrive pas à commencer, d’ailleurs, il ne veut plus rien faire d’autre que prendre des cours de chant, confie-t-il à ses amis.
Révolté par la brutalité gratuite de l’attaque de la petite ville basque, l'artiste se met aussitôt au travail. Il fera près de 45 croquis avant d’arriver à la composition finale de la toile, un tableau où tout est cri de douleur. Il a opté pour le noir, le blanc et le gris plus proches des tonalités des affiches, car il s’agit de réveiller les consciences. Le 4 juin, la toile est accrochée à l’un des murs du pavillon espagnol de l’Exposition internationale de Paris.
Picasso qui a fait don du tableau au gouvernement républicain espagnol refusera que celui-ci soit transféré en Espagne tant que le général Franco est vivant. La toile reviendra en 1981 à Madrid. Elle est actuellement exposée à la galerie Reina Sofia.
La municipalité de Gernika a toujours revendiqué la propriété du tableau de Pablo Picasso, un militant pacifiste convaincu. Mais, selon les responsables madrilènes de la galerie, «le tableau est devenu si fragile qu’il ne pourrait supporter le voyage». Le musée de la paix de la ville basque est obligée de se contenter d’une reproduction textile de l’œuvre. «Nous continuerons à le revendiquer», a assuré le maire, Miguel Angel Arana.
L’Histoire à revisiter
Bien qu’une commission d’enquête ait été établie dans les jours qui suivirent l’attaque de Gernika, les historiens n’ont jamais été d’accord sur le nombre de victimes. Il oscille entre 200 et 1 654 morts sur une population de 5 600 habitants. Néanmoins, la polémique ne se situe pas sur la seule statistique. Elle porte bien plus sur l’événement.
C’est d'ailleurs pour cela que les responsables du Musée pour la Paix de Gernika organisent en ce moment une exposition sur les manuels scolaires d’histoire espagnole. Le but étant de confronter les versions. On y présente des manuels publiés sous le régime franquiste, sous la démocratie et des manuels français et en langue basque.
Pour les nationalistes du général Franco, effrayés de l’impact international de l'évènement, les responsables de la destruction de la ville sont les «Rouges». Ils ont incendié eux-mêmes la ville, qui est -ne l'oublions pas- leur capitale culturelle depuis le 14ème siècle.
En 1970, quand les archives militaires sont ouvertes, le bombardement de Gernika est reconnu, mais, selon la nouvelle version, les Basques «ont achevé le travail entamé par les Allemands». Même si les manuels rendent aujourd’hui la vérité à cette épisode dramatique de la guerre civile espagnole, la blessure est loin d’être fermée.
L’historien espagnol, César Vidal, écrivait récemment dans l’un de ses ouvrages : «Il n’y aurait eu à Gernika qu’un peu plus d’une centaine de morts dûs à la déplorable incompétence des autorités locales, incapables de construire des abris et d’éteindre les incendies».
En Allemagne, les Nazi ont longtemps chercher à minimiser leur participation dans le bombardement, jusqu’à ce que des témoins rapportent les propos du maréchal Goering, emprisonné à Nüremberg, à propos de Gernika : «Ce fut un ban d’essai pour la Luftwaffe (l'aviation allemande)». Le nombre élevé des victimes ? insistèrent-ils, «C’est lamentable, mais nous ne pouvions pas faire autrement. A ce moment-là, de telles expériences ne pouvaient être faites ailleurs».
En 1997, à l’occasion du 60ème anniversaire du bombardement, le président allemand Roman Herzog présente ses excuses aux Basques. Cette année, une exposition sur la Légion Condor et son action en Espagne est présentée sur le Mur de Berlin.
par Marion Urban
Article publié le 26/04/2007 Dernière mise à jour le 26/04/2007 à 10:00 TU