Cinéma
Morituri, tuerie en Algérie
Le septième film du réalisateur algérien Okacha Touita sort cette semaine sur les écrans français, en attendant d’être distribué en Algérie.
Adaptation du roman noir éponyme de Yasmina Khadra, Morituri revient sur un épisode noir de l’histoire récente : la «sale guerre» qui déchira l’Algérie dans les années 90. Qui est responsable des milliers de morts ? Qui a eu intérêt à plonger le pays dans la guerre civile ? Qui s’est enrichi ? Le film pose toutes ces questions en poursuivant une intrigue policière classique : le commissaire Llob, traquant les islamistes au quotidien, se voit chargé de retrouver la fille disparue d’un ancien potentat du régime. Mais il ne trouvera que des cadavres sur son chemin et, au final, une vérité qu’il vaut mieux taire.
Le commissaire le plus célèbre de la littérature algérienne, Brahim Llob est de retour. Il a même un visage et une voix : ceux de Miloud Khetib, qui interprète sobrement ce flic fatigué d’une cinquantaine d’années, menacé par les islamistes qu’il combat. Avec l’humour noir comme viatique, il retrouve chaque matin son bureau, la peur au ventre. Ecrivain à ses heures perdues, le commissaire désabusé, persifleur et intègre, doit retrouver la fille disparue de Ghoul Malek, un ancien haut responsable du régime. Suivant une piste semée de cadavres, il ne tarde pas à découvrir un scandale politico financier et se rend compte que les terroristes ne sont pas forcément ceux que l’on croit. Le réalisateur algérien Okacha Touita, exilé en France depuis 1962 et qui n’avait pas tourné depuis Dans le feu hier et aujourd’hui (1999) s’est battu pour monter ce film, rejeté à deux reprises par la censure algérienne qui affirmait ne pas reconnaître l’Algérie dans Morituri (publié en 1998). Crimes de sang, affairismes, collusion entre mafia, pouvoir et islamistes : il est vrai que le reflet tendu par le miroir du roman puis du film n’est guère plaisant.
Gladiateur tragique
Morituri, l’expression est empruntée à l’histoire antique romaine, quand les gladiateurs saluaient l’empereur à leur entrée dans l’arène d’un «Ave Caesar, morituri te salutant», «Ave César, ceux qui vont mourir te saluent». Le commissaire Llob, flanqué de ses adjoints, les lieutenants Lino et Serdj, possède la même distinction tragique. Il continuera l’enquête, osera même publier un roman tiré de ses découvertes, en ignorant les menaces de mort. En dépit d’un budget dérisoire, de conditions de travail difficiles, de difficultés administratives, Morituri fait forte impression. Sans doute parce que, dans la deuxième heure du film, le neurasthénique policier, sans illusions, méprisé, attaqué, touche à l’allégorie : il personnifie l’Algérie, sa dépression, ses impasses.
Le film, même maladroit, participe de ce salutaire sursaut.
Projeté le 31 janvier dernier lors d’une avant-première en ouverture des célébrations consacrant Alger, capitale arabe de la culture 2007, Morituri devrait être bientôt programmé dans les cinémas du pays. La presse avait en tous cas applaudi ce film noir, très noir.
par Sophie Torlotin
Article publié le 29/04/2007 Dernière mise à jour le 29/04/2007 à 09:11 TU