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Mexique

Rio Bec, une cité maya sans roi

Une équipe d'archéologues français, mexicains et espagnols du laboratoire Archéologie des Amériques (CNRS, Nanterre) tente depuis 5 ans de démêler une série d'inconnues dans une cité atypique au cœur du monde maya.

Dans le bourdonnement continuel des insectes, les cris des toucans, des oro-pendulas et, dans le lointain, le grognement des singes araignées, une cinquantaine d’Indiens mayas de la communauté «20 de Noviembre», à coups de machette, ouvrent des brèches dans la forêt tropicale, dégagent des structures, construisent d'impressionnants échafaudages de bois pour restaurer ces vestiges construits par les ancêtres. Ce sont les gardiens de Rio Bec qui aident l'équipe du laboratoire Archéologie des Amériques. Les campagnes de fouilles commencées en 2002, dirigées par Dominique Michelet et Charlotte Arnauld, s’achèvent cette année, juste avant les premières pluies tropicales.

Découvertes par un Français au début du XXe siècle

La façade de la maison noble découverte par Maurice de Périgny au début du XXe siècle 

		(Photo : P. Gouy / RFI)
La façade de la maison noble découverte par Maurice de Périgny au début du XXe siècle
(Photo : P. Gouy / RFI)

Rio Bec est enfouie dans une forêt dense, dans l'État du Campeche, au centre de la péninsule du Yucatan. Pour l'atteindre, il nous faut emprunter, en 4x4, les anciens chemins des collecteurs de chicle - le caoutchouc naturel - que la végétation a envahis. Chaleur moite. Piste boueuse, glissante, accidentée, c’est déjà un exploit quotidien que de s’y rendre. Il fait plus de 40cº à l’ombre, la végétation luxuriante recouvre les édifices. Parfois, au détour de la piste, surgit un monticule avec un beau mur de colonnades que les lianes semblent retenir doucement dans leur chute. C’est sans aucun doute le site maya le plus romantique du Yucatan. Découvert au début du siècle dernier par Maurice de Périgny, il est retombé plusieurs fois dans l’oubli. Cette «cité perdue», qui a eu son heure de gloire entre 400 et 1100 après J.-C., n'a cessé de fasciner par sa beauté et son ampleur : à peine fouillée, d'accès difficile, elle continue d’intriguer par ses particularités déroutantes, semblant remettre en question l'ensemble des connaissances accumulées sur l'architecture, l'organisation sociale et économique des Mayas. Et d'ailleurs, est-ce vraiment une cité ?

Une territoire dominé par de riches paysans

La tour d'une maison noble. 

		(Photo : P. Gouy / RFI)
La tour d'une maison noble.
(Photo : P. Gouy / RFI)

«Rio Bec est une espèce d’anomalie dans le monde maya», explique Dominique Michelet. «Nos fouilles successives, nous ont permis de comprendre un peu mieux quels sont les éléments de cette anomalie et en quoi cette région se différencie des autres. C’est un habitat extrêmement dispersé qui regroupe une multitude de groupes monumentaux sans qu’il n’y ait jamais un centre».

La quinzaine d’archéologues et de spécialistes, que nous avons suivi pendant 12 jours, entre épigraphistes, climatologues, dessinateurs, restaurateurs, architectes, tente de cerner Rio Bec. Tous sont intrigués par l'absence des grandes pyramides qui caractérisent le monde maya classique. En effet, partout ailleurs, l'organisation sociopolitique des Mayas est centrée sur la pyramide, les rois, les personnages sacrés, leurs dynasties et le culte des ancêtres comme on les trouve à Tikal ou à Calakmul ou encore à Palenque. «A Rio Bec, c’est différent. On est dans un système décentralisé d’un point de vue politique. Peut-être que nous sommes face à de nouvelles organisations sociales. Rio Bec nous paraît être une enclave qui a su construire son autonomie et qui se différencie des grands sites comme Tikal ou Calakmul qui lui sont contemporains» nous  explique Dominique Michelet, alors qu’il est en train de dégager avec patience, au petit pinceau, un encensoir qui permettra justement de mieux dévoiler le système religieux de Rio Bec.

«Une de nos hypothèses est que les Mayas de Rio Bec auraient connu une autre forme de gouvernement que la royauté sacrée, dit Charlotte Arnauld, et nous pourrions avoir à faire à un modèle de gouvernement aristocratique bien différent de ce qui existait plus au sud. Rio Bec serait alors le premier exemple d'un type de société qui a peut-être existé plus tard dans certaines cités de la région Puuc, près d'Uxmal, voire ultérieurement, dans la grande cité de Chichen Itza, au nord du Yucatan».

Nacho, un épigraphiste espagnol, nous a invité à le suivre une nuit entière pour relever et photographier, à la lumière rasante et au laser, les glyphes très usés d’une stèle de 6 mètres de haut, enfouie dans la foret. «Elle se trouvait vraisemblablement à l’entrée du domaine d’un noble. Il faut la voir comme une pancarte pour dire au voyageur où il va mettre ses pieds» explique Nacho qui parle couramment plusieurs dialectes mayas et sait lire tout aussi facilement les glyphes. Il tente de savoir pourquoi certains palais, qui ont des banquettes où figurent des scènes royales, n'ont pas érigé de stèles devant leur façade.

Un peu d'intuition mais beaucoup de technique

Une cinquantaine de Mayas reconstruisent les temples de leurs ancêtres. 

		(Photo : P. Gouy / RFI)
Une cinquantaine de Mayas reconstruisent les temples de leurs ancêtres.
(Photo : P. Gouy / RFI)

Sur ce site impressionnant où s’activent en permanence 70 personnes, on voit que l'archéologie n'est plus une science figée. Les archéologues utilisent de nombreux outils scientifiques et toutes les technologies les plus récentes. Philippe Nondedeo, le chef du campement, est l’homme des bois de l’équipe. Un «Rambo» qui a localisé de façon précise à l’aide d’un GPS, les 65 groupes qui existent, en repérant systématiquement tout ce qui apparaissait dans des carrés de 100 mètres sur 100 et sur une superficie de 100 km2, afin de ne rien laisser passer. C’est ce qui a permis la re-localisation des derniers groupes «historiques» de Rio Bec, «perdus» depuis longtemps. D’autres manipulent un géo-radar pour repérer les cavités d'éventuelles chambres funéraires ou ont recours aux analyses ADN des ossements pour déterminer filiations et parentés. Ils nous ont également parlé des analyses menées en palynologie pour reconstituer les conditions climatiques ou sur les sédiments et les micro-charbons pour établir les pratiques agraires. «Autant de disciplines et de techniques qui permettent de vérifier certaines intuitions, mais surtout d'étendre le champ des recherches» précise le directeur de l'équipe Archéologie des Amériques.

Le collapse maya

L'occupation humaine de la zone était certainement supérieure à celle qui existe aujourd'hui. Une visite au village «20 de Noviembre» montre que même s'ils disposent de grandes surfaces de terres, les Mayas actuels pratiquent une agriculture précaire à cause du manque d'eau : la nappe phréatique se trouve à 200 mètres de profondeur. Les cultures se font donc à la saison des pluies. On peut se demander comment la population ancienne et si nombreuse avait pu résoudre ce problème d’eau. Et aussi, compte tenu de la chaleur, comment ils luttaient contre les dégâts causés aux cultures par les insectes et les maladies tropicales. Là encore, les spécialistes en paléo-environnement analysent les prélèvements obtenus dans le fond des réservoirs aménagés par les Mayas près de leurs habitats. Des modifications climatiques ont-elles joué un rôle dans le déclin de Rio Bec et le dépeuplement de la région vers les XI-XIIe siècles ? C'est une des questions clés que se posent les archéologues pour expliquer la disparition de la civilisation maya.

Rio Bec offre encore aujourd'hui des perspectives de recherches passionnantes et peut-être des découvertes surprenantes, mais pour l’heure, toucans, perroquets et oro-pendulas ont hâte que les archéologues disparaissent pour se réapproprier le site.



par Patrice  Gouy

Article publié le 05/05/2007 Dernière mise à jour le 05/05/2007 à 16:44 TU