Cinéma
Allô ? Cannes
(Photo : Elisabeth Bouvet/ RFI)
Cannes au téléphone. La pochade concoctée non sans malice par le cinéaste Bruno Podalydès. Conçue pour la radio, La boîte vocale d’Alex Buchard (éditions Atlantica Séguier) se présente comme un feuilleton téléphonique ayant pour décor et pour motif, le festival de Cannes. Le jeune réalisateur Alex Buchard qui descend sur la Croisette, son premier film sous le bras, il n’en faut pas plus au metteur en scène du Mystère de la chambre jaune pour se livrer à une description burlesque et piquante des mœurs cannoises. Pas de révélation, en effet. Juste un condensé qui emprunte à tous les genres, à toutes les émotions : du drame à la comédie, du film à suspens au happy end. Et pourtant, nous dit Bruno Podalydès, tout est vrai. Une excellente raison pour rester en ligne...
Des badauds, des barrières gris métallisé, des cars de CRS garés dans les rues avoisinantes tandis que leurs occupants font cordon devant les grilles du jardin du Luxembourg… Un petit air de festival de Cannes au croisement du boulevard St-Michel et de la rue de Médicis, là même où Bruno Podalydès nous a donné rendez-vous en ce jeudi matin , voilà qui est, sinon croquignolet, du moins cocasse. On se prend à oublier le générique présidentiel des commémorations du 10 mai pour se projeter quelque 900 kms plus au sud, dans les pas d’Alex, personnage principal de La boîte vocale d’Alex Buchard, sorte de Vade-Mecum à l’usage de tous les angoissés qui débouleront sur la Croisette «par la petite porte», selon la formule de l’auteur.
Ni tapis rouge, ni suite royale, ni bains de minuit dans le champagne, ni décolletés profonds. Pour Alex Buchard, ce serait plutôt «Aide-toi et le ciel t’aidera». Premier film, première participation cannoise dans la très obscure section «Prémices européens», autant dire qu’à première vue, il n’y a pas de quoi rouler des mécaniques. D’ailleurs, c’est la bobine de son film L’ombre de lui-même sous le bras qu’il descend sur la Croisette, en train. Billet de seconde classe et changement à Lyon, inclus. «Des souvenirs inventés» comme Bruno Podalydès les appelle lui-même car Alex Buchard, c’est un peu l'équivalent de la Bovary de Flaubert, autrement dit le double de l'auteur. Bruno Podalydès s’est, en effet, largement inspiré de sa propre expérience pour écrire cet instantané cannois. C’était en 1991, son film Versailles rive gauche était sélectionné à Cannes, dans une section parallèle baptisée «Cinéma en France» : «J’ai commencé le festival comme un tout petit court-métragiste et je l’ai terminé, ne réalisant pas la rumeur qui avait enflé pendant ce temps-là. On a fait les premières projections avec très peu de monde et à la fin, on refusait des gens. Ça a été absolument miraculeux pour moi». De l’hôtel de 3ème zone à la notoriété aussi soudaine qu’inattendue, tel est donc le parcours d’Alex Buchard, prétexte à une autopsie des mœurs festivalières aussi justes qu’hilarantes.
Dans le tourbillon de la vie
Producteur, attachée de presse, sponsor, agent, actrice en herbe, critique, journaliste étranger, star, réalisatrice, petite amie sans oublier «maman qui t’embrasse», tous pendus à la boîte vocale d’Alex qui pour évoquer un film à voir absolument, qui pour solliciter une interview, qui pour raconter les fêtes démentes avec le double de Pierre Richard, qui pour le conjurer de ne plus dîner seul dans une pizzeria, qui pour l’inviter à un petit déjeuner sous le haut patronage d’un industriel forcément important, qui pour demander l’asile politique, qui pour se plaindre du mauvais fonctionnement du magnétoscope, bref pas le temps de respirer. Une frénésie, une intensité à l’aune de cette manifestation, raconte Bruno Podalydès : «Cannes, c’est un condensé de la vie. […] C’est tout en pics et en chutes. On a des moments d’enthousiasme parce qu’on vient de rencontrer quelqu’un de formidable qui vous ouvre des portes et puis des moments de grande solitude où on est complètement désespéré parce qu‘on s’est fait descendre par un journaliste. Il y a constamment tous ces balancements». Le réalisateur de Liberté-Oléron se souvient d’ailleurs d’avoir eu «la sensation d’être sur un bateau qui tanguait, qui roulait et que tout le monde naviguait à vue. Et ce qui [m]’a impressionné aussi, c’est d’avoir la sensation de vivre les quatre saisons en quelques jours c’est à dire que dès le lendemain, un film tant désiré est déjà démodé. Tout tourne très vite et donc c’est très rigolo».
Bruno Podalydès assimile même ces 12 jours «d’élans et de pulsions à un tournage où, précise-t-il, on ne réfléchit pas beaucoup, on est constamment dans l’action, on va vers l’instinct et c’est seulement après coup qu’on réalise le film qu’on a fait, en le montant. Et Cannes, ça fonctionne de la même manière, c’est en rentrant chez soi que s’opère le montage et qu’on reconstitue ce qu’on a vécu». Royaume de l’artifice où «il suffit de ressembler à quelqu’un ou d’arborer un havane pour passer pour un nabab», le festival de Cannes n’en demeure pas moins, aux yeux de Bruno Podalydès, un rendez-vous «très important pour les cinéastes parce que les techniques nous isolent tous les uns des autres. Et donc, il faut des moments où on se retrouve enfin. Il y a même une espèce de soulagement à se retrouver comme ça». Et pas seulement pour la galerie. «Moi, je me souviens d’une poignée de mains avec Nick Nolte l'an passé, poursuit le réalisateur de Dieu seul me voit, il y a eu un vrai regard.[….] Ça dure deux ou trois secondes, ce n’est pas grand chose mais je m’en souviendrai toute ma vie». La magie du festival de Cannes où tout peut décidément arriver comme une improbable rencontre entre un metteur en scène inconnu, Bruno Podalydès, et un réalisateur vénéré, John Turturro. C’était l’année (définitivement faste) de Versailles, rive gauche.
La Dolce Vita
Si Bruno Podalydès rend hommage, dans sa préface, à François Truffaut qui disait que «le cinéma est une intensification de la vie», il aurait pu également convoquer Federico Fellini car, reconnaît-il, «pour moi, Cannes c’est la Dolce Vita. [….] Des espèces de grandes inventions folles qui débouchent sur des vérités qui nous transcendent». Mais aussi et peut-être surtout, au-delà des fêtes, des retrouvailles et des grandes révélations existentielles, sur des films souvent inoubliables. Car, insiste-t-il, «on vient à Cannes pour le cinéma. Et surtout, on va voir les films sans aucun préjugé, dans un état de virginité totale, souvent ne connaissant même pas le nom du cinéaste. Et j’ai eu comme ça de grandes émotions comme quand on rencontre quelqu’un dont on ne sait rien avant». Et Bruno Podalydès d’ajouter : «Une bonne cuvée, c’est une année où les films présentés ont soulevé l’enthousiasme».
Quant aux mythiques marches du Palais des festivals, que le lecteur se rassure : Alex Buchard finira par les monter, au terme de dix jours d’un suspens intenable pour tous ses amis et proches. Un happy end assez incontournable, à vrai dire, tant Bruno Podalydès garde un souvenir prégnant de ce rituel sans lequel Cannes ne serait pas tout à fait Cannes. C’était l’an passé pour Paris, je t’aime, hommage à la capitale française qui réunissait 20 réalisateurs dont notre Versaillais : «C’est très électrique, on est dans une lumière particulière, il y a ce tapis rouge qui existe vraiment et qui n’est pas qu’une image de télévision. Il y a un crépitement merveilleux et j’aimerais bien le vivre de nouveau avec des gens que j’aime. Oui, j’aimerais bien passer dans ce rayonnement-là». Et de conclure, le regard en 24 images/seconde, «oui, c’est beau de voir Clint Eastwood arriver, cette magie-là oui, les marches, toujours les marches».
Ce qui s'appelle décrocher...la lune. Bip bip...
par Elisabeth Bouvet
Article publié le 11/05/2007 Dernière mise à jour le 11/05/2007 à 17:09 TU