Liban-France
Avec Sarkozy, continuité ou rupture?
De notre correspondant à Beyrouth
(Photo : AFP)
Depuis près de trois ans, la France est un acteur principal au Liban. C’est sous l’impulsion de Jacques Chirac et en coordination étroite avec les Etats-Unis, que le Conseil de sécurité a voté, le 2 septembre 2004, la résolution 1559, considérée par de nombreux observateurs comme le point de départ, voire le déclencheur de la crise actuelle qui secoue le pays. Ce texte, voté pour empêcher la prorogation du mandat du président Emile Lahoud comme le souhaitait la Syrie, exige aussi le désarmement des milices libanaises et non libanaises, en allusion au Hezbollah et aux organisations palestiniennes.
Trois ans plus tard, Emile Lahoud est toujours au pouvoir. Mais entre-temps, Rafic Hariri, ancien Premier ministre et ami de Jacques Chirac, est assassiné le 14 février 2005. Au lieu de reculer, la France décide de s’investir davantage. Elle conduit, avec les Etats-Unis, une vaste campagne internationale qui aboutira au retrait, le 26 avril 2005, des troupes syriennes, après trente ans de présence au pays du cèdre.
La France est aussi à l’origine de la plupart de la douzaine de résolutions sur le Liban, adoptées au Conseil de sécurité. Certaines exigent la formation d’une commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Hariri et la constitution d’un tribunal international pour juger les coupables. D’autres appellent la Syrie à respecter la souveraineté du Liban, à établir avec lui des relations diplomatiques, et à délimiter les frontières communes. Paris a également joué un rôle de premier plan dans l’élaboration de la résolution 1701, qui a décrété la fin des hostilités lors de la guerre de juillet-août 2006, entre le Liban et Israël. Après l’Italie, elle a dépêché le plus important contingent dans le cadre de la Finul, la force des Nations unies déployée au Liban-Sud.
Avec l’ensemble des pays occidentaux, la France a généreusement soutenu le cabinet dirigé par Fouad Siniora, qui comptait dans ses rangs deux ministres du Hezbollah. Lorsque ce parti a décidé de quitter le gouvernement avec ses alliés chiites du Mouvement Amal et un ministre chrétien proche d’Emile Lahoud, l’appui français à Fouad Siniora ne s’est démenti à aucun moment. Bien au contraire, dans la profonde crise politique qui secoue le Liban, la France a résolument pris le parti de la coalition du 14-mars, face à une opposition conduite par le Hezbollah et le général Michel Aoun, qui dirige le plus important bloc chrétien au Parlement (21 députés sur 128).
Rencontre Sarkozy-Hariri
Le 14-mars voit dans la France un fidèle allié qui soutient l’indépendance du Liban. L’investissement personnel de Jacques Chirac dans l’affaire du tribunal international, et sa détermination en faire voter ses statuts, même sous le Chapitre VII de la Charte des Nations unies, sont particulièrement estimés. L’opposition, elle, dénonce la partialité de la France. Elle l’accuse d’avoir contribué à approfondir les divisions entre les Libanais, au risque de provoquer une cassure irrémédiable. Le rôle de Paris pendant la guerre de l’été dernier fait aussi l’objet d’appréciations contradictoires. Le 14-mars loue les efforts de la France pour mettre un terme à l’offensive israélienne qui a fait 1 000 morts et 4 000 blessés, en majorité des civils. Le Hezbollah, pour sa part, soupçonne Paris d’avoir fait le jeu d’Israël et d’avoir tenté, avec les Etats-Unis, d’adopter une première résolution qui répondait aux exigences de l’Etat hébreu. Emile Lahoud, lui, est allé plus loin. Il a nommément accusé Jacques Chirac de s’ingérer dans les affaires internes libanaises et de faire primer ses amitiés et relations personnelles (ses liens avec la famille Hariri) sur les intérêts des deux pays.
Avec l’élection de Nicolas Sarkozy, le 14-mars craint que le Liban ne soit plus une priorité à l’Elysée. La coalition pro-occidentale s’inquiète d’un possible recul de l’intérêt de la France pour le dossier libanais. Et c’est avec soulagement qu’a été accueillie l’annonce de la rencontre, chez Jacques Chirac, entre Sarkozy et Saad Hariri. Surtout que la réunion de 45 minutes, illustrée d’une photo montrant le président élu serrant la main au fils de l’ancien Premier ministre libanais, a été perçue comme un message fort destiné à montrer que le successeur de Chirac est disposé à suivre le même chemin, au moins pour ce qui concerne le dossier libanais.
Le Hezbollah, de son côté, a espéré que le nouveau président sera plus équilibré dans son approche de la crise libanaise. Emile Lahoud a souhaité que la politique de la France soit désormais plus impartiale et moins personnalisée.
Dans l’ensemble, les observateurs ne s’attendent pas à de grands changements dans la politique libanaise de la France. Surtout que les positions de Nicolas Sarkozy sur les principaux dossiers sont connues de tous. Dans une interview accordée à un hebdomadaire libanais en mars dernier, le nouveau président s’est exprimé sur presque tous les dossiers. Il a estimé que «le Hezbollah est une milice armée qui échappe au contrôle de l’Etat et qui relaie, à l’évidence, les mots d’ordre de la Syrie et de l’Iran». Sur ce point, sa position est plus radicale que celle de Jacques Chirac et il pourrait bien revenir sur l’attitude traditionnelle de la France qui a toujours refusé d’inscrire le parti islamiste sur la liste européenne des organisations terroristes. Toutefois, Sarkozy pense qu’il ne revient pas à la Finul de désarmer le Hezbollah, mais aux autorités légales libanaises.
Concernant le tribunal international, le nouveau président insiste sur la nécessité de juger les auteurs des crimes commis au Liban. Mais il affirme que c’est aux Libanais de décider s’ils préfèrent que les assassins soient jugés par un tribunal international ou une juridiction libanaise.
Pour tenter d’en savoir plus, les différentes parties libanaises attendent de connaître les hommes à qui seront confiés les dossiers du Liban et du Proche-Orient. Car c’est à travers la composition de l’équipe du président que l’on saura si le nouveau président français a choisi la rupture avec la méthode Chirac ou, au contraire, la continuité.
par Paul Khalifeh
Article publié le 15/05/2007 Dernière mise à jour le 15/05/2007 à 19:56 TU