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Liban

Un épais mystère entoure Fatah al-Islam

Lié au réseau al-Qaïda, marionnette des services de renseignements syriens, ou, encore, groupe financé par les Saoudiens? Un épais mystère entoure Fatah al-Islam aux prises depuis deux jours avec l’armée libanaise. Qui est ce groupe et quels sont ses objectifs.
Abu Salem, porte-parole du Fatah al-Islam. 

		(Photo : AFP)
Abu Salem, porte-parole du Fatah al-Islam.
(Photo : AFP)

De notre correspondant à Beyrouth

Depuis l’aube de samedi, l’armée libanaise livre des combats acharnés à un groupe extrémiste sunnite appelé Fatah al-Islam, essentiellement basé dans le camp de réfugiés palestiniens de Nahr el-Bared (35 000 habitants), près de la ville de Tripoli, au Nord-Liban. Ce mouvement a connu un développement exceptionnel en un temps record. Totalement inconnu il y a six mois encore, il a montré de grandes capacités au niveau de l’armement et de l’entraînement, et prouvé qu’il était en mesure de combattre sur plusieurs fronts simultanément et d’infliger de lourdes pertes à une armée professionnelle.

Fatah al-Islam fait parler de lui le 26 novembre 2006, lorsqu’il annonce son existence à travers un communiqué. Il se définit lui-même comme un mouvement islamiste et se fixe comme objectifs de «combattre les juifs en Palestine» et de «défendre les sunnites contre leurs ennemis». De toute évidence, le groupe se place dans la sphère de la mouvance salafiste-jihadiste. Ce n’est pas tout à fait nouveau chez les Palestiniens du Liban, puisque deux autres groupes, Jund el-Cham (Les soldats du Levant) et Esbat el-Ansar (La Ligue des partisans), basés dans le camp d’Ain el-Héloué, à l’est de Saïda, sont connus des Libanais depuis le début de la décennie. Mais dès le départ, Fatah al-Islam semble différent. Son discours colle à celui d’al-Qaïda, et ses liens étroits avec la branche irakienne de la mouvance commencent à apparaître.

Selon sa genèse officielle, Fatah al-Islam est né d’une scission du Fatah-Intifada, un groupe pro-syrien basé à Damas, et qui s’était séparé du Fatah de Yasser Arafat en 1983. Il a été fondé par un ancien officier du Fatah-Intifada, Chaker al-Absi, un Palestinien né à Jéricho, en 1955. Le colonel al-Absi semble s’être découvert des affinités islamistes depuis quelques années déjà. Son nom apparaît dans le procès des assassins d’un diplomate américain en Jordanie, en 2002. Deux ans plus tard, il est condamné à mort par contumace avec un certain Abou Missaab Zarkaoui, le Jordanien qui deviendra le redoutable chef de la branche irakienne d’al-Qaïda, avant d’être tué lors d’un raid américain, l’année dernière.

La coalition anti-syrienne du 14 mars accuse Fatah al-Islam d’être une marionnette dont les ficelles sont tirées par le régime syrien. En mars dernier, les services de sécurité ont annoncé le démantèlement d’une cellule du groupe responsable d’un double attentat à la bombe contre deux bus dans la région chrétienne de Aïn Alak, à l’est de Beyrouth. L’attentat avait fait trois morts et 18 blessés. Le ministre de l’Intérieur, Hassan Sabah, un proche du chef de la majorité parlementaire Saad Hariri, avait déclaré à l’époque que Fatah al-Islam est «un instrument des services de renseignements syriens». Mais Damas avait nié ces accusations. Le ministre de l’Intérieur, Bassam Abdel Majid, a indiqué que «Chaker al-Absi faisait l’objet de poursuites judiciaires en Syrie depuis 2002, où son groupe, lié à al-Qaïda, projetait des actes terroristes».

Des combattants multinationaux

Le mystère entourant ce groupe donne lieu aux analyses les plus contradictoires. Dans une longue enquête publiée en février dans le New Yorker, le célèbre journaliste d’investigations américain, Seymour Hersh, cite des sources du renseignement américain et des personnalités arabes, selon lesquelles des milieux proches du gouvernement de Fouad Siniora financent des mouvements intégristes sunnites. Fatah al-Islam ferait partie de ces groupes bénéficiant des largesses des milieux pro-saoudiens libanais, voire de l’ancien ambassadeur d’Arabie Saoudite à Washington, Bandar ben Sultan ben Abdel Aziz. Selon M. Hersh, ce prince serait en train de jeter les fondements d’une nouvelle stratégie américaine visant à utiliser les fondamentalistes sunnites pour combattre les chiites en Irak, au Liban (le Hezbollah) et ailleurs.

Il y a une dizaine de jours, un de principaux adjoint d’al-Absi, Abou Laith le Syrien et son lieutenant, Abdel Rahmane le Syrien, ont été tués par les forces de l’ordre lors d’un échange de tirs à la frontière syro-irakienne. Cet incident montre que Fatah al-Islam n’est pas une simple marionnette du régime de Damas, même si la manipulation ne peut pas être totalement exclue à un stade ou à un autre. Il prouve aussi les liens solides entretenus par ce groupe avec la mouvance d’al-Qaïda en Irak. Les douanes syriennes ont saisi à plusieurs reprises des cargaisons d’armes en provenance d’Irak et destinées à des milieux fondamentalistes de la ville de Tripoli. De plus, une grande partie des combattants du groupe ont fait des passages plus ou moins longs en Irak, où ils ont combattu les troupes américaines. Ces militants sont Palestiniens, mais aussi Libanais et de diverses nationalités arabes. Parmi les suspects arrêtés par l’armée libanaise pendant les combats des deux derniers jours figurent des Saoudiens, des Syriens et des Yéménites.  

La trêve annoncée en milieu de journée n’a duré que quelques minutes. Dans l’après-midi de lundi, les combats ont repris de plus belle. Selon certaines informations, des inconnus armés ont tiré des rafales sur les positions de l’armée et de Fatah al-Islam pour mettre le feu aux poudres. Les duels d’artillerie ont très vite repris, fauchant des dizaines de vie, en majorité des civils palestiniens. L’armée a acheminé de nouveaux renforts et Fatah al-Islam a menacé de «brûler le Liban» si le pilonnage du camp se poursuivait.

En proie à une profonde crise politique depuis six mois, le Liban s’enfonce maintenant dans un cycle de violence inouïe. 



par Paul  Khalifeh

Article publié le 21/05/2007 Dernière mise à jour le 21/05/2007 à 18:48 TU