Justice internationale
La CPI enquête sur des crimes sexuels en Centrafrique
(Photo : AFP)
Pour Luis Moreno Ocampo, «les allégations de crimes sexuels sont précises et étayées. Les renseignements dont nous disposons laissent à penser que des viols ont été commis en des proportions telles qu’il est impossible de les ignorer au regard du droit international». Notifiée aux autorités centrafricaines le 10 mai, cette première enquête portera sur les crimes commis en octobre et novembre 2002 et février et mars 2003, période où les meurtres, pillages et les violences sexuelles ont atteint «un pic». La tentative de coup d’Etat, conduite en octobre 2002, par les rebelles de François Bozizé avait plongé Bangui et sa province dans la violence jusqu’en mars. Moment où le général Bozizé s’emparait enfin de la présidence après avoir déchu du titre Ange-Felix Patassé dont les troupes étaient renforcées par les mercenaires du congolais Jean-Pierre Bemba et du tchadien Abdoulaye Miskine.
A la Cour, le responsable des analyses, Xabier Agirre, estime qu’ «il y a une coïncidence claire entre les mouvements militaires sur le terrain et la commission des crimes». L’enquête, prévue sur plusieurs mois, devrait permettre de déterminer les intentions des auteurs des crimes, mais à ce stade, aucun suspect n’est encore visé, dit-on au parquet. Selon les analyses du procureur, effectuées sur la base de plusieurs rapports et d’une mission conduite en novembre 2005, «la violence sexuelle semble ainsi avoir constitué une composante centrale du conflit». «Il est possible, mais ce n’est qu’une hypothèse, nuance, prudent, M. Agirre, que ce soit une forme de rétribution des troupes qui opèrent sans salaire».
Un effet dissuasif
Pour Souhayr Belhassen, présidente de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), «il y a entre 1 500 et 2 000 personnes qui ont été victimes de violences sexuelles. Ce sont des femmes, mais aussi des enfants, des vieillards, des hommes. Et lorsqu’une personne est violée, cela atteint des dizaines de personnes. C’est la société toute entière qui est traumatisée». Particulièrement active dans cette affaire, la FIDH avait soumis un premier rapport au procureur dès février 2003, et soutenu la création d’une association de victimes en Centrafrique. La présidente de l’organisation pour la compassion et le développement des familles en détresse, Bernadette Sayo Nzale, victime de menaces, a dû fuir le pays en avril. «La meilleure protection, ce ne sont pas les mesures de type FBI, mais la discrétion et l’anonymat», estime Antoine Bernard, de la FIDH qui espère que «l’enquête aura un effet dissuasif sur la situation actuelle». Mais en ouvrant son enquête, le procureur demeure prudent et a, provisoirement du moins, écarté les crimes commis par les milices qui se battent au nord du pays depuis 2005, même s’il continue «de prêter attention» à ces allégations.
Dans le dernier de ces quatre rapports, la FIDH estime que les auteurs des crimes de 2003 «sont les acteurs du nouveau conflit». «C’est la démonstration probante des ravages de l’impunité», note l’organisation. Entre temps, la justice centrafricaine s’est bien saisie de quelques dossiers, mais pour les renvoyer à la CPI. «Les autorités nationales étaient dans l’incapacité de mener à bien les procédures judiciaires nécessaires, en particulier de recueillir les éléments de preuve et de se saisir des accusés», écrit la Cour dans un communiqué. En avril 2006, la Cour de cassation écrivait que la Centrafrique était «incapable» de poursuivre les auteurs et renvoyait les cas Patassé, Miskine, Bemba et celui du français Paul Barril, poursuivi pour sa participation à la tête d’une compagnie de sécurité, à la Cour pénale internationale. En saisissant la Cour en décembre 2004, le président François Bozizé les citait nommément, or l’armée rebelle qui l’a conduit au pouvoir était aussi présente à Bangui à l’automne 2002.
par Stéphanie Maupas
Article publié le 22/05/2007 Dernière mise à jour le 22/05/2007 à 09:00 TU