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Cannes 2007

Des Africains sur la Croisette

(Crédit : Karthala / RFI)
(Crédit : Karthala / RFI)

Alors que la planète cinéma est réunie à Cannes pour la soixantième édition du Festival, les éditions Karthala y présentent Cinémas africains d’aujourd’hui, Guide des cinématographies d’Afrique, un livre réalisé par l’agence MFI avec la rédaction du Pôle Culture de RFI. Ce premier titre de la collection Passeports RFI invite à découvrir la richesse des thèmes et des esthétiques portées par les créateurs africains d’images. Il met également à disposition des lecteurs les grands repères de l’histoire du cinéma du continent ainsi que des éléments de réflexion sur sa situation actuelle et sur les tendances observées. Voici un extrait de cet ouvrage, consacré à la présence des cinéastes africains à travers 60 ans de l’histoire du festival de Cannes.


Le plus grand festival de cinéma du monde a réservé au cinéma africain une reconnaissance progressive au fil des éditions, à la mesure des progrès accomplis par ses réalisateurs. Après l’Algérien Mohamed Lakhdar Hamina (Palme d’Or 1975 pour Chronique des années de braise), le Malien Souleymane Cissé (Prix du jury 1987 pour Yeelen) et le Burkinabè Idrissa Ouedraogo (Prix du Jury 1990 avec Tilaï) furent les premiers à être primés, ouvrant la voie à toute une génération de jeunes cinéastes décidés à vaincre coûte que coûte les contraintes économiques qui entravent leurs productions. De plus en plus professionnels, ceux qui suivront n’auront qu’un objectif : se mesurer aux plus grands.

Les pionniers à Cannes avaient pour nom Paulin Vieyra, venu en 1963 avec Lamb, puis Sembène Ousmane, qui présentait l’année suivante La Noire de... En 1973, c’était la présentation, à la toute première Quinzaine des réalisateurs, de Touki Bouki de Djibril Diop Mambety, qui passe pour l’un des meilleurs films africains jamais réalisés. Le retour de Djibril sur la Croisette s’est fait en 1992 seulement, avec Hyènes, son deuxième long-métrage, dont le tournage dans la banlieue de Dakar et à Gorée s’était étalé sur près de deux ans, une avarie de pellicule l’ayant obligé à refaire quasiment toutes les prises ! Quant au montage, il avait duré plus de neuf mois, pour cette version wolof, mi-baroque, mi-surréaliste de La Visite de la vieille dame du dramaturge suisse Friedrich Dürrenmatt. La même année avait vu la sélection de Bezness, troisième film du Tunisien Nouri Bouzid à la Quinzaine des réalisateurs, auteur fétiche du producteur Ahmed Attia, ayant également produit Halfaouine de Férid Boughedir (sélectionné en 1990 à la Quinzaine, le film avait remporté la même année le Tanit d’Or du festival de Carthage).

De Ouaga ou Carthage à Cannes...

Dans les années quatre-vingt-dix, les allers-retours entre Cannes et les festivals du continent, et notamment le Fespaco de Ouagadougou, se multiplient. C’est le cas de films comme Ta dona du Malien Adama Drabo en 1991, révélé à Ouagadougou – où il obtient le prix Oumarou Ganda de la première œuvre – comme l’un des chefs de file de la nouvelle génération de cinéastes, et dont le film est sélectionné à Cannes dans la foulée pour la section Un certain regard. En 1989, Flora Gomes fait son entrée sur la scène du Fespaco avec Mortu Nega ; son second film, Les yeux bleus de Yonta, est projeté en 1992 à Cannes.

Le mouvement se confirme durant la décennie. Pour la célébration du cinquantenaire de Cannes, en 1997, cinq films africains sont sélectionnés, dont un dans la compétition officielle. Cette année-là, Kini et Adams d’Idrissa Ouedraogo est le… cinquantième film africain présenté au festival français. On souligne alors l’extraordinaire disparité entre les cinématographies du continent et les autres : le budget de Kini et Adams n’excède pas 10 millions de francs français, quand la même année est présenté Le Cinquième élément de Luc Besson – un des films les plus chers jamais produits par une société française, à hauteur de 450 millions de FF. Idrissa Ouedraogo concourt alors pour la quatrième fois, après avoir franchi toutes les étapes du parcours du combattant cannois. Son premier long-métrage, Yam Daabo (Le Choix), avait été projeté en 1987 à la Semaine de la critique, et Yaaba en 1989 à la Quinzaine des réalisateurs (Prix de la critique). On change de dimension lorsque Tilaï obtient, en 1990, le Grand Prix du jury (avant de recevoir l’Etalon du Yennenga en 1991 au Fespaco). Enfin reconnu dans son propre pays, le Burkina Faso, Idrissa Ouedraogo poursuit alors sa course internationale, remportant l’Ours d’Or au Festival de Berlin pour Samba Traoré. Le réalisateur choisit de tourner Kini et Adams en Afrique australe, en l’occurrence au Zimbabwe, avec des comédiens sud-africains. Cette rencontre du cinéaste avec l’Afrique australe post-apartheid est aussi un signe des temps : l’Afrique s’ouvre à son Sud. Le film est en anglais, Idrissa Ouedraogo faisant le pari de s’ouvrir au marché anglophone continental tout en rêvant d’une alliance entre Africains francophones et anglophones pour aller à la conquête du marché international.

Les autres films présentés l’année du cinquantenaire à Cannes sont Buud Yam du Burkinabè Gaston Kaboré, Dakan du Guinéen Mohamed Camara, Taafe Fanga d’Adama Drabo, et Faraw du Malien Abdoulaye Ascofaré. Sans compter Al Massir (Le destin) de Youssef Chahine (hors compétition), et Mossane, de la Sénégalaise Safi Faye (Cannes junior) qui retrouvait Cannes vingt ans après la présentation en 1976 de La Lettre paysanne (Semaine de la critique).

Comment faire un film…

Avant de débarquer sur la Croisette, Taafe Fanga (Le Pouvoir des pagnes) d’Adama Drabo peut se targuer d’avoir eu une vie mouvementée. Présenté d’abord au Fespaco, où il obtient le Prix spécial du jury, il est projeté à Bamako, où le public lui fait bon accueil. Mais pour ce faire, le réalisateur avait pris lui-même en main la distribution de son film, faisant le tour des salles pour tout contrôler et se transformant le cas échéant en guichetier. «Au Babemba, une salle populaire où on ne programme que du kung-fu, raconte-t-il, j’ai dû me battre pour obtenir deux jours de projection.» Au préalable, il avait coupé les branches d’arbres qui masquaient la vue des spectateurs. «Au Palais de la Culture, rapporte-t-il encore, l’écran était gris et j’ai été obligé d’aller acheter de la toile blanche pour le remplacer, ainsi que des ampoules pour le projecteur. Elles n’avaient que 1600 watts alors qu’il en faut 2500 !» Si le combat du cinéma africain pour s’imposer fait ainsi penser à une nouvelle version de David contre Goliath, la re-connaissance à Cannes reste l’un des passages obligés. Mais les cinéastes africains savent désormais bénéficier d’un intérêt réel, sans doute renforcé par la vaste mobilisation engagée sous l’égide de la défense de la diversité culturelle.



par Antoinette  Delafin

Article publié le 22/05/2007 Dernière mise à jour le 22/05/2007 à 14:26 TU

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