États-Unis
La fin du combat pour «Peace mom»
(Photo : AFP)
Cindy Sheehan, 50 ans, a décidé de rentrer à la maison. La «Peace mom», mère-pour-la-paix, érigée en icône, par les mouvements pacifistes américains, a annoncé son retrait de la vie publique le jour du Memorial Day, quand les États-Unis rendent hommage aux hommes et aux femmes tombés dans les guerres américaines.
Découragée, malade et ruinée, elle explique qu’elle renonce au combat pacifiste dans une longue lettre intitulée Good Riddance, Attention Whore, Bon débarras, racoleuse, mis en ligne sur son blog.
La mort de son fils, Casey, engagé volontaire de 24 ans, le 4 avril 2004, à Sadr City, en Irak, a fait sortir de ses gonds cette mère de famille tranquille, originaire de Vacaville, en Californie.
Cindy Sheehan est devenue célèbre en août 2005 en campant près de quatre semaines en face de la résidence de vacances du président George W. Bush, au Texas. Elle réclame un rendez-vous avec le «commandant-en-chef» de son fils pour qu’il lui explique «au nom de quoi» son fils est mort en Irak. Des centaines de militants pacifistes l’a rejoignent.
Son action très médiatisée a renforcé la bipolarisation de l’opinion publique américaine à propos de la guerre en Irak.
Membre du parti démocrate pendant quelques mois, elle en a démissionné récemment.
Mère courage
Mère de quatre enfants et épouse de représentant de commerce, Cindy Sheehan a vu sa vie basculer le jour où elle a appris la mort de son fils Casey. C’était le dimanche 4 avril 2004, l’unité de Casey Sheehan avait été affectée à la sécurité d’un chantier d’installation de conduite d’eau dans les rues de Sadr City, en Irak. Casey avait débarqué dans la guerre, cinq jours plus tôt. Une balle lui a traversé le corps.
Cindy Sheehan a entendu à la télévision l’annonce des 8 morts et 50 blessés de ce qui est resté connu comme le «Dimanche noir» de l’armée américaine, mais ce n’est que lorsqu’elle a vu les officiers devant la porte de la maison qu’elle a compris que son fils aîné était au nombre des victimes.
Une première rencontre entre des parents des soldats morts en Irak et le président George W. Bush à Fort Lewis, une base militaire près de Seattle (Washington), la laisse meurtrie. «Cette rencontre a été écoeurante. Il n’a montré aucune compassion. Il n’était pas présent», se souvient Cindy, aujourd’hui. «Il ne voulait pas regarder les photos de Casey. Il ne voulait surtout pas personnaliser. Il n’arrêtait pas de m’appeler «mom» (m’man). Il s’est comporté de façon grossière».
Cindy Sheehan aura encore besoin de quelques mois avant de se mettre en tête qu’elle doit absolument rencontrer le président, de façon individuelle. La mère de famille modèle se transforme alors en militante. Elle fonde la Gold Star families for peace, une association de parents de soldats tués en Irak (la «Gold Star», étoile d'or, est la décoration règlementaire, attribuée au «membre de la famille» militaire, mort au combat).
Mère colère
Cindy Sheehan plante la tente en face du ranch texan de George W. Bush, à Crawford, le 4 août. Son message est simple : «Expliquez-moi pour quelle noble cause mon fils est mort». Elle réussit à faire de son campement un rassemblement militant. Acteurs de Hollywood, chanteurs, représentants religieux, vétérans de la guerre et parents de militaires et des membres du Congrès viennent la soutenir. La presse nationale et internationale s’empare de l’histoire. Cindy campera pendant 26 jours. Les conseillers du président la reçoivent, mais pas le président.
L’opinion américaine est en train de changer à propos de la guerre en Irak. En ce mois d’août 2005, certains évoquent pour la première fois un retrait des troupes américaines. George W. Bush multiplie les discours pour refaire l’unité du pays. La Maison Blanche lui organise des rencontres sur-mesure, avec des mères de famille, fières de leurs enfants qui servent en Irak.
L’action de Cindy Sheehan déchaîne les passions. Les pro-Bush l’abreuvent d’injures, l’accusent d’être une «traîtresse», une «psycho-garce», «racoleuse» «foldingue manipulée», «amie des terroristes».
Mère militante
(Photo : AFP)
Cindy Sheehan se bat au nom de son fils. Elle a aussi le verbe haut. Dans un courriel à la chaîne de télévision américaine ABC, en mars 2005, elle aurait déclaré que son fils «Casey a été tué pour des mensonges et pour l’agenda des néo-conservateurs dont le seul bénéficiaire est Israël». Par la suite, elle se défendra en disant que les termes du courriel ne sont pas les siens et qu'ils ont été «tronqués» par le journaliste.
Au moment où le cyclone Rita frappe la Floride, en septembre, elle regrette sur son blog que des «médias accordent autant d’importance à un petit vent et une petite pluie alors qu’il y a plein d’autres choses qui arrivent à ce pays aujourd’hui, et aussi dans le monde». Plus tard, elle traitera George W. Bush de «pire des terroristes du monde, encore pire que Oussama Ben Laden». Ce qui provoque une nouvelle bordée de haine et d’insultes de la part des partisans du président.
Avec le soutien de plusieurs mouvements pacifistes, Cindy Sheehan entame en septembre 2005, une tournée de conférences baptisée «Bring them home now» (Ramenez-les à la maison, tout de suite). Avec un groupe de mères, elle manifeste devant la Maison Blanche à Washington. Elles se font arrêtées et doivent payer une amende.
En janvier 2006, Cindy Sheehan est invitée par le président vénézuelien Hugo Chavez à participer au Forum social mondial, à Caracas. Elle y rejoint Danielle Miterrand, l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano et le Prix Nobel de la paix, Adolfo Perez Esquivel.
Le 31 janvier 2006, George W. Bush doit lire son discours sur l’État de l’union au Capitole. Cindy Sheehan veut y assister. Elle est expulsée parce qu’elle porte un tee-shirt avec la mention «2 245 morts. Combien encore ?» La femme d’un représentant républicain, qui, elle, avait enfilé un tee-shirt «Soutenez nos troupes qui défendent notre liberté» est aussi expulsée.
Tout au long de l’année 2006, Cindy Sheehan participe à des conférences et des marches de protestation, à des émissions de radio et de télévision, aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni, en France, en Australie. Elle achète un petit terrain de 2 hectares en face de la résidence de George W. Bush où elle manifestait un an auparavant. Elle jure d’y revenir chaque fois que le président sera à Crawford jusqu’à ce qu’elle obtienne sa destitution. Elle envisage de se présenter aux élections comme candidate démocrate.
«Bon débarras, racoleuse»
En janvier 2007, Cindy Sheehan brave les lois américaines avec quelques compatriotes en se rendant à Cuba, sans autorisation des autorités de Washington. Elle appelle à la fermeture de la prison de Guantanamo. L’État américain entame une procédure judiciaire contre la militante qui s'est rendue dans un pays sous embargo américain.
Il y a quelques mois, une enquête sur l’association Gold Star families for peace révèle des irrégularités dans la trésorerie.
Écoeurée par l’attitude des élus démocrates, notamment ceux qui ont voté les budgets militaires, elle quitte le parti.
Dans sa lettre du 28 mai, intitulée ironiquement «Bon débarras, racoleuse», des mots qu’elle a «souvent entendus au cours de ses années», elle dit avoir «dépensé jusqu’au dernier centime de l’argent que le pays reconnaissant lui a donné à la suite de la mort de son fils et tout l’argent reçu pour ses conférences et ses droits d’auteur. J’ai sacrifié 29 années de mariage et j’ai été éloignée souvent du frère et des sœurs de Casey». Malade, découragée, elle constate que son fils Casey «est mort pour rien. Casey est mort pour un pays qui se préoccupe plus de qui va être la prochaine vedette de série de téléréalité que du nombre de gens qui vont être tués dans les prochains mois, pendant que Démocrates et Républicains jouent à la politique avec des vies humaines».
«Au revoir, Amérique.. tu n’es pas le pays que j’aime (…) je ne peux faire de toi ce que tu ne veux pas être», conclut-elle.
À la date d'aujourd'hui, le bilan des pertes américaines en Irak est de 3 343 morts.
Cindy Sheehan a publié un livre : Peace Mom, le combat d’une mère américaine contre la guerre (éditions Flammarion).par Marion Urban
Article publié le 29/05/2007 Dernière mise à jour le 29/05/2007 à 12:20 TU