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Germaine Tillion, un siècle de combat

Germaine Tillion en 2000. 

		(Photo : AFP)
Germaine Tillion en 2000.
(Photo : AFP)
Résistante de la première heure, déportée à Ravensbrück, l’ethnographe Germaine Tillion fête, ce 30 mai, ses 100 ans, après avoir traversé le siècle en luttant contre toutes les formes d’oppression.

Le regard est malicieux, le visage carré est auréolé d’une masse de cheveux blanc neige. Germaine Tillion, ce «marabout rusé et noble», comme la surnommait son ami l’historien Pierre Vidal-Naquet, a soufflé ses cent bougies, dans sa maison de Saint-Mandé, près de Paris, entourée de sa sœur Françoise, âgée de 98 ans, de sa nièce Emilie et de quelques proches.

Dans la capitale, le théâtre du Châtelet célèbrera son centenaire en créant les 2 et 3 juin son opérette-revue Le Verfügbar aux enfers. Germaine Tillion, alias «Kouri», son surnom de guerre, écrit le texte à l’automne 1944, à la barbe de ses bourreaux, pendant sa déportation au camp nazi de Ravensbrück (Allemagne), pour distraire ses compagnes. Le mot allemand «verfügbar» (disponible) désigne les détenues qui, à tout moment, pouvaient accomplir une corvée imprévue. Il s’agit d’une parodie grinçante sur l’horreur concentrationnaire qui cite notamment l’Orphée aux enfers d’Offenbach. Par l’humour, la grande résistante explique les «mécanismes écraseurs» du camp. Dans l’opérette, une des détenues chante : «J’irai dans un camp modèle avec tout le confort, eau, gaz, électricité». Le chœur reprend : «Le gaz surtout». En cadeau d’anniversaire, les interprètes ont prévu de venir lui chanter à domicile quelques extraits de son œuvre. Le texte est paru aux éditions de La Martinière (2005).

«L’ethnographie m’a rendue lucide»

Germaine Tillion est née le 30 mai 1907 à Allegre (Haute-Loire), un an avant Claude Lévi-Strauss. Elle est avec lui une figure tutélaire de l’ethnologie française, dont les travaux sur les Berbères et la condition des femmes dans le bassin méditerranéen font autorité.

Germaine Tillion, s’embarque en 1934 pour l’Algérie. Sur les conseils de son maître et directeur de thèse, Marcel Mauss, l’ami de Jaurès et de Blum, et le maître de l’anthropologie française, elle a choisi d’étudier l’organisation sociale de l’ethnie berbère des Chaouïas, repliée dans le massif des Aurès, au sud de Constantine. «Je m’attendais à trouver des sauvages, donc des gens sublimes, et je retrouve… la France paysanne. Il n’y a guère que les parlers qui étaient différents», racontera-t-elle soixante-dix ans plus tard au philosophe Jacques Derrida et à l’écrivain Hélène Cixous, lors d’une émission sur la chaîne de radio France-Culture. Germaine Tillion effectuera quatre missions entre 1934 et 1940.

En 2000, elle publie sa biographie Il était une fois l’ethnographie, (Seuil), récit d’un parcours exemplaire. Les 1 500 clichés qu’elle avait cru perdus ont été retrouvés soixante ans plus tard dans des boîtes à chaussures enfouies au bas d’une bibliothèque. Ses prises de vue ont fait l’objet d’un album, l’Algérie aurésienne, publié aux Editions de La Martinière, en 2001.

Une femme intrépide dans la tourmente

L’Europe est en guerre quand l’arpenteuse des Aurès rentre en mai 1940. Sa vie bascule, le 17 juin, en entendant le discours du maréchal Pétain «capitulant devant Hitler». «J’ai vomi, et ce n’est pas une image, dans les dix minutes qui ont suivi». Germaine Tillion prend alors immédiatement contact avec des compatriotes révoltés comme elle par la capitulation. Elle fonde le réseau du Musée de l’Homme, à la tête duquel elle se retrouve seule après les arrestations début 1942, jusqu’à sa propre arrestation, le 13 août de la même année. La traîtrise d’un Français, l’abbé Robert Alesch, la conduira jusqu’à Ravensbrück. Elle est déportée le 21 octobre 1943 après un interminable voyage de dix jours. Elle voit mourir sa mère adorée, perdant «jusqu’au désir viscéral de survivre». Le 23 avril 1945, peu avant la chute du camp, elle est évacuée par la Croix-Rouge vers le Danemark, puis la Suède, avec 300 autres détenues. Une fois rétablie, elle entreprend une enquête approfondie sur les crimes de guerre allemands qui fera l’objet de trois publications, en 1946, 1972 et 1988.

Germaine Tillion a toujours été une intellectuelle indépendante. Parallèlement aux combats pour élucider Ravensbrück, dès les années cinquante elle participe aux efforts pour montrer que Viktor Kravtchenko avait raison sur le goulag. En 1951, elle fait partie du jury international qui, à Bruxelles, alerte l’opinion sur les camps soviétiques.

«A chacun de faire ce que sa conscience lui dicte»

En 1954, Germaine Tillion repart en Algérie pour une mission d’étude. Elle rédige un rapport sur la «clochardisation» de régions entières, sans écoles, sans emplois et à la démographie galopante. A la lecture de ce rapport, Jacques Soustelle, nouveau gouverneur de l’Algérie, nommé par Pierre Mendès-France, lui demande de rejoindre son cabinet. Au cours de l’année 1955, elle va créer et structurer les «Centres sociaux», organismes destinés à la scolarisation des familles rurales maghrébines.

La passion de la vérité conduit la résistante Tillion à lutter contre la torture pendant la guerre d’Algérie. Elle s’efforce d’obtenir des combattants algériens une sorte de trêve du terrorisme. En juillet 1957, en pleine bataille d’Alger, sa rencontre avec le chef FLN, Yacef Saadi, lui vaudra bien des incompréhensions. Simone de Beauvoir parlera de «saloperie». Cette période fera l’objet d’un livre-clé, Les ennemis complémentaires (1958).

Dans la biographie que lui consacre Jean Lacouture, Le témoignage est un combat, une biographie de Germaine Tillion, (Seuil, 2000), les chapitres sur la guerre d’Algérie montrent, quarante ans plus tard, alors que le débat sur la torture est publiquement et nationalement engagé, l’intrépidité de Germaine Tillion et son courage intellectuel.

Selon l’historien et philosophe Tzvetan Todorov, président de l’Association Germaine Tillion, la centenaire a «toujours combiné ses activités d’ethnologue et d’historienne avec une action politique sur des causes particulières comme la torture en Algérie ou les sans-papiers». Todorov a rassemblé une soixantaine d’interventions de cette «femme de réflexion et d’action» dans un ouvrage intitulé A la recherche du vrai et du juste.

Une humaniste 

Germaine Tillion est l’une des cinq Françaises à avoir été élevée à la dignité de Grand Croix de la Légion d’honneur. Le prix de l’Amitié Franco-Arabe 2000 lui a été attribué pour l’ensemble de son œuvre marquée du sceau de l’humanisme et pour avoir contribué toute sa vie au dialogue interculturel avec l’islam et le monde arabe. En 2004, cette Européenne convaincue recevait la Grand Croix du Mérite de l’Allemagne pour sa contribution à la réconciliation franco-allemande.


Quelques dates

30 mai 1907
Naissance à Allègre (Haute-Loire)
1934-1940
Ethnologue dans les Aurès
Juin 1940
Crée le réseau de résistance du musée de l'Homme
Août 1942
Arrestation par la police allemande
21 octobre 1943
Arrivée à Ravensbrück
Avril 1945
Libération du camp
1951
Participe à la commission d'enquête sur le système concentrationnaire en Union soviétique 
1954
Envoyée en Algérie, consultante auprès de Jacques Soustelle, elle dénoncera la torture
1955
Création des centres sociaux en Algérie
31 octobre 2000
Cosignataire de l'Appel des douze pour la condamnation de la torture durant la guerre d'Algérie, publié par L'Humanité (et France Inter)



par Françoise  Dentinger

Article publié le 30/05/2007 Dernière mise à jour le 30/05/2007 à 17:00 TU