par Laurent Correau
Article publié le 25/06/2007 Dernière mise à jour le 25/06/2007 à 06:47 TU
Les camps sont de plus en plus peuplés, parfois jusqu’à saturation. Il y a toujours des villageois qui fuient : 130 000 personnes ont été déplacées depuis le début de l’année, selon l’Union africaine. Mais le Darfour d’aujourd’hui n’est plus celui du début de la crise. Depuis 2005, la politique de la terre brûlée s'est ralentie. Les combats se poursuivent, il y a toujours des attaques de villages et des bombardements de l'armée gouvernementale, mais les raids des milices n'ont plus le caractère systématique qu'ils avaient.
En revanche, il règne toujours une forte insécurité au Darfour. Des combats opposent des rebelles non signataires de l'accord de paix d'Abuja à d'ex-rebelles qui l'ont signé ; l'aviation gouvernementale tente de harceler les rebelles en bombardant des villages. Des bandes, qui n'ont plus franchement d'objectifs politiques, rôdent dans certaines zones grises. Et les violences opposent aussi des communautés entre elles : tribus Tarjam et Rizeigat, toutes deux arabes, dans le Darfour Sud. Milices Gimir et Dorok dans le Darfour ouest.
«Le conflit a baissé d'intensité. On est dans un conflit qui fait 200 morts par assassinat par mois, ce qui est une intensité comparable à la guerre civile qui a repris au Sri Lanka.»
La lente décomposition du conflit a multiplié les acteurs de la crise. Si le gouvernement soudanais n'est pas encore sorti d'une logique militaire au Darfour, le conflit s'alimente également lui-même en raison de la prolifération des armes et de l'impunité qui règne dans la région.
Les humanitaires visés par des attaques
En 4 ans, l'aide humanitaire a réussi à s'adapter au contexte de l'ouest soudanais et dans les camps, la situation humanitaire a été stabilisée. Mais sur les routes et dans les campagnes, les ONG sont victimes d'une insécurité croissante. Les organisations sont soumises à l'économie de prédation qui s'est mise en place dans le Darfour. «Au début de la crise, explique un humanitaire, la principale difficulté était d'accéder au Darfour, les autorités créaient des obstacles administratifs. Depuis mai 2004, il est moins difficile d'entrer au Darfour, mais les problèmes de sécurité, en revanche, ont progressivement augmenté depuis fin 2005». Les convois sont attaqués sur les routes. Les véhicules braqués. Des humanitaires ont été agressés avec un niveau de violence qui n'avait jamais été atteint depuis le début de la crise.
Les attaques sont le fait d'ex-miliciens pro-gouvernementaux, aussi bien que de rebelles... ou d'ex-rebelles censés avoir signé l'accord de paix. Elles se sont multipliées au fur et à mesure de l'éclatement du MLS, le Mouvement de libération du Soudan. Certaines unités rebelles ont basculé dans le banditisme. D'autres ont pris leur autonomie. «Ce fractionnement a accéléré les vols de voitures, explique un responsable d'ONG. Chaque faction qui se crée a besoin de sa logistique et vient se servir». Pour certains humanitaires, les responsables soudanais eux-mêmes jouent un rôle ambigu dans ce contexte d'insécurité. Les agressions semblent parfois suivre une logique politique et à d'autres moments, les autorités semblent impuissantes face aux tribus qu'elles ont armées.
Comment relancer un processus politique ?
Après de longues tergiversations, la communauté internationale a finalement admis au cours des mois passés les limites de l'accord d'Abuja signé en mai 2006. Elle a finalement reconnu que ce texte signé par une seule faction rebelle (le MLS de Minni Minawi) ne suffirait pas à ramener la paix.
Il y a désormais consensus sur la nécessité de relancer un processus politique. Problème : les parties en présence, au Soudan, ne sont de leur côté pas d’accord sur la méthode. L’accord de paix d’Abuja vient désormais se mettre en travers de la réconciliation. Les signataires de l'accord d'Abuja ne jurent que par ce texte et souhaitent qu'on s'appuie sur lui pour tout nouveau processus. Les non-signataires souhaitent qu'on reparte de zéro.
«Nous demandons à la communauté internationale de pousser les factions non-signataires rebelles à rejoindre l'accord d'Abuja.»
«Nous proposons de reprendre les discussions en commençant par négocier un cadre politique avec le gouvernement. Nous ne voyons pas de problème à ce que Minni conserve son statut d'assistant du président El-Beshir.»
La reprise d'un processus politique est également compliquée par le morcellement des mouvements rebelles. Quand la crise a démarré en 2003, il n’y avait que deux groupes rebelles dans le Darfour : le MLS (Mouvement de libération du Soudan) et le MJE (Mouvement pour la justice et l’égalité). Le MLS est né de l'alliance de groupes d'autodéfense avant tout préoccupés par le sort de leurs populations. C’est donc surtout ce MLS qui s’est décomposé au fil du temps : 5 factions rebelles non-signataires de l’accord de paix revendiquent aujourd’hui son nom et son héritage. Certaines de ces factions ont elles-mêmes déjà quasiment éclaté faute de contrôle des chefs militaires sur le terrain.
Difficile recherche de l’unité
Ramener la rébellion à l’unité semble un chantier interminable. L’Erythrée a une nouvelle fois convoqué, ces jours-ci, plusieurs leaders à Asmara pour tenter de les faire collaborer. La conférence des chefs militaires du MLS à Um Raï, dans le Darfour Nord, a été un échec. Et le gouvernement du Sud Soudan a finalement reporté sine die la réunion d’unification des groupes rebelles qu’il espérait tenir à Juba, faute de participants.
Les appétits de pouvoir des chefs rebelles sont pour beaucoup dans cette désunion. Le gouvernement soudanais fait tout pour les encourager. Mais la communauté internationale a elle même contribué à renforcer ces ambitions en réservant un traitement de faveur à certaines personnalités, alors que celles-ci ne représentaient parfois plus grand chose sur le terrain. La multiplication des initiatives de réunification des mouvements, la rivalité entre les initiatives américaine et érythréenne, ont également été contre-productives. Il faut manifestement plus de cohérence dans l’analyse du conflit et l’invention des solutions.
Difficile par ailleurs d’imaginer une sortie de crise sans solution régionale. Les clés du conflit se trouvent des deux côtés de la frontière qui sépare le Tchad et le Soudan. Les rebelles du Darfour ont fait appel, dès 2003, à des solidarités tchadiennes pour démarrer leurs activités, et en retour, ces solidarités ont conduit le Soudan à soutenir les rebelles tchadiens (lire «Tchad-Soudan, le prix d’une guerre silencieuse»). L’urgence est tout autant à l’Est du Tchad qu’à l’Ouest du Soudan. Le conflit auquel se livrent les deux pays, par l’intermédiaire de groupes armés, a conduit à une relance des violences intercommunautaires côté tchadien de la frontière. On y compte actuellement, selon le HCR, quelque 170 000 déplacés internes en situation de précarité.
«Il faut une réconciliation Tchad-Soudan et un réglement intérieur des problèmes politiques tchadiens.»
Le 25 avril 2003, les deux mouvements rebelles du Darfour, le MLS (Mouvement de libération du Soudan) et le MJE (Mouvement pour la justice et l'égalité) lancent une attaque éclair sur l'aéroport d'El Fasher, la capitale du Darfour Nord. Des appareils sont détruits, un général d'aviation est capturé. C'est une humiliation pour le gouvernement soudanais, qui jusque là, n'avait pas vraiment pris les rebelles au sérieux. Khartoum hésite à envoyer l'armée au Darfour : de nombreux soldats sont originaires de ce grand ouest. Les autorités soudanaises décident de recourir à la même stratégie de contre-insurrection que celle appliquée dans les monts Nubas, dans le Bahr-el-Ghazal ou dans les régions pétrolifères du Sud. Elles arment des milices ethniques hostiles aux populations qui fournissent des troupes aux rebelles. Au Darfour, cette stratégie de contre-insurrection est extrêmement dangereuse : la sécheresse des années 80 a renforcé les conflits sur les ressources naturelles, la politique locale a également accentué les tensions entre communautés. Les milices vont, du coup, pratiquer entre 2003 et 2005 une véritable politique de la terre brûlée. La destruction des villages conduit à la mort de 200 000 personnes, 200 000 autres fuient au Tchad. 2 millions d'habitants du Darfour se regroupent dans des camps à la recherche de sécurité. Depuis 2005, la politique de la terre brûlée semble s'être ralentie, mais l'insécurité continue à maintenir les déplacés dans les camps.Les origines de la crise