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Egypte

Une nouvelle plaie pour l'Egypte: l'hépatite C

Hépatite C en Egypte : prévalence par répartition géographique  

		 (Etude Nationale, ministère égyptien de la santé et de la population)
Hépatite C en Egypte : prévalence par répartition géographique
(Etude Nationale, ministère égyptien de la santé et de la population)
Plus de 40 ans après des traitements massifs contre la bilharziose en Egypte, on découvre avec stupeur que 20% de la population est atteinte d'hépatite C. 15 millions de malades : c'est une contamination d'une ampleur unique au monde. Arnaud Fontanet, responsable à l’Institut Pasteur de l’Unité épidémiologie et maladies émergentes, travaille en Egypte sur cette épidémie catastrophique. Interview de Nathalie Amar.

RFI : l'Egypte vit une épidémie qui semble tout à fait extra-ordinaire!

A.F : oui, la situation de l’Egypte en matière d’hépatite C est exceptionnelle. Elle est liée au traitement de la bilharzioze, une maladie parasitaire qui sévissait partout le long de la vallée du Nil, et qui, dans les années 60 et 70, a été traitée par des injections intraveineuses d’un produit, le tartrate émétique, à base d’antimoine. Malheureusement, les seringues d’injection étaient mal stérilisées, et le virus de l’hépatite C, qui était déjà présent, a été diffusé et a contaminé une proportion très importante de la population, des jeunes de 5 à 20 ans qui vivaient en zone rurale dans le delta du Nil notamment. 

RFI : la politique de santé volontariste de l’Egypte pour éradiquer la bilharziose s’est donc révélée très néfaste pour la santé publique.

AF : c’est effectivement une des plus grandes catastrophes sanitaires qu’on ait répertoriées, une épidémie de cause iatrogène, c’est-à-dire de cause médicale, de très grande ampleur. Il y avait des mesures de stérilisation prises mais elles étaient insuffisantes, car on ne connaissait pas le virus de l’hépatite C à l’époque, il n’a été découvert qu’en 1989. Dès lors il s’est propagé à une grande partie de la population rurale.

RFI : on piquait donc à la chaîne dans les années 60, mais on peut parler d’ « effet retard » puisque cette épidémie ne s’est manifestée que dans les années 80-90 ?

AF : en fait, l’hépatite C est une maladie qui a une très longue incubation, il faut environ 20 à  30 ans entre le moment où vous êtes infecté et le moment où vous développez les complications de la maladie, et il est donc normal qu’aujourd’hui on voie augmenter des cas de cirrhose du foie ou même de cancer du foie, liés à des infections qui ont eu lieu il y a plus de 30 ans. On s’attend même, dans les 20 prochaines années, à un doublement de cette morbidité et de cette mortalité liées au virus de l’hépatite C en Egypte.

RFI : Comment expliquer justement que l’on prévoie une progression de la maladie alors qu’on connaît maintenant sa cause ?

A.F : Il y a deux choses : d’abord, je l’ai dit, un réservoir phénoménal de personnes infectées qui sont encore en période d’incubation et qui vont développer la maladie dans les années à venir et ce, pour 20 ans ; et puis il y a une diffusion à partir de ce réservoir au reste de la population. On pense qu’après les traitements de la bilharziose des années 60 et 70, ce sont les injections, qui étaient données pour des motifs variés, qui ont beaucoup contribué à la diffusion de la maladie. Plus récemment, on a documenté des cas de transmission intra-familiale, notamment chez les enfants dans les villages du delta du Nil. On n’explique pas encore très bien comment se transmet cette maladie des parents aux enfants ou d’enfant à enfant. On pense que le sang reste le véhicule principal du virus, mais on ne sait pas par quel mode, dans la vie quotidienne, le virus peut passer d’une personne à une autre.

RFI. : les opérations de transfusion sont-elles sécurisées aujourd’hui en Egypte ou bien sont-elles un vecteur de contamination ?

A.F : le virus, je l’ai dit, a été découvert en 1989, les tests qui permettent de dépister les anti-corps, les porteurs du virus, sont disponibles depuis le début des années 90. Mais très rapidement l’Egypte s’est rendu compte de l’ampleur de l’épidémie et a mis en place un dépistage systématique des anticorps qui témoignent de la présence du virus chez une grande partie des donneurs de sang potentiels.

Donc il y a eu un gros effort de ce côté-là et il y a encore des choses à faire ! Je pense qu’il est très important de renforcer tout ce qui pourrait diminuer la transmission par transfusion, injection, opérations chirurgicales, donc stérilisation du matériel et utilisation de matériel à usage unique quand c’est possible. Mais, aujourd’hui, on trouve près d’une personne sur 5 infectée dans certains environnements et des possibilités de transmission intra-familiale. C’est un sujet sur lequel nous travaillons pour en limiter l’extension en mettant en place des mesures de prévention au quotidien chez certaines personnes.

RFI : on pense naturellement au scandale du sang contaminé par le virus du sida qui avait fait beaucoup de bruit en France. En Egypte, les proportions sont encore plus importantes, sauf que les acteurs de l’époque ne sont plus là ! Comment le gouvernement égyptien d’aujourd’hui réagit-il, le ministère de la Santé prend-il les choses en main ?

A.F : le ministère de la Santé effectivement est très vigilant maintenant et conscient de l’ampleur de l’épidémie. Nous travaillons depuis plusieurs années avec les acteurs de ce ministère, et une des initiatives les plus marquantes de l’année en cours, c’est le développement de centres de traitement en Egypte. Quatre ont déjà été ouverts sur les dix prévus pour accueillir les patients et mettre à leur disposition des traitements qui sont  extrêmement coûteux. Il faut à peu près 30 000€ en France pour traiter une personne infectée de l’hépatite C, et les prix sont déjà descendus en Egypte à 3000 € par traitement. On continue à travailler pour arriver à faire baisser les prix, on espère par exemple que des génériques seront  disponibles et qu’on arrivera à faire ce qu’on a réalisé avec le traitement anti-rétroviral pour le sida : à savoir devant une urgence de santé publique, obtenir des traitements en grand nombre fabriqués, y compris localement, par des industries capables de produire des génériques. Il faut prévoir une distribution de masse dans les années à venir.

RFI : on comprend qu’il faudra un effort financier considérable : où trouver ces fonds, auprès de grandes fondations internationales, comme la fondation Bill Gates ?

A.F : l’idée pour nous est de montrer que le gouvernement est déjà extrêmement impliqué car les grandes fondations demandent d’abord qu’il y ait une volonté politique locale pour pouvoir financer des programmes de traitement. C’est ce qui se passe actuellement : des initiatives sont lancées par des organisations comme celle de Bill Gates, ou comme celle du Fonds Mondial pour le traitement du sida, de la tuberculose et du paludisme dans le monde. Naturellement, toutes ces initiatives seraient bienvenues. Ce qu’il faut, c’est montrer ici qu’il y a une vraie volonté politique, qu’il y a des moyens logistiques pour la distribution des traitements. Car il ne s’agit pas simplement d’acheter des médicaments, il faut ensuite pouvoir les administrer : c’est un traitement qui dure un an et qui est complexe.

Mais tout ceci se met en place et ce sera, je pense, bientôt le moment venu pour faire appel à la générosité des donateurs.

RFI : Le cas de l’Egypte est-il isolé ou risque-t-on de découvrir, dans les années, les décennies à venir, des cas similaires, ailleurs en Afrique ?

A.F : la distribution de l’hépatite C est très hétérogène en Afrique. Il y a des pays avec des prévalences, une proportion de personnes infectées importante, d’autres beaucoup moins. Certainement il n’y a pas d’équivalence à l’Egypte : aucun pays où on trouverait 10 à 20% de la population infectés. Mais il existe des poches, comme au Cameroun, par exemple, où dans la population des plus de 40-50 ans, dans certains villages, dans certaines régions du pays, on trouve des proportions de personnes infectées extrêmement élevées de l’ordre de 40, 50%. Cela pourrait peut-être être liée à une des campagnes de traitement ou de vaccinations d’il y a 20 ou 30 ans sans qu’on aie pu l’identifier aujourd’hui.



Article publié le 13/07/2007 Dernière mise à jour le 13/07/2007 à 17:22 TU