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Japon

Shinzo Abe à l’épreuve des sénatoriales

par Monique Mas

Article publié le 27/07/2007 Dernière mise à jour le 27/07/2007 à 17:27 TU

Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, en campagne électorale.(Photo : Reuters)

Le Premier ministre japonais, Shinzo Abe, en campagne électorale.
(Photo : Reuters)

Les résultats des sénatoriales du 29 juillet n’auront pas d’effet automatique sur le Premier ministre, Shinzo Abe, dont la popularité est très affectée par la grogne sociale. S’ils sont mauvais, ils donneront du grain à moudre à ses adversaires qui veulent lui imposer des législatives anticipées. Dans la monarchie parlementaire bicamérale du Japon, seule la Chambre des représentants peut en effet renverser le gouvernement. La Chambre des conseillers, n’en a pas le pouvoir. Mais dans cette chambre haute, où les mandats de six ans des 242 sénateurs sont renouvelables par moitié tous les trois ans, le suffrage universel direct est la règle ce qui donne valeur de baromètre politique à ce scrutin partiel.

Avec notre correspondant à Tokyo, Frédéric Charles

Sa cote de popularité est au plus bas, son parti conservateur est promis, selon les derniers sondages, à une défaite fracassante. Pour les dernières heures de la campagne électorale, Shinzo Abe a sillonné samedi, une dernière fois, plusieurs grands quartiers de Tokyo en compagnie du gouverneur de cette mégalopole, Shintaro Ishihara, un populiste nationaliste très populaire, mais qui a quitté le parti du Premier ministre il y a déjà plusieurs années.

Perché sur le toit d'un camion bardé de hauts parleurs, Shinzo Abe a déclaré que l'opposition était incapable de faire avancer les réformes. «Avec elle, le pays reculera », a-t-il martelé. Parmi les centaines de Japonais qui ont écouté le Premier ministre, se trouvaient de nombreux sceptiques, car jusqu'ici, Shinzo Abe a freiné les réformes de l'économie entamées par son prédécesseur, Junichiro Koizumi.

Un employé d'une grande compagnie de construction, âgé de 66 ans, estime que Shinzo Abe s'est « contenté de nous faire la morale, mais ça n'intéresse personne, le gouvernement ne fonctionne plus ». 50 millions de dossiers de retraite ont disparu : il est temps de donner une chance à l'opposition.

Ce 29 juillet, les urnes vont remettre en jeu la moitié seulement des 242 sièges de sénateurs. Et cela, selon un mode de scrutin de liste proportionnel pour les élus à l’échelle nationale (96 au total) et à la majorité simple pour ceux qui font partie des 146 élus des 47 circonscriptions géographiques (villes ou préfectures). Le dernier exercice du genre a eu lieu le 11 juillet 2004. Cette fois, le scrutin sénatorial a valeur de test en vraie grandeur pour le flamboyant Shinzo Abe, au pouvoir depuis septembre 2006.

La Chambre des représentants est acquise à Shinzo Abe

Le Premier ministre peut aujourd’hui encore tabler sur une majorité favorable et écrasante à la Chambre des représentants où son Parti libéral démocrate (PLD) a enlevé 305 sièges de députés sur 480 en 2005 et bénéficie en outre de l’appui des 31 députés du Nouveau Komeito, son allié bouddhiste. Dans la Chambre des conseillers, face aux 83 sénateurs du Parti démocratique du Japon (PDJ) qui fait des appels du pied aux socio-démocrates du PSD (7 sénateurs), Shinzo Abe disposait aussi jusqu’à présent d’une courte majorité avec les 109 sénateurs du PLD qu'appuient les 23 élus du Komeito. C'est cette assise que le renouvellement de la moitié des sénateurs menace de lui retirer.

Pour sa part, le quotidien Yomiuri Shimbun prophétise une défaite écrasante du Premier ministre, sur la foi d’une étude qu’il affirme avoir réalisée auprès de 32 065 électeurs. Elle donne moins de la moitié des 121 sièges au PLD et aux bouddhistes. Si ces prédictions s’avèrent, le très conservateur Shinzo Abe et ses amis devraient céder la majorité sénatoriale au PDJ qui fait son miel de centre-gauche des scandales à répétition de ces derniers mois. L'un des derniers en date concerne les retraites. Les services sociaux japonais sont accusés d'avoir perdu la bagatelle de cinquante millions de dossiers de cotisants, ce qui compromet le versement des pensions.

Tadashi Inuzuka

Sénateur du Minshuto, le Parti démocrate japonais

«Il n'y a que 65 millions d'actifs au Japon et le gouvernement a perdu 50 millions de dossiers. Donc, on en a perdu la trace de plus de 80% ! Le chiffre est immense, et pour certains dossiers il faut remonter 40 ans en arrière !»

Dans un archipel où les partis ont forme de coalition de factions autour d’un chef, ce scandale des retraites concerne de surcroît la génération d’après-guerre, celle du baby-boom, huit millions de Japonais nés entre 1947 et 1949 et qui peuvent commencer à faire valoir leurs droits en 2007. En outre, au Japon comme ailleurs, le vote des sexagénaires est habituellement plus élevé que la moyenne et le scandale des caisses de retraite n’est pas le seul souci de cette tranche d’âge. 

Selon les chiffres de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), les plus de 65 ans qui constituent déjà près de 26% de la population active pourraient en représenter la moitié d’ici 2020. Après avoir contribué à l’avènement du Japon comme deuxième puissance mondiale, derrière les Etats-Unis et devant la Chine, les enfants du redressement économique se voient donc incités à travailler encore pour subvenir à des besoins de plus en plus difficilement satisfaits.

Pour l'opposition : «La priorité, c’est la vie de tous les jours»

Dans un Japon tout particulièrement meurtri par la Seconde Guerre mondiale, Shinzo Abe a fait beaucoup d’idéologie, croyant pouvoir surfer sur le courant nationaliste pour conforter ses positions quand l’opposition enfourchait un cheval de bataille plus prosaïque et un slogan porteur : «La priorité, c’est la vie de tous les jours». Les électeurs pourraient sanctionner le PLD en votant pour le PDJ qui promet un traitement plus social des questions économiques.

Les taux de chômage inférieur à 5% ne disent rien de la paupérisation des seniors contraints de travailler jusqu’à un âge avancé, ils ne révèlent pas non plus les difficultés des campagne qui abritent encore un quart de la population et la précarisation des jeunes actifs soumis au principe de flexibilité. Sans parler des rêves révolus d’emploi à vie, la tradition égalitaire de la société japonaise s'est évanouie dans le fossé entre riches et pauvres. La peur de lendemains économiques qui déchantent sont devenus des arguments électoraux. Shinzo Abe pourrait en payer la facture.