par Monique Mas
Article publié le 01/08/2007 Dernière mise à jour le 01/08/2007 à 18:38 TU
«Qui sème les armes, récolte la guerre» mais aussi «Bush a trouvé de nouveaux débouchés pour éviter la panne à son industrie militaire», c’est en substance ce qu’ont martelé ce mercredi l’Iran et la Syrie en réaction au programme d’assistance militaire en faveur d’Israël, mais aussi de l’Egypte et des pays du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Koweit, Qatar, Oman, Emirats arabes unis) annoncé le 31 juillet à Charm el-Cheikh par la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, et son collègue à la Défense, Robert Gates. Ces derniers achèvent en effet une tournée au Proche-Orient où ils sont venus battre le rappel des alliés arabes de Washington et les convaincre de s’inscrire aux côtés d’Israël dans une stratégie américaine de «stabilisation de l’Irak». Et cela en faisant front commun contre les fauteurs de trouble identifiés par Washington, l’Iran principalement, mais aussi la Syrie, les mouvements islamistes palestiniens ou libanais ainsi que ceux qui opèrent en Irak.
A l’instar d’Israël, l’Egypte et les pays du Golfe sont de longue date liés aux Etats-Unis par des contrats d’assistance militaire substantiels. Mais ce 31 juillet, outre l’effet d’annonce d’un programme d’armement qui engage publiquement les amis arabes de Washington, l’opération américaine de Charm el-Cheikh affiche aussi une militarisation en hausse, en particulier pour Israël. L’Etat hébreu voit en effet les concours militaires américains gonfler de quelque 25% en passant de 2,5 milliards de dollars par an, à 30 milliards sur dix ans, l’Egypte conservant son enveloppe de 1,3 milliard de dollars par an (13 sur dix ans), l’Arabie saoudite pouvant tabler sur un contrat décennal de 20 milliards de dollars, un montant de même niveau devant échoir en partage à d’autres pays du Golfe.
Israël garde son avance technologique militaire
Israël a de surcroît obtenu de conserver son avance technologique militaire en faisant notamment observer que, malgré les précautions américaines en la matière, rien ne garantissait totalement que le pouvoir ne changerait jamais de mains dans les pays arabes censés devenir ses partenaires sur l’échiquier politico-militaire proche-oriental. Quand, par exemple, l’Arabie saoudite devra se contenter de voir sa flotte aérienne actuelle remise à neuf, l’Etat hébreu pourra acheter des F30 américains, des chasseurs dernier cri, et même peut-être un jour prochain des avions furtifs, selon l’expert Elie Carmon, du centre israélien interdisciplinaire Herzellia, qui estime qu’une exception à l’interdiction d’exporter américaine pourrait lui être faite.
Avions de générations récentes, bombes intelligentes capables de trouver elles-mêmes leur cible, l’arsenal américain s’ouvrira aussi à l’Arabie saoudite sur des vedettes, de quoi patrouiller dans le Golfe sinon tenir tête à la flotte iranienne au cas où la situation déraperait et où la stratégie américaine changerait de visage. A Charm el-Cheikh, en effet, les neuf chefs de diplomatie signataires du communiqué final ont adopté une résolution résolument défensive qui affirme «leur solide appui à tout Etat du Golfe faisant face à des menaces étrangères contre sa souveraineté et l'unité de son territoire». Ils ont aussi «convenu que la paix et la sécurité de la région du Golfe représentent une importance vitale pour l'économie mondiale et se sont accordés sur la nécessité de préserver la stabilité du Golfe».
Riyad va rétablir ses relations diplomatiques avec Bagdad
A Djeddah, en Arabie saoudite où ils étaient ensemble mercredi matin, Condoleeza Rice et Robert Gates ont visiblement obtenu gain de cause. «Pour soutenir le gouvernement irakien, nous avons décidé d'envoyer une mission diplomatique du ministère des Affaires étrangères pour voir comment établir notre ambassade à Bagdad», a annoncé le ministre saoudien des Affaires étrangères, Saoud Al-Fayçal, dans la foulée de la visite des envoyés spéciaux américains. Il a même mis les point sur les i en précisant que Riyad avait «exprimé le souhait de travailler de près avec le gouvernement irakien au sujet des mesures de sécurité, en particulier la lutte contre les activités terroristes». En même temps, le diplomate saoudien a voulu répondre aux accusations américaines de double-jeu en se déclarant «stupéfait» d’apprendre que l’Arabie saoudite est soupçonnée de financer des groupes sunnites rebelles au gouvernement irakien du Premier ministre Nouri al-Maliki.
«Tout ce que nous pouvions faire pour protéger les frontières saoudo-irakiennes, nous l'avons fait, je vous assure que le passage des terroristes se fait de l'Irak vers l'Arabie saoudite et non l'inverse», a plaidé Saoud al-Fayçal, imputant l’instabilité de l’Irak au manque de «justice sociale et d'unité nationale entre les différentes communautés et groupes politiques». Après la démission mercredi des ministres sunnites du cabinet irakien, le gouvernement al-Maliki est plus que jamais à dominante chiite, ce qui a tout pour déplaire à Riyad. Mais, à l’instar des signataires arabes sunnites du document, l’Arabie saoudite s’est engagée dans le communiqué final de Charm el-Cheikh à empêcher «le passage des terroristes vers l'Irak» ainsi que «la fourniture d'armes et l'entraînement des milices et des groupes extra-gouvernementaux». Ces derniers, que le texte ne cite pas nommément, sont aussi, outre les rebelles sunnites d’Irak, le Hezbollah libanais ou les fondamentalistes chiites irakiens appuyés par l’Iran et la Syrie, le Hamas palestinien ou les partisans de la nébuleuse al-Qaïda répandus dans toute la région.
«Les Etats-Unis veulent assurer leurs alliés qu'ils pourront compter sur nous pour satisfaire leurs besoins en matière de sécurité», a affirmé la secrétaire d’Etat américaine. Les voilà équipés grâce à une assistance militaire liée qui leur impose de dépenser leurs subsides aux Etats-Unis, ce que n’a pas manqué de pointer à Téhéran le chef de la diplomatie iranienne Manouchehr Mottaki selon qui «les hommes politiques à la Maison Blanche, dont certains sont actionnaires de gros fabricants d'armes, tentent d'abuser de leur position afin de créer une atmosphère psychologique susceptible de les aider à réaliser d'énormes profits». Mais, menace-t-il, «les efforts américains pour vendre des milliards de dollars d'armes et pour propager des scénarios montés de toutes pièces dans la région sont improductifs». «Celui qui veut faire la paix ne commence pas par une initiative d'armement dangereuse dans la région», conclut son homologue syrien, Walid Mouallem. La Syrie et l’Iran se sentent visés par une stratégie d’endiguement qui pourrait mal tourner. Par ailleurs, les analystes militaires avertis font observer par ailleurs que le terrorisme ne se combat pas à coups de canon ou d’attaques aériennes.
L’Iran plus que jamais dans la ligne de mire de Washington
En route pour l'Egypte, Condoleezza Rice avait déclaré que «l'Iran constitue le défi le plus important lancé aux intérêts américains dans la région et au projet de Proche-Orient que nous voulons». Washington est donc venu battre le rappel de ses partenaires arabes du Golfe et d’Egypte, leur promettant de les aider «à se défendre contre toute menace». Celle-ci pourrait en effet venir de l’Iran, au cas où les Etats-Unis envisageraient une solution militaire après avoir donné à penser qu’ils cherchaient une autre issue à leur différend en Irak avec le régime chiite de Téhéran. Le 24 juillet dernier, le deuxième round des premiers entretiens du genre depuis 27 ans entre ambassadeurs américain et iranien à Bagdad avait d’ailleurs surtout permis à Washington de relancer ses accusations contre Téhéran, son ambassadeur en Irak, Ryan Crocker, assurant avoir «constaté que l'activité de ces milices soutenues par l'Iran a augmenté» depuis la première rencontre diplomatique, le 28 mai 2007.
Soumis au régime de la douche écossaise, l’Iran pourrait aussi bousculer le commerce maritime dans le Golfe. Il est en tout cas, plus que jamais, dans la ligne de mire de l’administration Bush qui projette de tenir à l’automne une réunion internationale sur le Proche-Orient et en particulier sur le conflit israélo-palestinien. Celui-ci occupe la fin de la tournée de Condoleezza Rice. Mercredi après-midi, elle était en Israël et Mahmoud Abbas, le chef de l’Autorité palestinienne, l’attendait jeudi matin à Ramallah, en Cisjordanie, où Washington entend conforter ses positions en attendant de régler la partition induite par la prise de pouvoir du Hamas sur la bande de Gaza. Un problème qui n’est pas indifférent non plus aux questions militaires réactivées par la tournée Rice-Gates au Proche-Orient.
Pour sa part, Robert Gates a voulu tranquilliser les amis arabes de Washington en balayant leur «inquiétude de voir les Américains se retirer précipitamment d'Irak ou d'une manière qui déstabilise la région entière». Pour éviter un tel scénario, il compte, dit-il, sur le fait que même les adversaires américains du maintien des troupes américaines en Irak sont conscients «de la nécessité de prendre en compte les conséquences d'un changement de politique et des dangers de le faire imprudemment». Une manière de promettre aux Egyptiens et aux Arabes du Golfe qu’ils ne resteront pas seuls sur le terrain de la guerre. Une promesse sans engagement ferme et définitif. En septembre, le Congrès dominé par l’opposition démocrate tranchera. Il dira aussi s’il accepte les 60 milliards de dollars de contrats militaires promis par l’administration Bush.