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Afghanistan / Etats-Unis

Bush et Karzaï face au fiasco afghan

par Monique Mas

Article publié le 06/08/2007 Dernière mise à jour le 06/08/2007 à 17:19 TU

Le président américain Georges Bush et le président afghan Hamid Karzaï à Camp David(Photo : Reuters)

Le président américain Georges Bush et le président afghan Hamid Karzaï à Camp David
(Photo : Reuters)

A Camp-David où il est arrivé le 5 août pour une visite de deux jours, le président Hamid Karzaï était venu chercher des assurances, sinon des garanties. Avec George Bush qui continue de pointer les déficiences de sa gouvernance, le président afghan a passé en revue les indicateurs sécuritaires restés au rouge, six ans après le 11-Septembre et l’intervention américaine qui s’est ensuivie pour déloger les talibans. Force est de constater que ces derniers sont à nouveau opérationnels dans l’immense territoire caillouteux aux frontières poreuses du Pakistan, base de repli taliban, et de l’Iran, cible de la lutte antiterroriste américaine. Karzaï voudrait éviter de se mettre ses voisins à dos. Il est déjà suffisamment en difficulté à la tête d’un Etat sans véritable autorité où les dégâts collatéraux de la coalition internationale soulèvent un mécontentement grandissant et où il risque de perdre des plumes dans l’affaire des otages sud-coréens menacés de mort par les talibans qui exigent un échange de prisonniers.

«Nous ne sommes ni plus près ni plus loin du but. Nous en sommes au même point qu'il y a quelques années», a déclaré Hamid Karzaï à peine arrivé de Kaboul où les négociateurs sud-coréens attendent beaucoup de ses entretiens de Camp-David avec George Bush. Après l’exécution de deux d’entre eux, le 25 et le 30 juillet, la vie des otages sud-coréens est en effet plus que jamais suspendue au fil ténu de la patience des talibans. Ceux-ci négocient par ailleurs avec Berlin le sort de l’ingénieur allemand enlevé en juillet dernier. Aux prises avec son opinion publique secouée par le sort des 21 captifs et qui remet en question ses liens avec les Etats-Unis, Séoul appelle Washington à rechercher une issue positive. «Nous allons tout essayer pour qu'ils soient libérés en toute sécurité, à condition que cela n'encourage pas les prises d'otage et le terrorisme», avait promis Karzaï avant de s’envoler à Washington où l’administration Bush lui reproche encore d’avoir libéré des talibans en mars dernier, en échange du journaliste italien, Daniele Mastrogiacomo.

Berlin ne veut rien concéder, les talibans font pression sur Séoul

Tandis que la presse allemande évoque une demande de rançon très importante pour Rudolf Blechschmidt, 62 ans, enlevé le 18 juillet à une centaine de kilomètres au sud de Kaboul avec un autre ingénieur allemand finalement retrouvé mort, les services allemands continuent de négocier par intermédiaires interposés derrière le parapluie du «gouvernement afghan qui est en contact avec les ravisseurs», affirme Gernot Erler, secrétaire d'Etat aux Affaires étrangères. Officiellement, il n’est en effet aucunement question de concéder quoi que ce soit aux talibans, le chef de la diplomatie allemande, Frank-Walter Steinmeier, se prononçant d’ailleurs «en faveur d'un élargissement de notre aide pour l'entraînement et l'équipement de l'armée afghane», une question dont doit débattre en septembre le Parlement allemand dans le cadre de la prolongation du mandat de ses 3 000 hommes déployés dans le nord du pays dans le cadre de la Force internationale d'assistance à la sécurité (Isaf). Qu’il s’agisse des mêmes ravisseurs ou pas – ce qui n’est jamais sûr en Afghanistan –, les talibans et ceux qui s’en réclament font pour le moment le forcing sur leur principal contingent d’otages, sud-coréens en l’occurrence.

Samedi, les talibans ont autorisé un négociateur sud-coréen «à parler à l'un des otages», indique Séoul, sans «divulguer d'identité ou de détails» et en précisant que «l'entretien a été bref». Le même jour, l’Agence France Presse a reçu de son côté l’appel d’une «femme se présentant au téléphone comme un des 21 otages sud-coréens» et suppliant le pape Benoît XVI et le secrétaire général de l’Onu, le Sud-Coréen Ban Ki-moon, de leur venir en aide. «Nous sommes malades. Je ne sais pas combien de temps nous allons survivre», a-t-elle déclaré pendant cet «entretien téléphonique avec l'AFP, organisé par les talibans qui demandent maintenant l’organisation d’une rencontre directe avec les négociateurs sud-coréens ce qui leur vaudrait une forme de reconnaissance diplomatique. Mais les Sud-Coréens «ne peuvent que discuter d'argent, du versement d'une rançon», explique le député afghan Mahmoud Gailani, de retour de Ghazni où les talibans se disent prêts à des pourparlers sur les otages dans leur zone de contrôle ou dans un pays tiers, avec une garantie internationale, ce que Washington et Kaboul refusent.

La coalition internationale est de plus en plus impopulaire

Kaboul refuse aujourd’hui de céder aux talibans, «par principe», un principe insufflé par Washington à qui il reproche de ne pas l’avoir débarrassé des islamistes comme promis. Quant à l’idéologue Oussama Ben Laden, le président afghan «ne peux pas répondre actuellement à la question de savoir où il se trouve», même s’il «sait de manière certaine qu'il ne peut pas être en Afghanistan» où opèrent des dizaines d’agents de la CIA ainsi que 27 000 soldats américains de la coalition occidentale. Celle-ci nourrit de plus en plus la rancœur des Afghans, en particulier avec les multiples bavures de ses frappes aériennes anti-talibans qui auraient tué au moins 600 civils depuis le début de l’année. Pour sa part, Hamid Karzaï voudrait éviter de payer le prix de l’impopularité grandissante de la force internationale. En retour, l’administration Bush critique sa gouvernance et la montée du trafic de drogue et des prises d’otages dont une partie, corrompue, de l’administration afghane ne manque pas de tirer avantage.

Depuis la chute des talibans, les seigneurs de la guerre – parmi lesquels certains talibans reconvertis – se partagent, jusque dans les allées du Parlement, les centaines de millions de dollars de revenus tirés des champs de pavot et de la production de l’opium raffiné en héroïne dont l’Afghanistan détient 70% du stock mondial. Un business où politiciens et narcotrafiquants font excellent ménage, ruinant tout espoir de changement pour les petits agriculteurs. En effet, comme l’explique le spécialiste français Alain Labrousse, en ces temps de sécheresse et de disette, «l’avantage des plantes illicites, c’est qu’elles ne consomment pas beaucoup d’eau et ne sont pas exigeantes quant à la qualité du sol». Le trafic rapporte au bas mot sept fois plus que l’aide à la reconstruction internationale. Il est très largement le nerf de la guerre des talibans. Mais, en même temps, il fait la fortune des potentats locaux et autre responsables provinciaux associés aux jeux du pouvoir. Hamid Karzaï n’a en effet pas trouvé d’autre assise pour se conforter à la tête du pays. Reste que ce faisant, il a contribué à discréditer les autorités politiques aux yeux de ses administrés.

Selon Hamid Karzaï, l’Iran a été un soutien pour l’Afghanistan

L'an passé, Hamid Karzaï avait rejeté un projet américain d’épandage d’herbicides sur les champs de pavot. Cela risquerait d’empoisonner le bétail, les autres cultures et l'eau potable, avait-il plaidé, promettant de faire les efforts nécessaires pour enrayer la progression des champs de fleurs roses. Cette année, la récolte de graines de pavot s’annonce fastueuse en Afghanistan pour les héroïnomanes américains ou européens qui verront notamment la drogue leur arriver via l’Asie centrale, après avoir cheminé hors d’Afghanistan grâce notamment à certains grossistes talibans. Pour sa part, Hamid Karzaï se félicite en revanche «des relations très très bonnes, très très étroites avec l'Iran, qui a été un soutien pour l'Afghanistan, dans notre processus de paix et dans la lutte contre le terrorisme et contre le trafic de drogue». C’est ce qu’il a tenu à dire avec insistance, avant même de rencontrer quiconque de l’administration Bush pour qui, au contraire, l’Iran est désormais la bête noire, plus encore que le Pakistan.

«Jusqu'à présent, l'Iran a été une aide et une solution» aux problèmes afghans, assure Kaboul, le secrétaire d’Etat américain à la Défense, Robert Gates affirmant de son côté que «l'Iran joue sur les deux tableaux» en Afghanistan, agissant certes d’après lui «pour aider le gouvernement afghan, mais aussi pour aider les talibans, y compris en fournissant des armes». C’est là le point de désaccord le plus ouvertement exprimé par Hamid Karzaï que Washington était parvenu à convaincre, en septembre 2006, de tenir avec son voisin pakistanais Pervez Musharraf (à Kaboul du 9 au 11 août) un conseil des responsables tribaux pakistanais et afghans, une Loya Jirga, pour contrer les infiltrations de talibans au sud et à l'est de l'Afghanistan. Pour Hamid Karzaï, dans la sous-région, le véritable «fautif» serait en effet le Pakistan dont les zones tribales abritent le gros des partisans d’al-Qaïda.

En attendant, l’Afghanistan continue de servir de champ de bataille international avec par exemple, ce lundi, une attaque conjointe des forces armées afghanes et de l'Isaf qui aurait fait 22 morts dans les rangs présumés des talibans. Selon l’état-major de l’Otan, l’offensive aurait été destinée à empêcher les talibans de couper la route principale qui relie Kaboul à Kandahar, leur fief, à près de cinq cents kilomètres au sud-ouest de la capitale. A Ghazni, les talibans menacent de recommencer à tuer leurs otages sud-coréens à «n'importe quel moment» si Kaboul refuse leurs conditions. «S'ils veulent que les otages soient saufs, il faut vraiment que [Séoul et Kaboul] se dépêchent», menacent-ils. Les talibans courent toujours en Afghanistan.