par RFI
Article publié le 09/08/2007 Dernière mise à jour le 09/08/2007 à 15:49 TU
Bombay, en Inde. Sur le seul mois de juillet, il serait tombé dans la région trois fois plus de pluies que l'an passé sur l'ensemble de la mousson.
(Photo : Reuters)
Moussons meurtrières en Asie du sud, inondations en Grande-Bretagne, canicule en Europe du sud-est, abondantes chutes de neige en Afrique du sud. L’Organisation météorologique mondiale recense des conditions extrêmes depuis le début de l’année. Comment expliquer ce phénomène ? Y a-t-il un lien avec le réchauffement climatique ? Les réponses de François-Marie Bréon, chercheur au Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement.
RFI : Assiste-t-on réellement à une année exceptionnelle d’un point de vue climatique ?
François-Marie Bréon : Il faut distinguer des évènements qui sont vraiment rares mais sans être complètement exceptionnels, comme par exemple ce qui se passe en Asie sur la mousson - on a déjà vu des évènements de mousson de ce même type - et des évènements qui sont réellement exceptionnels, comme par exemple la chaleur qu’on a eue cet hiver en Europe de l’ouest qui, elle, était réellement exceptionnelle et même du jamais vu.
Ce qui est marquant, c’est le fait qu’il y a une multiplication des évènements météorologiques qui, sans être exceptionnels par nature, deviennent exceptionnels par leur nombre, et inquiétants d’une certaine manière. Mais ce n’est pas forcément surprenant puisque c’est bien ce genre de choses que les climatologues ont annoncé dans le cadre d’un changement climatique lié à l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
RFI : C’est donc l’accumulation de ces évènements qui constitue un dérèglement climatique et vous estimez que c’est la conséquence du réchauffement de la planète ?
F-M.B. : En tout cas, c’est parfaitement crédible. Disons que c’est le genre de choses auxquelles on peut s’attendre. A aucun moment, on ne peut dire qu’il s’agit d’une preuve, mais ces événements sont cohérents avec ce à quoi on s’attend.
RFI : Ce qui frappe dans ces phénomènes, c’est leur diversité. On a des inondations, une canicule, la sècheresse en Australie. Comment expliquer cette diversité alors que le réchauffement climatique est un phénomène unique : la hausse des températures ?
F-M.B. : Le phénomène unique, c’est l’augmentation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère. Ensuite en moyenne, on doit s’attendre à une augmentation des températures globale. Mais cette augmentation, personne n’a jamais dit qu’elle serait uniforme et partout de la même ampleur. Les climatologues ont toujours dit que le réchauffement serait plus important au dessus des terres qu’au-dessus des mers, et plus important dans les zones polaires que dans les zones tropicales. Ensuite, il faut bien voir que cette augmentation de températures induit nécessairement une modification de la circulation de l’atmosphère : les anticyclones ne vont pas nécessairement se positionner au même endroit, et donc on va observer des modifications des régimes de temps qui peuvent être variables selon les endroits. Il peut y avoir des zones qui deviennent plus sèches et d’autres qui, au contraire, deviennent plus humides. Et c’est le genre de chose qu’on observe actuellement.
L’autre point important, c’est de voir que nos sociétés sont adaptées à un certain climat. Le fait que le climat devienne plus sec ou plus humide sur une région donnée est considéré comme étant un dérèglement, parce que nous ne sommes pas préparés, nous ne sommes pas adaptés à ce climat.
RFI : Il y a donc aujourd’hui un problème d’adaptation ?
Il va falloir effectivement s’adapter, s il se confirme que le climat au niveau régional évolue. Un exemple : les climatologues indiquent que dans le cadre du réchauffement climatique, le bassin méditerranéen pourrait devenir plus sec. Alors qu’au contraire le nord de la France pourrait devenir plus humide. Il va donc falloir adapter d’une part les stratégies agricoles, et peut-être l’utilisation des ressources en eau en fonction de ces nouveaux paramètres. Peut-être que dans le Nord, il va falloir mettre des canalisations plus importantes, pour évacuer l’eau qui se déverse. Et au contraire dans le Sud, il va falloir apprendre à économiser l’eau de manière plus intelligente que ce qu’on fait aujourd’hui.
RFI : Est-ce qu’on assiste cette année à une sorte de répétition de ce qui sera le quotidien de la planète dans 50 ans ?
F-M.B. : On ne peut pas l’affirmer. Par contre, il faut s’attendre effectivement à une multiplication des dérèglements. Mais si cette année l’été est particulièrement humide sur la France, ça ne veut absolument pas dire que c’est ce qui va se passer dans les cinquante prochaines années.
RFI : Quand on parle de réchauffement climatique, on avance souvent le chiffre de deux degrés supplémentaires en cinquante ans. C’est la fourchette basse. Ca ne parait pas énorme, deux degrés. Mais en fait, ça fera une très grosse différence ?
F-M.B. : Il faut bien voir que ce que la Terre a subi ce dernier million d’années, c’est une alternance de périodes glaciaires et de périodes interglaciaires. Une période glaciaire, c’est une période pendant laquelle il y a trois kilomètres de glace sur la Scandinavie et sur le nord de l’Amérique du nord, et il fait à peu près 15 degrés de moins qu’aujourd’hui sur le sud de la France. C’est un climat qui n’a absolument rien à voir avec celui d’aujourd’hui et pourtant la différence de température moyenne de la terre entre ces époques glaciaires et ces époques interglaciaires, est seulement de quelques degrés. Donc soyez vraiment sûr que deux degrés, à l’échelle du climat, à l’échelle de la Terre, c’est absolument énorme.
RFI : Et cinq degrés supplémentaires, c’est l’hypothèse haute ?
F-M.B. : Cinq degrés, ce sont des changements tellement considérables qu’on ne peut pas prévoir de manière réellement fiable ce qui va se passer dans ces cas-là pour le climat. Celui-ci n’aurait absolument plus rien à voir avec celui que nous avons aujourd’hui. Les changements seraient catastrophiques.
RFI : Est-ce qu’il est possible encore aujourd’hui de faire machine arrière, d’inverser cette évolution ?
F-M.B. : Je pense qu’une partie de ce réchauffement est inéluctable. Ces deux degrés sont pratiquement déjà écrits. Quoi qu’on fasse, on ne peut pas imaginer d’actions crédibles qui nous empêchent d’arriver à ces deux degrés. En revanche, on peut prendre des mesures qui empêcheraient d’arriver aux cinq degrés. Je pense que c’est en tout cas vers ça qu’il est absolument nécessaire d’arriver.
RFI : Et pour relever ce défi, est-ce que le protocole de Kyoto est l’instrument adapté ?
F-M.B. : Le protocole de Kyoto est une première étape. C’est quelque chose qui permet aux nations de se mettre d’accord sur des objectifs qui ne sont pas trop ambitieux, de manière à ce que justement, les Etats puissent se mettre d’accord. Si l’on affichait dès aujourd’hui comme objectif une réduction d’un facteur 4 par exemple (ce qui est quelque chose auquel il faudra arriver), la plupart des pays diraient que c’est absolument impossible et donc refuseraient d’adhérer au protocole de Kyoto. Donc : non le protocole de Kyoto n’est pas suffisant, mais oui, c’est une bonne idée de commencer par cet objectif raisonnable.