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Guyane

Un projet de mine d’or suspendu

Article publié le 12/08/2007 Dernière mise à jour le 12/08/2007 à 11:05 TU

Aucune décision concernant le projet controversé de mine d’or à ciel ouvert de CBJ Caïman, filiale de la multinationale Iamgold, ne tombera avant l’issue du Grenelle de l’environnement a annoncé le secrétariat d’Etat à l’Outre-mer, mercredi 8 août. En Guyane, c’est la première fois qu’un projet aurifère est instruit dans le respect des procédures… avant l’ouverture du site minier. D’autres sociétés déclarées y exploitent, notamment l’or primaire, sans posséder les permis requis.

De notre correspondant en Guyane, Frédéric Farine

L'une des carrières exploitées par la multinationale Iamgold à Rosebel au Surinam, pays voisin de la Guyane française où sa filiale CBJ Caïman escompte ouvrir une mine d'or similaire dans le Parc naturel régional créé en 2001.(Photo : Frédéric Farine)
L'une des carrières exploitées par la multinationale Iamgold à Rosebel au Surinam, pays voisin de la Guyane française où sa filiale CBJ Caïman escompte ouvrir une mine d'or similaire dans le Parc naturel régional créé en 2001.
(Photo : Frédéric Farine)


« Si on devait autoriser le projet CBJ Caïman, ce serait un signe fort : on pourrait alors envisager une politique industrielle sur des projets donnés. Un rejet serait aussi un signe », déclare-t-on au secrétariat d’Etat à l’Outre-mer. « Si ce projet passe, d’autres multinationales viendront en Guyane faire de gros trous dans la forêt », redoute pour sa part un défenseur de l’environnement.

CBJ Caïman possède depuis novembre 2004 une concession de 30 km² à Roura, au pied de la montagne de Kaw, en bordure de deux réserves où vivent des caïmans noirs. Sur 373 hectares dévolus à son exploitation, la société devra extraire le minerai de deux énormes carrières  avant de le traiter par broyage, concassage et un procédé au cyanure. La production identifiée est de 34 tonnes d’or sur 7 ans, mais CBJ Caïman escompte la doubler à l’instar de la durée d’exploitation. La société n’aura pas, cet été, le feu vert qu’elle attendait  pour ses 3 dernières demandes de permis nécessaire à l’ouverture de sa mine d’or : le permis de construire l’usine, l’autorisation d’exploiter une installation classée pour la protection de l’environnement (ICPE) et celle d’ouvrir des travaux miniers (OTM).

Après avoir dû revoir sa copie fin 2006 suite à un rapport d’inspecteurs missionnés par les ministères de l’Ecologie et de l’Industrie, CBJ Caïman a obtenu depuis, pour ses derniers permis, les avis favorables (consultatifs) de la mairie de Roura, de la commission d’enquête publique (même si un des 3 commissaires enquêteurs s’est désolidarisé) et des services déconcentrés de l’Etat, hormis l’ONF qui s’est limité à des remarques.

Réduire le taux de cyanures

Mais dans ce dossier sensible, si le préfet de Guyane doit signer les arrêtés déjà rédigés, c’est Paris qui tient les rênes. Mercredi dernier, le secrétariat d’Etat à l’Outre-mer a annoncé à l’AFP la « suspension du projet » jusqu’à l’issue du Grenelle de l’environnement : « Ce projet est porté par une société considérée comme sérieuse. Il apporte des garanties visant à maîtriser l’impact environnemental : une unité d’épuration des résidus de traitement minier, un procédé d’épaississage des résidus afin de limiter la superficie des parcs à résidus, un système pour éviter les risques de rupture de digues, des engagements sur la revégétalisation après exploitation. En revanche, il se situe sur un site particulièrement sensible en terme de biodiversité, une Znieff de Type 1 (zone d’intérêt majeur pour la faune et la flore) », explique un conseiller technique du secrétaire d’Etat à l’Outre-mer Christian Estrosi.

Avant CBJ Caïman, jamais un titre minier d’exploitation (concession, PEX ou AEX d’un km²) n’avait été accordé sur une Znieff de type 1 même si aucune législation ne l’interdit. Cette année, hors enquête publique, une tierce expertise demandée par la Drire (Direction régionale de l’industrie) et réalisée par… un fournisseur de cyanure, Cyplus, a conclu que CBJ Caïman utilisera la meilleure technologie disponible pour réduire le taux de cyanures pendant l’exploitation.

« Les ONG écologistes ont souhaité que ce projet fasse l’objet d’un débat dans le cadre du Grenelle prévu fin octobre. D’ici là, aucune décision de l'Etat ne sera prise même si l'on peut estimer que, juridiquement, ce projet est prêt à l'emploi », souligne-t-on encore au secrétariat d’Etat à l’Outre-mer. Jeudi 9 août, la préfecture a informé CBJ Caïman « d’un report jusqu’au 18 novembre pour complément d’information avant de statuer », indique Hervé Germani, le directeur des ressources humaines de la société qui espérait obtenir ses derniers permis en juillet afin de pouvoir commencer à construire l’usine en août, en saison sèche. « L’opposition au projet des deux députés guyanaises, du Conseil régional, d’ONG locales et surtout d’associations à Paris, embarrasse le gouvernement », estime un membre d’une association écologiste.

Le 17 juillet, plusieurs ONG dont la Ligue Roc d’Hubert Reeves et la Fondation Nicolas Hulot ont co-signé un courrier au Premier ministre pour demander le rejet définitif du projet en arguant notamment que « le site unique de la montagne de Kaw est intrinsèquement inadapté à la réalisation du projet de l’industriel. Comment imaginer une telle situation en métropole (…) dans le Parc naturel régional du Vercors ? Dans le site Ramsar de Camargue ? ».

« Un refus poli de collaborer »

Mais, dans la genèse de ce dossier, peu de voix se sont fait entendre lorsque plusieurs permis exclusifs de recherche ont été accordés sur 7 100 hectares de la montagne de Kaw en 1995, guère plus lorsque la concession minière a été accordée fin 2004 : « Ils valent reconnaissance explicite de l’administration et des élus de la possibilité d’exploiter le gisement d’or dans le sous-sol », avaient souligné les inspecteurs généraux missionnés l’an dernier.

Aussi, un courriel échangé le 15 juin entre ministères mentionne le spectre d’un coût pour l’Etat proche de 65 millions d’euros de compensation à verser à l’industriel en cas de rejet de son projet (somme correspondant aux actuels investissements avancés par CBJ) et indique, parallèlement, que le projet devra être « bordé juridiquement » en cas de feu vert, face aux recours que ne manqueraient pas d’engager les associations. France nature environnement (FNE) a d’ailleurs déposé, en mai dernier, au tribunal administratif de Cayenne, un recours visant à annuler un arrêté du préfet de mai 2006 autorisant l’industriel à effectuer des travaux de franchissement des cours d’eau, dans le cadre de sa future piste d’accès au site.

Parmi les opposants les plus déterminés, le dirigeant d’une société riveraine du site minier qui exploite des plantes médicinales et assure travailler pour des groupes pharmaceutiques, effectue un lobbying sans relâche contre le projet CBJ Caïman, notamment auprès des ministères. Néanmoins, les 340 emplois promis par l’industriel devraient aussi peser dans la balance de la décision alors que la Guyane compte environ 30% de chômeurs. Enfin, dernier paradoxe, si CBJ Caïman obtient ses derniers permis avant 2008, elle serait… la première société minière à être pourvue d’une autorisation d’exploiter une ICPE en Guyane, une réglementation incluant une enquête publique, applicable depuis… 1977 !

Jusqu’à aujourd’hui, les sociétés déclarées, notamment celles qui exploitent l’or primaire, n’en possèdent pas et sont donc hors-la-loi. Parmi les contrevenants, Auplata, une société cotée à la Bourse de Paris depuis décembre. L’administration vient de commencer, ces dernières semaines, à exiger de cette société et de deux autres, la SMSE et la CME (qui exploitent l’or respectivement depuis 2005 et 1993) de faire réaliser des analyses de leurs rejets aqueux puis de déposer, pour toutes leurs installations, une demande d’autorisation ICPE.

Sherpa, une ONG qui travaille sur la responsabilité sociale des entreprises est venue 7 semaines en Guyane, entre mai et juin, enquêter sur la « gouvernance » du secteur minier. L’association indique avoir essuyé « un refus poli de collaborer » de la Fédération des opérateurs miniers de Guyane et s’être vu refuser par les services de l’Etat, la communication des documents administratifs sur ce secteur.